Terres cultivables à louer ou à vendre, le marché est en plein essor

Le Courrier | 13 octobre 2009

ALIMENTATION • Après des décennies de manque d’investissement dans l’agriculture, les acquisitions transnationales de terres se multiplient. Opportunité de développement ou risque d’aggravation de la faim?

PABLO DE ROULET

Depuis la crise alimentaire et financière de 2008, de larges mouvements de capitaux se sont dirigés vers la production agricole dans divers pays du tiers monde. Des fonds souverains, des entreprises et des Etats (particulièrement l’Inde, la Chine et les pays du Golfe) se sont lancés dans une course à l’achat ou à la location de vastes étendues de terre pour la production de nourriture essentiellement des céréales – ou d’agrocarburants, en Amérique latine, en Afrique et surtout en Asie du Sud.

En somme, une délocalisation de l’agriculture communément appelée «accaparement des terres» par les ONG. Mais, grande particularité de ce phénomène très multiforme – assimilé à «un risque de néocolonialisme» par le président de l’Organisation pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), Jacques Diouf –, il se développe presque exclusivement entre pays du Sud.

Vu par certains gouvernements du Sud comme l’espoir de création d’emplois et d’investissements agricoles attendus depuis des décennies, elle répond pour une partie des investisseurs à l’ambition d’assurer une souveraineté alimentaire délocalisée. Les investissement offshore de l’Arabie Saoudite interviennent à la suite de l’abandon par le Royaume de plusieurs importants projets de production de blé, jugés finalement trop coûteux en argent et en eau.

Accords opaques

Les risques multiples liés à ces investissements, les problèmes posés au droit au logement, à l’alimentation et aux communautés autochtones ont poussé ONG et organisations internationales à réagir. Fin mai, la FAO publiait conjointement avec le Fonds international pour l’agriculture et le développement (IFAD) et l’Institut international pour l’environnement et le développement la première synthèse du phénomène, basée sur de nombreuses analyses de terrain.

«De toutes les études, celle-ci est la plus fiable. Reste que ses résultats sont très fragiles. Une grande partie des accords se font en secret ou de façon peu transparentes, parfois à l’insu des parlements concernés. Le problème, c’est qu’avec le peu d’informations disponibles, les études sont obligatoirement basées sur des rumeurs. Ce qui n’est pas normal, les ONG locales et les parlements doivent être mis au courant», explique Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation.

Entre pays du Sud

L’expert onusien s’est emparé de la question en publiant une liste de onze recommandations, suivant les principes de défense des droits humains fondamentaux. Le rapporteur spécial demande notamment la transparence dans le déroulement des accord, des études d’impact social et environnemental, la consultation des populations locales, la promotion d’une agriculture à forte densité de main-d’œuvre et l’assurance qu’une partie conséquente de la production alimentaire soit écoulée sur les marchés locaux.

«C’est beaucoup plus simple de faire ces recommandations suivant une perspective de droits humains qui existent déjà, plutôt que de proposer une ligne de conduite ad hoc», ajoute Olivier de Schutter. «Les investissements dans l’agriculture ont été trop peu important depuis vingt-cinq ans. Cette arrivée d’investisseurs peut-être une bonne chose s’ils suivent certains principes.»

Une approche suivie par les pays du G8 lors de leur réunion d’Aquila, en se mettant d’accord sur une ligne de conduite inspirée par l’ex-premier ministre japonais Taro Aso et proche des principes établis par le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation. Reste que le G8 n’est «pas très représentatif des intérêts en jeu qui sont en général des négociations entre pays du Sud, tempère Olivier de Schutter. Le G8 n’a de toute façon pas la possibilité d’imposer des exigences sur des négociations auxquelles il ne participe pas. Ce qui pourrait être très mal pris et vu comme du caporalisme de la part du Nord dans des accords qui concernent le Sud. La FAO et l’ONU sont bien mieux placées pour cela.»

Le précédent malgache

Le cas de Madagascar pourrait également inspirer investisseurs et gouvernements à prendre au sérieux ce type de recommandations, pour assurer la viabilité des accords. En 2008 et 2009, des négociations entre les autorités malgaches et l’entreprise coréenne Daewoo devaient déboucher sur la location de la moitié des terres arable de l’île au constructeur automobile. Un accord qui s’est écroulé en même temps que le président Marc Ravalomanana renversé par Andry Rajoelina le 17 mars de cette année. Si le projet de Daewoo ne saurait être vu comme la seule raison de la chute du gouvernement de Madagascar, il est possible que cet épisode inspire la prudence dans d’autres négociations de vente ou location.

REPÈRES

Un phénomène croissant

  • La CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) s’est penché dans son dernier rapport sur les investissements sur la vente et la location de terres au niveau international.
  • Avec la crise, les investissements à destination des pays en voie de développement sont en baisse. A l’exception notable du secteur agricole.
  • En 2008, les pays du Sud ont investi 1,5 milliard de dollars pour acheter des terres dans d’autres pays du Sud.
  • Parmi les acquéreurs, on trouve la Chine, qui a investi dans le caoutchouc, le maïs et le sucre au Cambodge, la Corée, mais aussi les pays du Golfe. Ce sont ces derniers qui ont passé le plus d’accords ces dernières années.
  • Du côté des pays qui cèdent leurs terres, on peut citer le Soudan, l’Ethiopie ou la Tanzanie.
  • Les investissements sont souvent l’œuvre de sociétés plus ou moins contrôlées par les Etats désireux de sécuriser leur approvisionnement. Là aussi, les entreprises du Sud ne sont pas à la traîne. SPE

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