Plantations Bolloré : 145 Camerounais saisissent la marque de l’entreprise qu’ils combattent

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Rassemblement devant le siège social du groupe Bolloré pour protester contre l’exploitation des plantations industrielles dans plusieurs pays d’Afrique de la holding Socfin. Crédit photo : Paul Barlet / Le Pictorium / MaxPPP

Mediapart | 28 février 2024

Plantations Bolloré : 145 Camerounais saisissent la marque de l’entreprise qu’ils combattent

Le nom de Socfin, la holding belgo-luxembourgeoise qui détient des dizaines de milliers d’hectares de palmiers à huile et d’hévéas, a été symboliquement saisi en France, dans le conflit qui oppose depuis des années les paysans africains et le groupe Bolloré.

Socfin. Depuis une dizaine d’années, ce nom plane au-dessus du combat de centaines de cultivateurs, en Afrique et en Asie, qui tentent de faire reconnaître leurs droits face aux immenses plantations de palmiers à huile liées au groupe Bolloré. C’est Socfin, holding belgo-luxembourgeoise, qui détient et gère ces plantations, parmi des dizaines de milliers d’hectares de palmiers à huile et d’hévéas sur les deux continents. Mais en France, désormais, la marque Socfin ne peut plus être vendue ou cédée par l’entreprise qui la détient : elle a été saisie.

Mi-février, 145 paysans camerounais ont saisi les droits de la marque auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi), car l’entreprise leur doit 140 000 euros. Si l’argent ne leur est pas versé, ils seront en droit de vendre la marque aux enchères. Cette intervention, symbolique tout autant que spectaculaire, est le dernier épisode d’une guérilla juridique menée depuis fin 2021 dans l’Hexagone par les cultivateurs et leur avocat, Fiodor Rilov − qui défend aussi des plaignants cambodgiens contre Socfin et Bolloré.

Le conflit a été l’objet d’un bref tintamarre médiatique fin 2022, quand le député LFI Louis Boyard avait été violemment pris à parti par Cyril Hanouna sur C8, propriété du groupe Bolloré, pour avoir osé évoquer les accusations portées par les Camerounais : depuis dix ans, une association de cultivateurs conteste la manière dont se sont implantées sur leurs terres les plantations de palmiers à huile de Socfin, qu’ils soupçonnent d’être un faux-nez de Bolloré.

« Notre eau est polluée, les routes ne sont pas entretenues, on ne compte pas les enfants employés par cette société, et les tombes de nos ancêtres sont ensevelies dans les plantations. Voilà pourquoi on lutte », résumait en 2022 Emmanuel Elong, à la tête de l’association camerounaise. Ce combat a été régulièrement chroniqué par Mediapart, dès 2013, puis à partir de 2015.

Sur le plan judiciaire, Emmanuel Elong et ses camarades veulent prouver que Socfin est en fait une filiale directe du groupe Bolloré, afin d’obtenir que ce dernier soit tenu responsable du préjudice qu’ils estiment subir. Depuis 2017, une loi impose en effet aux grandes entreprises un « devoir de vigilance » sur les conséquences des activités de leur filiales – la Poste a récemment fait l’objet de la première condamnation pour ce motif.

Condamnation de la cour d’appel 

Pendant des années, le groupe a répété avec constance n’être en rien mêlé à la gestion de ces plantations, martelant qu’il ne détenait que 38,7 % de Socfin. Sur le papier, c’est bien le dirigeant de Socfin, Hubert Fabri, qui avait la main sur les hévéas et les palmiers à huile de l’entreprise, depuis qu’il s’était partagé avec Vincent Bolloré les restes (considérables) de l’ex-groupe colonial Rivaud, dont le Français a pris le contrôle en septembre 1996 (lire ici notre récit détaillé).

Mais, en vérité, les deux hommes ont toujours entretenu des rapports étroits : Fabri siège dans différentes instances du groupe Bolloré depuis 1987 et Vincent Bolloré lui-même est resté, au côté d’un second représentant de son groupe, l’un des six membres du conseil d’administration de Socfin.

C’est en s’appuyant sur ces éléments et sur plusieurs documents dénichés par Fiodor Rilov montrant les liens entre les deux entités que, fin 2022, la cour d’appel de Versailles a condamné Socfin à transmettre les procès-verbaux de ses quatre dernières assemblées générales, afin de « déterminer le rôle exact joué par la société Bolloré », et à payer 2 000 euros d’astreinte par jour de retard.

Le 30 septembre dernier, le juge d’exécution des peines a constaté que si Socfin avait bien partagé une partie des documents demandés aux plaignants, elle avait aussi « délibérément écarté certaines pièces ». La holding a donc été condamnée à payer les 140 000 euros liés au retard dans la communication des pièces. Le juge a aussi augmenté le montant de l’astreinte à 10 000 euros par jour de retard.

« Socfin a fini par nous transmettre tous les documents demandés par la cour d’appel, mais en revanche, elle n’a jamais versé les 140 000 euros liés à l’astreinte », indique Fiodor Rilov à Mediapart. Peut-être parce que la holding ne possède pas de compte en banque en France, et que l’argent ne peut donc pas être saisi par la justice française. C’était sans compter sur la créativité ou le goût de l’action spectaculaire de l’avocat des plaignants. « Pour l’instant, nous n’avons pas de son, pas d’image de la part de Socfin, poursuit-il. Si nous n’avons pas de nouvelles d’ici la mi-mars, nous nous interrogerons sur la possibilité concrète de vendre aux enchères la marque. »

Cette « première victoire concrète à l’encontre de Socfin, à la portée symbolique », selon les mots de l’avocat, intervient à un moment singulier du feuilleton. Car après les longues années passées dans un farouche déni, Bolloré ne nie désormais plus être aux commandes de Socfin. Le 30 mai 2023, le groupe a publié un communiqué pour annoncer qu’il avait conclu avec le groupe Fabri « un pacte d’actionnaires constitutif d’une action de concert ».

Autrement dit, on peut désormais affirmer que Bolloré et Fabri ont ensemble le contrôle de Socfin (ni Socfin ni le groupe Bolloré n’ont répondu aux questions de Mediapart). Ce qui les contraint à supporter solidairement les obligations qui incombent à l’entreprise. Peut-être de quoi changer la donne dans les demandes des cultivateurs qui veulent faire reconnaître leurs droits.

La bataille n’est évidemment pas jouée pour autant. Vincent Bolloré et son groupe restent extrêmement chatouilleux au sujet de leurs plantations africaines et asiatiques. Au point de multiplier les procès en diffamation sur le sujet et de se voir accusés de mener des poursuites-bâillons destinées à faire taire leurs adversaires qui parleraient un peu trop fort sur ce thème. Exemple parmi bien d’autres, la Socfin et la Socapalm, sa filiale camerounaise, ont poursuivi Mediapart et deux ONG en 2018. Les deux entreprises ont définitivement perdu leur procès l’année suivante.

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