L’Ukraine lève le moratoire sur la vente des terres agricoles contre l’aide du FMI

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Donbass Insider | 31/03/2020

L’Ukraine lève le moratoire sur la vente des terres agricoles contre l’aide du FMI

Dans la nuit du 30 au 31 mars 2020, la Rada a voté la levée du moratoire sur la vente des terres agricoles, ainsi que la loi « anti-Kolomoïski » afin que l’Ukraine puisse potentiellement recevoir une nouvelle tranche d’aide financière du FMI et éviter le défaut de paiement.

Le FMI gagne le bras de fer avec l’Ukraine

Dans le bras de fer qui l’opposait au FMI, il semble que le Président ukrainien, Volodymyr Zelensky, est tombé sur plus opiniâtre que lui. Contre la promesse du FMI d’accorder 8 à 10 milliards de dollars à l’Ukraine, Zelensky a littéralement vendu le pays, et semble s’être aliéné l’oligarque Igor Kolomoïski, au risque de perdre une partie du soutien de ses députés qui lui sont affiliés.

La Rada devait étudier hier soir trois choses : la révision du budget 2020 pour tenir compte de l’épidémie de coronavirus et ré-allouer des fonds pour lutter contre la propagation du virus, la loi surnommée « anti-Kolomoïski » dont le but est d’empêcher d’anciens propriétaires de banques de pouvoir récupérer leur entreprise si elle a été nationalisée (ce qui est le cas de PrivatBank qui appartenait à Kolomoïski), et ce même s’il y a eu des vices de procédure, ne leur allouant au mieux qu’une compensation financière pour le préjudice subi, et surtout la loi concernant la levée du moratoire sur la vente des terres agricoles.

Les deux dernières lois étaient exigées par le FMI pour débloquer une nouvelle tranche d’aide à l’Ukraine. Malgré la situation catastrophique dans laquelle l’économie ukrainienne a été plongée par les mesures prises par le gouvernement ukrainien (à dessein ou pas, la question reste posée), le FMI n’a pas été ému le moins du monde et a insisté pour que ces deux lois soient votées par la Rada comme prérequis au déblocage d’une tranche d’aide qui pourrait aller jusqu’à 10 milliards de dollars (5,5 milliards de dollars de programme d’aide sur trois ans et 4,5 milliards pour faire face au coronavirus).

Or la révision du budget 2020 ne s’est pas du tout passée comme Zelensky et son gouvernement l’espérait. Une forte opposition face aux changements proposés a obligé Zelensky à revoir sa copie, et réviser sérieusement à la baisse le budget proposé pour lutter contre le coronavirus. Malgré cela la deuxième mouture du budget 2020 n’est pas passée le 30 mars au soir.

Le problème c’est que si l’Ukraine n’arrive pas vite à redistribuer les fonds entre les différents secteurs pour dégager le budget nécessaire pour faire face aux conséquences économiques du coronavirus, c’est la banqueroute assurée. Face à cet échec, il n’y avait plus d’autre choix pour Zelensky que de se plier aux exigences du FMI pour obtenir l’aide de l’institution.

Acculé, le Président ukrainien a donc fait voter ces deux lois par la Rada en pleine nuit, alors que le pays est en état d’urgence et les gens confinés chez eux. Bien pratique pour éviter les manifestations de protestation contre ces lois, et surtout celle concernant la vente des terres agricoles, à laquelle s’oppose une majorité de la population ukrainienne.

Zelensky et les députés ukrainiens étaient tous équipés de masques pour éviter la contamination par le coronavirus, et certains portaient même des combinaisons de protection. Une mesure rendue nécessaire par le fait que deux députés ukrainiens ont attrapé le COVID-19.

Le parti de Zelensky se fissure sur fond de loi « anti-Kolomoïski »

Certains députés du parti présidentiel ont pris cela comme excuse pour ne pas venir, d’abord à une réunion du parti il y a quelques jours, puis hier soir, lors de la session de la Rada. La raison réelle derrière leur absence hier soir semble en fait tenir à leurs liens avec Igor Kolomoïski, l’oligarque qui a soutenu et financé Zelensky.

D’après le média ukrainien Liga, c’est à cause de la loi surnommée « anti-Kolomoïski » que la majorité présidentielle se fissure. Cette loi concernant les banques qui ont été nationalisées par l’État ukrainien, était réclamée depuis longtemps par le FMI. D’après le média ukrainien, jusqu’ici le discours du gouvernement de Zelensky était qu’ils allaient gruger le FMI en coordonnant la loi avec Kolomoïski lui-même afin de faire passer une version qui lui convienne, et faire croire au FMI que les députés sont fautifs si la loi a été mal conçue.

Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. D’après Liga, le gouvernement de Zelensky a soumis au vote une loi qui n’a pas été approuvée par Kolomoïski, provoquant l’hystérie parmi les députés liés à l’oligarque. Ces derniers ont soumis un projet de loi alternatif, et même appelé Zelensky à faire officiellement défaut, en disant qu’il n’y a rien de mal à cela.

Face au refus du Président ukrainien d’aller dans cette direction, 35 députés de son parti ne sont officiellement pas venus hier soir (en réalité beaucoup plus), et deux ont même voté contre la loi concernant la levée du moratoire sur la vente des terres agricoles, privant Zelensky de sa précieuse majorité.

Se retrouvant avec seulement 206 députés votant pour la levée du moratoire, Zelensky est allé chercher une coalition avec le parti de Porochenko « Solidarité européenne », le parti « Voix » et le parti « Confiance », afin d’obtenir une majorité (226 députés).

D’après Andreï Portnov, l’avocat qui avait permis le lancement de procédures judiciaires contre Petro Porochenko, des négociations auraient eu lieu entre l’ancien Président et Zelensky, ce dernier promettant d’abandonner les poursuites contre son prédécesseur en échange du vote de son parti.

Le parti « Patrie » d’Ioulia Tymochenko et la « Plateforme d’Opposition – Pour la Vie » ont quant à eux voté contre la levée du moratoire sur la vente des terres agricoles en Ukraine. Ces deux partis ont d’ailleurs déposé des motions visant à empêcher la signature de la loi (et donc son entrée en vigueur), puisqu’il s’agissait la nuit dernière du deuxième (et dernier) passage du projet de loi à la Rada.

Les députés de la « Plateforme d’Opposition – Pour la Vie » ont déclaré que ce vote avait eu lieu sur fond de violations grossières du règlement du parlement et de la constitution ukrainienne, puisqu’il n’y avait que 126 députés présents physiquement dans la Rada, bien loin des 226 députés nécessaires pour faire voter une loi (en clair presque tous les députés présents ont voté pour un de leurs collègues en plus de leur propre vote).

Levée du moratoire sur la vente des terres agricoles : l’Ukraine est vendue à la découpe

Si le contenu de la loi concernant la levée du moratoire sur la vente des terres agricoles peut sembler rassurant sur certains points qui suscitait la crainte, la réalité du terrain, et la corruption endémique en Ukraine font tirer la sonnette d’alarme à plusieurs analystes, blogueurs, politiciens et politologues.

Ainsi, si au départ la limite de surface qui peut être détenue par une seule personne physique est de 100 hectares, dès le 1er janvier 2024 les sociétés pourront acheter des terres agricoles à leur tour et la limite sera alors de 10 000 hectares. La vente de terres agricoles et de terrains appartenant à l’État et aux municipalités leur est en principe interdite.

Les banques pourront recevoir de telles terres comme garanties d’un crédit à condition que ces terrains soient vendus aux enchères dans les deux ans qui suive, en cas de saisie. Le prix des terres agricoles à la vente ne pourra pas être inférieur à leur valeur normative, du moins jusqu’au1er janvier 2030. Enfin, la vente de terres aux étrangers doit être validée par un référendum national.

Ça c’est sur le papier. Maintenant regardons la réalité. Le prix à l’hectare en Ukraine n’atteindra les 1 000 dollars qu’en 2030 d’après Timothée Milovanov, l’ancien ministre du développement économique. Pour comparaison, en Lettonie, qui a le prix par hectare le plus bas de toute l’UE, celui-ci s’élève à 1 400 dollars. Même en Roumanie l’hectare est à 1750 dollars, 4 600 dollars en Bulgarie et 10 000 dollars en Pologne.

En clair, l’achat de terres en Ukraine sera tout à fait rentable pour les acheteurs au vu du prix à l’hectare actuel qui est très largement sous-évalué. Or 40 % des terres agricoles ukrainiennes sont du tchernoziom, une terre très fertile, qui vaut bien plus en réalité que 1 000 dollars l’hectare !

L’autre problème c’est que même à ce prix, les petits agriculteurs ukrainiens n’auront pas les moyens de racheter les terres qu’ils utilisent. Ce sont les oligarques et les sociétés qui vont bénéficier de cette manne, et tout concentrer entre leurs mains, comme lors de la privatisation des entreprises dans les années 90.

Car comme l’a expliqué Alexandre Skoubtchenko, le chef du syndicat de l’immobilier ukrainien, en réalité la loi permettra aux spéculateurs, comme Soros, de dépasser les limites prétendument fixées.

« Oui, ils ont « cousu » dans la loi un schéma selon lequel le terrain sera acheté par les Sorosiens et autres spéculateurs – le droit de transfert par le locataire (!), le premier droit de rachat, sur lequel le propriétaire du terrain ne peut pas influer. Autrement dit, en tant que locataire d’un terrain, je peux vendre mon premier droit d’achat personnellement à Soros, et vous, en tant que propriétaire du terrain, devrez vendre votre terrain à Soros. Dans le cadre de ce régime, tous les terrains loués à partir du 1er juillet 2021 « vont s’envoler » par paquets entiers vers les spéculateurs. Sans limite de 100 hectares », a-t-il écrit sur son mur Facebook.

Pour Skoubtchenko ce sont les terres de l’État qui partiront les premières vers de tels spéculateurs (grâce au fait que le cadastre n’est pas du tout à jour, et que beaucoup de terres de l’État ne sont pas enregistrées comme telles), et cette loi n’apportera aucun développement de l’agriculture, aucun investissement dans l’industrie, ni aucun bénéfice supplémentaire aux villages ukrainiens.

L’autre moyen de contourner la limite a été exposé par l’économiste ukrainien Alexeï Kouchtch. Il s’agit de créer des propriétaires fictifs, qui en réalité appartiendront tous à un même groupe ou une même famille. Une technique proche de celle que j’avais annoncée l’an passé comme moyen de contourner cette limite.

« En ce qui concerne l’adoption de la loi sur l’ouverture du marché foncier et les limites soi-disant introduites à 100 hectares. Sans un mécanisme clair pour contrôler la concentration fictive de terres, cette limite est mort-née. Tout le monde sait très bien comment fonctionnent les conglomérats dits FOP [auto-entrepreneurs – NDLR] en Ukraine, lorsque les réseaux commerciaux, les sociétés postales, les entreprises de bijoux, se composent en fait d’une seule enseigne d’entreprise et de centaines de FOP enregistrés sur des parents, des amis et des employés, ce qui leur permet de réaliser des milliards de transactions sur un seul numéro fiscal. Qu’est-ce qui empêchera nos propriétaires de créer les mêmes conglomérats de centaines de propriétaires terriens fictifs ? Personne et rien. De plus, les risques éventuels peuvent être minimisés en prenant ces actions en garantie de prêts fictifs. Et l’ouverture du marché foncier aux personnes morales est calculée avec précision pour atteindre le point bas de l’économie, lorsque la souveraineté du pays sera réduite à un point tel que je doute fort que d’ici là nous ayons un parlement capable de résister à la confiscation des biens fonciers au profit des créanciers, qui ont déjà inventé pour l’avenir « 400 façons relativement honnêtes de spolier la population de ses terres », » a-t-il expliqué.

Andreï Portnov a dénoncé le vote de cette loi concernant la levée du moratoire sur la vente des terres agricoles comme étant « une trahison par le pouvoir en place de ses électeurs ». Il a aussi annoncé qu’une « nouvelle période commence dans le pays – l’effondrement et la dislocation de l’État ».

Un point de vue partagé par Anatoli Chary, qui a déclaré que la prochaine étape après la vente des terres serait le découpage du territoire national en plusieurs morceaux.

« Je pense qu’il s’agit d’options du type Yougoslavie. Notre faction politique a un plan. Et je vais énoncer ce plan : allez vous faire foutre, on ne rembourse pas les dettes », a déclaré le blogueur ukrainien.

Alexandre Gontcharov, un économiste ukrainien, a quant à lui critiqué le fait que l’Ukraine se soit couchée ainsi devant le FMI, soulignant que le crédit accordé par le FMI ne sauvera pas le pays.

« Ce soir, nos députés ont voté en urgence pour que le FMI mette le tchernoziom ukrainien aux enchères, en échange d’un soutien financier du Fonds et de la Banque Mondiale d’un maximum de 10 milliards de dollars. Mais ce prêt ne nous sauvera pas, car en 2020, l’Ukraine doit rembourser sa dette, qui s’élève à plus de 14 milliards de dollars. Qu’est-ce que c’est, de la stupidité ou de la négligence ? Dans ces conditions difficiles de pandémie de coronavirus, les autorités ukrainiennes auraient dû négocier de manière ferme et constructive avec les créanciers, en insistant sur la restructuration de nos obligations avec l’annulation obligatoire d’une partie importante de notre dette, comme l’ont fait dans des conditions plus favorables la Pologne, la Grèce, l’Argentine et d’autres pays, » a-t-il écrit sur son mur Facebook.

Ce forcing de Zelensky pour faire voter cette loi et son alliance avec Porochenko pour y parvenir pourrait coûter cher au Président ukrainien actuel, mais aussi à l’Ukraine elle-même.

La majorité de la population ukrainienne ne veut pas de cette levée du moratoire sur la vente des terres agricoles, comprenant que cela va encore plus l’appauvrir et la dépouiller du peu qu’il lui reste, de plus, il n’est pas garanti que le FMI donnera la totalité de la somme promise à l’Ukraine (l’institution interrompant régulièrement son aide en milieu de programme), et cela va encore augmenter le niveau d’endettement du pays.

À chaque décision court-termiste du gouvernement, l’Ukraine se rapproche un peu plus de l’effondrement et de l’éclatement. Ce scénario est désormais tellement visible qu’il est énoncé par des personnes publiques aussi différentes que Dmitri Gordon, Anatoli Chary, Mikheïl Saakachvili, ou Andreï Portnov. Avec cette loi, l’Ukraine va être vendue à la découpe, morceau par morceau, jusqu’à ce que l’État ne contrôle en réalité plus rien dans le pays, augmentant le risque que ce dernier s’effondre et se disloque faute d’autorités capables de maintenir ensemble les différentes parties de l’Ukraine.

Christelle Néant

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