France : La razzia sur les terres agricoles des maraîchers industriels nantais

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Des serres assez grandes pour faire passer des machines à l'intérieur : le paysage du maraîchage industriel. Photo :  Héloïse Leussier / Reporterre

Reporterrre | 10 octobre 2023

La razzia sur les terres agricoles des maraîchers industriels nantais

Des gros producteurs de légumes étendent leurs domaines en Loire-Atlantique. Ce faisant, ils détériorent en profondeur les paysages et les écosystèmes, dénoncent élus, riverains, petits maraîchers et associations.

Bourgneuf-en-Retz, Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique), Commequiers (Vendée), reportage

Par Héloïse Leussier

À une vingtaine de kilomètres au sud de Nantes, des camions remplis de légumes entrent et sortent en continu de la plate-forme logistique de la coopérative Océane, située le long d’une départementale, à l’entrée de la Communauté de communes de Grand Lieu. Juste à côté, d’immenses serres opaques sur plusieurs centaines de mètres. En poursuivant la route plus au sud, le paysage n’est, par endroits, qu’un assemblage de cultures sur sable, de serres en verre et de grands abris plastiques.

Toutes sont gérées par quelques mêmes producteurs, dits « maraîchers nantais », que leurs détracteurs appellent « maraîchers industriels ». À quelques kilomètres de là, la ferme de Rublé, où se pratiquent élevage, transformation du lait, fabrication de farine et pain, et maraîchage bio, fait figure d’ovni. « Bientôt, autour de ma ferme, il n’y aura plus que des maraîchers industriels. Ils rachètent toutes les exploitations à prix d’or », se désole Benjamin, éleveur et membre de l’association la Tête dans le Sable.

« Mettre en lumière les pratiques des maraîchers industriels »

L’association a participé à une manifestation avec Les Soulèvements de la Terre le 11 juin dernier, lors de laquelle des plants de muguet ont été arrachés et une serre expérimentale du Comité départemental de développement maraîcher (CDDM) a été dégradée, provoquant de nombreuses réactions.

« Au moins, cela a permis de mettre en lumière les pratiques des maraîchers industriels », estiment des membres de La Tête dans le Sable. Ils énumèrent leurs griefs : impact sur la biodiversité et le paysage, usage d’eau, de sable et de pesticides, accaparement des terres… Et ils ne sont pas les seuls, car, sur place, les voix qui s’élèvent contre certaines pratiques sont de plus en plus nombreuses.

Qui sont ces maraîchers industriels ? La Fédération des maraîchers nantais, le syndicat qui défend leurs intérêts, se revendique comme le premier producteur français de muguet, mâche, radis et concombres et le quatrième producteur français de tomates en 2018. Elle est adhérente à Légumes de France, l’organisation spécialisée de la FNSEA, qui a dernièrement obtenu l’autorisation de la vente de tomates bio en hiver. Le président du CDDM — centre d’appui technique de la Fédération — est aussi vice-président de Légumes de France.

Les maraîchers nantais sont rassemblés dans quelques coopératives ou organisations de producteurs (OP) autour de Nantes, mais certains ont, en plus, des exploitations dans le Maine-et-Loire et en Vendée. Ils fournissent principalement des grandes et moyennes surfaces, mais aussi des marques comme Florette ou Bonduelle.

La Fédération ne livre pas de chiffres sur les superficies occupées par ses adhérents. Les données fournies par la Draaf Pays-de-la-Loire témoignent cependant d’une nette expansion des cultures sous serre ou abris hauts : « Ces dernières couvrent en 2020 près de 1 600 ha à l’échelle régionale (dont 290 ha chauffés) contre 850 ha en 2010 (dont 180 ha chauffés). En 2020, le département de la Loire-Atlantique héberge à lui seul les deux tiers des serres et abris hauts destinés à la production légumière et 53 % des seules serres/abris hauts chauffés. »

« Le problème, ce ne sont pas les serres en soi, mais l’accumulation des projets », explique Sylvain de la Tête dans le Sable. L’association a déposé un recours avec la LPO44 contre la construction de serres et grands abris plastiques sur 6 ha autrefois occupés par une ferme en polyculture, à Saint-Colomban.

« Ils scindent les demandes en plusieurs projets pour ne pas avoir à faire d’étude d’impact, mais il s’agit au final de la même installation, sur un territoire déjà occupé par des serres sur 60 ha dans un rayon de 2 km ». En parallèle de ce combat, l’association milite contre les projets d’extensions de deux carrières de sable, à proximité immédiate des entreprises de maraîchage.

Didier, un autre membre de la Tête dans le Sable, habitant à Saint-Philbert de Grand-Lieu, a lui vu les paysages changer radicalement par rapport à l’époque où son père était agriculteur. Autour de chez lui : des serres en verre chauffées par des centrales à gaz, des grands abris plastiques, des cultures sur sable… Un maraîcher a même commencé à exploiter 24 ha de terres lui appartenant, en rachetant l’entreprise de l’éleveur laitier auquel il les louait. Du maïs, du blé et du sorgho y sont cultivés… « Pour produire du gaz ». Car certains maraîchers ont aussi investi dans des méthaniseurs.

Des terres achetées à prix d’or

Même le maire de La Chevrolière, président de la communauté de communes, Johann Boblin (LR), (qui dit lui-même ne pas être un « opposant notoire aux maraîchers »), commence à s’agacer de l’expansion des serres qui « transforment le paysage ». Des maraîchers ont racheté en mars 2023 une exploitation sur 280 hectares, sur sa commune, pour un tarif défiant toute concurrence (le collectif Agriculteurs de Grand Lieu évoque le chiffre de 2 millions d’euros).

Il regrette cette attribution par la Safer, d’autant que La Chevrolière s’était portée candidate pour le rachat d’une partie des parcelles, pour y planter des arbres et restaurer la qualité de l’eau. Selon lui, la charte mise en place dès 2013 par la CDDM et les maraîchers pour mieux intégrer les serres dans le paysage n’a « pas rempli ses objectifs ».

En plus des conséquences sur le paysage, certains s’inquiètent pour l’environnement. « [Les maraîchers industriels] rasent les haies, comblent les mares, utilisent des pesticides et des intrants pour un maximum de rentabilité », affirme Guy Bourles, président de la LPO44.

Certaines cultures sont faites hors-sol, dans de la laine de roche, avec un système entièrement automatisé. D’autres le sont en pleine terre, mais sur un sol désinfecté par des machines à vapeur automatiques. « Une aberration écologique », selon Erwan Provost, coprésident du GAB44, qui pointe du doigt la consommation en carburant de ces machines : « Au moins 5 000 litres par hectare. »

Autre sujet qui fâche : l’eau. La nappe de Machecoul, à une quarantaine de kilomètres au sud de Nantes, a atteint l’an dernier « son niveau historique le plus bas, mais la société Vinet continuait d’arroser son muguet, et l’agro-industrie continuait de réclamer et d’obtenir des dérogations », écrivent les Soulèvements de la Terre.

Cette même nappe affiche depuis plusieurs décennies des niveaux de nitrate et pesticides trop importants. Les services de l’État sont censés travailler avec les agriculteurs pour faire évoluer les pratiques, mais un premier programme d’actions mis en place en 2017 n’a pas porté ses fruits. Un nouveau programme a été publié en juin. Mais pendant la concertation, les élus locaux ont fait part de leurs doutes quant à sa potentielle efficacité.

Dans les départements voisins, les maraîchers nantais passent moins inaperçus. En mai 2023, l’entreprise nantaise Primaloire a été condamnée à 50 000 euros d’amende pour l’intoxication d’environ 70 personnes liée à l’épandage de métam-sodium, produit qui n’est désormais plus autorisé, à Brain-sur-l’Authion (49), en 2018.

À Commequiers, en Vendée, à la suite d’un recours par des associations locales, la justice a annulé en 2021 la dérogation de « destruction de sites de reproduction d’espèces protégées » accordée en 2018 par l’État à la SCEA Serre des 3 Moulins, pour construire 23 hectares de serres en verre.

« Si on veut des fruits et légumes pas chers, il faut être performant »

En face, les maraîchers nantais réfutent les critiques. « Lors de l’action du 11 juin, j’ai eu envie de pleurer », affirme Valentin Bonfils, maraîcher à Bourgneuf-en-Retz. « Nous ne sommes pas aussi méchants que l’on nous dépeint. » Pour preuve, il nous fait visiter son exploitation bio, où il cultive sans désinfecter les sols et en utilisant des techniques de Protection biologique intégrée (PBI), comme l’introduction de prédateurs et des ravageurs. « Le CDDM travaille sur la PBI et je trouve cela vraiment regrettable de s’y attaquer », dit-il.

« À partir du moment où on produit à grande échelle, certains pesticides sont indispensables. Si on veut des fruits et légumes pas chers, il faut être performant », estime pour sa part Régis Chevallier, président de la Fédération des maraîchers nantais. Il conteste vivement l’image « caricaturale » véhiculée par certains. Et souligne que les légumes importés — (« un légume sur deux ») — sont souvent produits dans des conditions bien plus critiquables.

Et l’État dans tout cela ? Certains acteurs locaux regrettent en off sa pusillanimité. Contactée, la Dreal de Loire-Atlantique tient à préciser que « plusieurs pratiques de maraîchage sont à la pointe en termes de méthode d’irrigation économe » et que « la France est déficitaire en termes de production de fruits et légumes par rapport à sa consommation, c’est donc un enjeu de souveraineté alimentaire ». Un enjeu qui doit primer sur ceux de l’eau, l’environnement et la santé ?

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