«L’Etat ne peut plus continuer à contourner la réforme foncière»

Le Quotidien | 12-12-2009

Cheikh Oumar Bâ, Secrétaire exécutif de Ipar (Initiative prospective agricole et rurale) : «L’Etat ne peut plus continuer à contourner la réforme foncière»

Au Sénégal, seules 65% des terres arables sont exploitées au moment où le pays est confronté à un vrai casse-tête alimentaire. Face à cette situation, la réforme de la loi sur le domaine national reste une voie d’espoir si les terres ne sont pas vendues aux agro-businessmen d’occasion.

La ruée vers les terres arables n’est pas prête de s’estomper. La crise alimentaire aidant, elle tend même à devenir un phénomène mondial dans lequel de grands investisseurs cherchent à rassembler de grandes productions agricoles destinées soit à être exportées vers des pays dans le besoin, soit à être revendues sur le marché mondial. «Le problème de fond qui s’est posé, note le sociologue Cheikh Oumar Bâ, Secrétaire intérimaire de l’Initiative prospective agricole rurale (Ipar) à Dakar, c’est que le monde entier a redécouvert que l’agriculture occupe une place stratégique» dans l’économie et les échanges. C’est pourquoi «cette problématique des terres va continuer à se poser car elle est essentielle» au maintien des grands équilibres locaux et transnationaux.

Au Sénégal, les difficultés liées à l’insécurité alimentaire relèvent de plusieurs ordres : une politique agricole peu lisible parce que brouillonne, un environnement économique non incitatif pour une majorité d’agriculteurs, la baisse de la productivité, la pression démographique, la faiblesse du stock de terres cultivables disponibles, etc. D’après les enquêtes réalisées par l’Ipar à partir des données du Recensement national agricole, «les terres arables représentent à peine 20% de la superficie totale du pays soit 3,8 millions d’hectares, dont (seuls) 65% effectivement cultivés.» Pour le sociologue Cheikh Oumar Bâ, deux questions méritent d’être posées aujourd’hui : «Pourquoi 35% des terres cultivables au Sénégal ne sont pas mises en valeur ? Et comment pourrait-on les rentabiliser pour prendre en compte l’évolution démographique du pays ?» Interrogations d’autant plus essentielles, poursuit M. Bâ, qu’«un actif agricole qui produisait 1 tonne/ha au début des années 60 ne produit désormais (et dans le meilleur des cas) que 500 kgs sur la même surface cultivée».

Or, c’est le rôle de l’Etat d’aménager le maximum de terres cultivables non seulement pour résoudre le casse-tête alimentaire, mais en même temps pour que toutes les familles rurales y accèdent. «C’est une question d’équité», observe le chercheur de l’Ipar. C’est aussi un risque.

De ce point de vue, «la réforme foncière devient importante et inéluctable. Si elle n’est pas résolue, les paysans vont être transformés en ouvriers agricoles. C’est une catastrophe ! Dans les pays développés, le salut est venu du fait qu’une masse de paysans a pris la direction des centres urbains, explique M. Bâ. Or chez nous, la plupart des jeunes ruraux qui veulent sortir de l’agriculture constatent qu’il y a une impasse en ville, sans beaucoup d’opportunités attrayantes. Voyez les drames humains causés par les migrations clandestines».

Comment réformer

Comment procéder à cette réforme ? D’après Cheikh Oumar Bâ, «on ne peut pas, dans le cadre d’une loi d’orientation (Ndlr : Loi d’orientation agro-sylvo-pastorale, Loasp) censée créer le cadre institutionnel dans lequel doivent se dérouler les activités agricoles au Sénégal pour plusieurs années, introduire une autre loi qui réforme en même temps le foncier». La solution ? «Prendre le temps de la réflexion et de la discussion avec les paysans et leurs représentants à la base, avec tous les acteurs du secteur y compris les collectivités locales», propose M. Bâ pour qui il est évident que l’Etat ne peut continuer plus longtemps à «contourner cette réforme foncière» car il est temps de «l’affronter en évitant les séquelles» comme celles intervenues par exemple en Côte d’ivoire. «Aujourd’hui, les paysans sénégalais ont le plus intérêt à la réforme de la loi sur le domaine national.

Cependant, si cette réforme vise à vendre la terre, cela devient grave», avertit le secrétaire exécutif de l’Ipar. «Si on décide de mettre les terres du Sénégal entre les mains d’agro businessmen privés disposant d’assez de moyens et capables de nourrir les Sénégalais, que va-t-on faire des autres, comment prendre en compte les besoins et exigences des générations futures, de l’environnement…», s’interroge-t-il ?

Les initiatives du président de la République comme le plan Reva (Retour vers l’agriculture) et la Goana (Grande offensive agricole pour l’abondance et la nourriture) destinées à arrêter les importations de riz par exemple, Cheikh Oumar Bâ les trouve «justes». «Le problème, c’est comment les aborder.» A ce propos, dit-il, «la stratégie chinoise est intéressante. Voici un peuple qui s’est organisé de façon stratégique grâce à une vision claire pour savoir où il va» alors qu’au Sénégal, «on laisse seuls des individus, des paysans, des hommes politiques qui n’ont pas assez de recul sur les questions d’enjeu stratégique comme l’agriculture».

Jugeant «avantageuse sur le court terme» la coopération agricole avec la Chine, le secrétaire exécutif par intérim de l’Ipar n’en décèle pas moins «des risques, notamment sur le plan démographique». C’est pourquoi l’Initiative prospective agricole et rurale s’est engagée dans des recherches et analyses «pour aider les décideurs à intégrer dans leurs décisions d’aujourd’hui les paramètres ayant des conséquences sur le long terme». La question intéresse l’Afrique, au-delà du Sénégal. «Face à la ruée des Chinois vers les terres africaines, l’Uemoa, la Cedeao et l’Union africaine ont le devoir de développer des stratégies pour faire face et négocier en pensant aux générations futures». Volonté politique, vision et implication des experts africains sont cependant indispensables à cette ambition. La preuve ? «Des chercheurs vous disent qu’au moment où les Asiatiques, notamment l’Inde, faisaient leur Révolution verte, la plupart des techniques et technologies utilisées là-bas existaient déjà au Cnra de Bambey, ici au Sénégal.»
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