« Ces 25 ha de terre, c’est un vrai cadeau du ciel… » Commerciale dans les assurances, Nathalie Renard n’avait pas le profil idéal pour acquérir de la terre agricole. Les banques n’ont d’ailleurs pas voulu financer son projet de reprise. Cette mère de famille de 43 ans a pourtant réussi à changer de vie, à devenir fermière, à Livry (Calvados), au côté de son mari, Michel, déjà installé sur une exploitation laitière.

« En 2012, on avait appris qu’un exploitant agricole prenait sa retraite, sans successeur. Les terres se situaient à 4 km de la ferme de mon mari. Mais dix-sept personnes étaient sur les rangs… », explique-t-elle. Qu’à cela ne tienne. En juillet, Nathalie dépose un dossier de reprise. Le 5 octobre, miracle… La Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) de Basse-Normandie retient son projet.

C’est qu’entre-temps, Nathalie a trouvé un investisseur, capable d’acheter, à sa place, la parcelle convoitée de 25 ha et de lui louer pendant vingt-cinq ans. « On a acheté dix vaches supplémentaires. Notre quota laitier est passé à 450 000 litres, indique-t-elle. Mais tout cela est le fruit d’une belle rencontre. » Avec Antoine, l’investisseur. Ce retraité agricole a mis 200 000 € dans l’opération. « Je disposais de liquidités après avoir vendu mon exploitation. Je souhaitais diversifier mon patrimoine », explique-t-il. Ce choix du foncier agricole ne doit rien au hasard. « Je ne voulais pas investir dans l’immobilier. C’est trop d’ennuis. Un locataire agricole respecte, lui, toujours ses engagements. Et puis, j’ai aidé une famille à agrandir son outil de travail », raconte Antoine. L’investisseur haut-normand a désormais racheté 45 ha dans le Calvados, pour environ 900 000 €.

Hausse de 42 % en sept ans

Et il n’est pas le seul. Depuis la crise financière de 2007, les détenteurs de capitaux cherchent la sécurité. « Ils veulent du « tangible ». Avant 2008, une dizaine d’investisseurs achetaient de la terre agricole en Basse-Normandie. Cinq ans plus tard, on compte 176 acheteurs pour 17 millions d’engagements », révèle Stéphane Hamon, le directeur régional de la Safer de Basse-Normandie.

L’apporteur du capital (à 75 % non issu du milieu agricole) signe, en général, un chèque minimum de 200 000 €. Certains dépassent les 500 000 €. La Safer encourage ces investissements qui lui évitent de puiser dans sa trésorerie. L’investisseur achète le bien, prend le risque. La Safer sélectionne le fermier locataire. Et ce dernier accède à un marché foncier qui lui était fermé, faute d’argent. « Comme le loyer d’un fermage se situe à 180 € par an et par hectare, la rentabilité brute de l’investissement atteint 2,5 %, indique Stéphane Hamon. Mais comme le prix du foncier s’est apprécié de 42 % en sept ans, cela double la rentabilité. »

Des étrangers aussi l’ont très bien compris. Un ressortissant belge vient de réaliser sa troisième acquisition foncière en Normandie. « Il y a un véritable marché de la terre « occupée » (NDLR : par un fermier). Il concerne surtout le nord de la Loire car, au sud, le propriétaire exploite directement la terre », explique Emmanuel Hyest, le président de la Fédération nationale des Safer.

Reste à juguler la pression foncière. Pas simple (lire ci-dessous). Car, comme le souligne Stéphane Hamon, « après la fin des quotas laitiers, le futur droit à produire, c’est le foncier ».


Quand Gevrey-Chambertin passe aux mains des Chinois…

« Sans nous, le prix du foncier s’envolerait… » Stéphane Hamon, le directeur général de la Safer de Basse-Normandie, admet que sa mission devient de plus en plus difficile. « Environ 45 % des surfaces agricoles françaises sont désormais occupées par des sociétés contre 8 %, il y a dix ans. Or nous n’avons pas la possibilité de préempter quand le foncier se transmet par la vente de parts sociales », explique-t-il.

Privée de son pouvoir de « gendarme », la Safer ne peut rien contre la spéculation. Comme à l’été 2012, lorsque le domaine viticole Gevrey-Chambertin a été vendu à un investisseur chinois. Et encore s’agit-il d’une vente connue. De nombreuses transmissions (hors cadre familial) échappent désormais à la connaissance des Safer.

Les techniques sont connues, comme la fausse donation, rémunérée par des dessous-de-table. « Sous la pression de ceux qui veulent s’agrandir », explique Emmanuel Hyest, président de la Fédération nationale des Safer.

Depuis 2007, le prix des terres « occupées » (louées à un fermier) prend 4 % à 5 % par an. Certains investisseurs y voient une valeur refuge. Une croissance aussi influencée par le prix des terrains à bâtir. Près des villes, une terre agricole peut, du jour au lendemain, devenir constructible.

Longtemps, les prix accessibles du foncier agricole ont constitué un atout pour l’agriculture française. En Hollande, la terre destinée à la production laitière s’est négociée, en 2012, à près de 60 000 € l’hectare. Dix fois plus que dans l’Ouest.

Pour maintenir cet avantage, la prochaine loi d’avenir agricole, qui sera votée avant l’été, devra ouvrir le droit aux Safer, de préempter sur les ventes de parts sociales qui incluent du foncier. « Sinon, nous assisterons à la financiarisation des terres agricoles et la fin du modèle familiale français d’exploitation agricole, s’inquiète Emmanuel Hyest. On peut craindre, à l’avenir, la constitution de véritables usines à lait ou à céréales. »

Guillaume LE DU.