Haro sur l'agro-business

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La Libre | 30 août 2013

Haro sur l'agro-business

Valentine Van Vyve 

Move With Africa : Le CNCD 11.11.11. lance sa campagne annuelle. Le droit à l'alimentation en est au coeur, et avec lui la lutte contre le business accru des denrées alimentaires.

"Du climat à l'alimentation, il n'y a qu'un pas", défend Arnaud Zacharie, secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD 11.11.11.) au moment de lancer la campagne annuelle du collectif. Sa thématique ne surprendra dès lors pas : le droit à l'alimentation, alors que l'on compte 1 milliard de personnes souffrants de la faim, s'impose comme une suite logique à la lutte pour plus de justice climatique. Nicolas Van Nuffel, Responsable du département plaidoyer, explique les raisons de ce choix, les enjeux qu'une telle campagne met en lumière et les dysfonctionnements qu'elle entend dénoncer.

En quoi consiste cette nouvelle campagne de sensibilisation ?

Nous avons voulu mettre en évidence une série de phénomènes qui se sont mis en place ces dernières années, à commencer par l'accaparement des terres, c'est-à-dire les achats massifs de terres dans les pays en développement par des acteurs étrangers qui les utilisent pour faire de l'exportation, alimentaire ou énergétique, notamment par la production d'agro-carburants. Ce phénomène a explosé depuis les années 2000. La responsabilité est partagée : les acteurs sont issus des pays en développement mais aussi, par exemple, de l'Union européenne. 

Ce sont les paysans les premiers touchés ?

Ces accaparements se font au détriment des paysans qui cultivaient sur ces terres jusque là. Souvent, ils n'ont pas de titre de propriété formelle. Il est dès lors facile de les mettre dehors en leur offrant de minimes compensations. Cela met grandement en danger le droit à l'alimentation dans ces pays là. 

Vous ciblez l'agro-business, ce "Far-west mondial", responsable de l'accaparement des terres agricoles. Un problème central dans le droit à l'alimentation ?

La production d'agro-carburants est intimement liée à l'accaparement des terres. Elle est poussée par l'Union européenne et ne peut se faire sans importations massives de ce type de carburants en provenance des pays en développement. Et alors que l'on augmente cette production, ce sont les produits alimentaires que l'on sacrifie. Aux dépens du milliard de personnes qui crèvent de faim. C'est extrêmement grave.

En corolaire, vous avez la spéculation en ligne de mire. 

Depuis l'explosion de la bulle immobilière aux Etats-Unis en 2008, une série d'acteurs issus de la finance se sont reportés des marchés immobiliers vers le marché alimentaire, par attrait du gain. Cela est dû en partie aux agro-carburants puisque les cultures entrent en concurrence les unes avec les autres, ce qui fait monter les prix. Cette spéculation, qui entraîne une volatilité énorme des prix, provoque la faim : tantôt chez les habitants des villes lorsque les prix sont élevés tantôt chez les paysans lorsqu'ils sont contraints de vendre à bas prix. Dans un tel système, il y a toujours des gens qui se retrouvent floués.

C'est le système entier que vous remettez en question...

Fondamentalement, c'est tout notre système agro-alimentaire qui est malade et qui n'est pas durable. Les scientifiques l'ont bien montré : la seule manière de nourrir l'entièreté de la population est de promouvoir une agriculture paysanne, de plus petites exploitations, basée sur les principes de l'agro-écologie et non sur l'utilisation de pesticides à base de pétrole, qui sont de toute façon condamnés par l’épuisement des ressources.

Il faudrait adapter le modèle afin qu'il ne soit plus centré sur la productivité, comme l'illustre votre affiche de campagne ?

Si l'on veut nourrir tout le monde, il faut une productivité importante. La question est celle-ci : qu'est-ce que la productivité ? On a tendance à la déterminer par rapport à la force du travail. Or, aujourd'hui, ce qui est de plus en plus rare, c'est l'énergie. Olivier de Schutter (Rapporteur spécial des Nations Unies pour la sécurité alimentaire) insiste là-dessus : le modèle agro-écologique est très productif. On peut produire beaucoup en utilisant moins d'énergie et donc plus de travail. 

Le droit à l'alimentation succède à la justice climatique. L'absence de cette dernière met-elle en péril le premier ?

A cause des changements climatiques, la productivité des terres dans certaines régions d'Afrique pourrait diminuer de moitié d'ici 2020. On estime que la production agricole diminuerait de 10% à l'horizon 2030 et que 40% des terres dédiées au maïs deviendraient inutilisables. 

Or, on sait l'importance de l'agriculture (de subsistance surtout) dans les ménages africain, surtout ruraux...

Aujourd'hui, le paradoxe est le suivant : 2/3 du milliard de personne souffrant de la faim sont des paysans. C'est une aberration ! Ils cultivent d'abord pour l'exportation plutôt que pour les cultures vivrières. Les bénéfices se font ailleurs... 

La révolution verte, qui consiste à augmenter et à généraliser partout dans le monde l'utilisation de semences hybrides dans les cultures est un modèle qui, d'une part, rend les paysans dépendants de ces produits et qui, d'autre part, est néfaste pour la santé. Ce n'est pas l'agriculture de demain puisqu'elle dépend du pétrole; une énergie non renouvelable et polluante. 

Au-delà des décisions politiques, quelles solutions préconisez-vous au niveau local ? A ce niveau, la pression démographique sur les terres agricoles joue un rôle néfaste sur la sécurité alimentaire.

Cela dépend des régions. des tas de régions rurales sont sous-peuplées, du fait justement de la concentration de la propriété de la terre, de la pauvreté et de l’exode rural : chassés de leur terre, les paysans partent à la ville. Il est difficile de se débarrasser de la question politique puisque le problème, c'est que l'on met des paysans hors de chez eux. Dans le sud, il faut mettre en place des politiques qui leur garantissent l'accès à la terre. 

De plus, il faut redonner sa place au droit coutumier, traditionnel : si celui-ci reconnaît depuis des siècles le droit d’une famille à occuper la terre, il n’est pas normal qu’un pays soit poussé par la Banque mondiale à y superposer un régime « moderne » de propriété qui permettra d’exproprier les paysans sans leur consentement, simplement parce qu’il n’ont pas reçu un papier du cadastre. Dans ces cas-là, c’est toujours le plus puissant qui gagne.

Le plaidoyer est dès lors aussi destiné aux dirigeants belges ?

Bien entendu. La Belgique consacre une partie importante de l'aide au développement à l'agriculture. Il faut qu'elle mette en place des politiques cohérentes avec les objectifs qu'elle se donne en terme de coopération. Nous demandons donc que le gouvernement belge soutienne une révision de la directive européenne sur les carburants afin de mettre un terme à l'utilisation des agro-carburants de première génération (ceux qui entrent en concurrence avec la production de denrées alimentaires). La Commission a fait une proposition qui fait un pas dans ce sens, malheureusement insuffisant.

En juin dernier, vous dénonciez au côté d'autres organisations la spéculation sur les denrées alimentaires de banques installées sur le sol belge. Le message a-t-il été entendu par les politiques ?

L'idée fait son chemin... Nous poursuivrons à la rentrée en demandant à la Belgique et à l'UE d'interdire ce type de spéculation, notamment en régulant l'accès aux marchés alimentaires. S'il est important qu'il y ait des marchés dans lesquels ont puisse acheter et vendre à terme pour permettre aux paysans de se protéger contre les risques de sécheresse par exemple, ils doivent être réservés aux acteurs alimentaires, pas aux banquiers. Les denrées alimentaires ne sont pas des produits comme les autres. Il est intolérable de se faire de l'argent sur le dos de ceux qui meurent de faim.

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