La « faim » de terres : une conséquence attendue de la crise alimentaire mondiale

Agence Française de Développement

Suite à la crise alimentaire du printemps 2008, la recherche de surfaces agricoles dans les pays en voie de développement anime de plus en plus d’opérateurs privés ou publics disposant d’importantes capacités d’investissement. Alors que la communauté internationale appelle à réinvestir dans le développement agricole, certains peuvent voir dans ces démarches une solution gagnant-gagnant. Le sont-elles vraiment et comment l’AFD peut-elle intervenir pour sécuriser ces processus du côté des pays en développement ?

Après la crise alimentaire, de nouvelles stratégies d’acteurs…

Les populations touchées par la crise du printemps dernier se trouvent essentiellement dans le milieu rural et les grandes villes des pays du Sud. Au-delà des facteurs conjoncturels qui ont déclenché la crise, l’origine structurelle des difficultés se trouve dans la faible productivité du secteur agricole soumis directement à la concurrence des systèmes mécanisés et parfois subventionnés des pays plus développés. Dans ce contexte, le niveau historiquement très faible du prix des principales denrées agricoles n’a pas permis à ces petits producteurs ni d’investir significativement, ni de vivre décemment, quand il ne les a pas contraints à prendre le chemin de l’exode vers les villes.

L’année 2008 a aussi révélé la fragilité de certains pays obligés de recourir au marché international pour satisfaire leurs besoins alimentaires, dans la mesure où ils ne disposent pas de ressources naturelles en quantité suffisante (terres agricoles ou eau). Pour sécuriser leur approvisionnement, ces pays cherchent maintenant à contrôler l’utilisation de terres agricoles ou la commercialisation des produits dans des pays étrangers. C’est le cas de nombreux pays du Proche-Orient et en particulier de pays producteurs de pétrole (Arabie Saoudite, Pays du Golfe, Iran…), c’est le cas également de nombreux pays asiatiques, à commencer par les plus grands d’entre eux (Chine, Inde ?...) ou les plus développés (Corée du Sud…), tous pays dotés de ressources financières importantes et qui pourraient sous peu exporter leur propre insécurité alimentaire.

Deux phénomènes supplémentaires viennent renchérir cette « faim de terre ». La nouvelle rentabilité des activités agricoles, grâce à des cours mondiaux supérieurs à ce qu’ils ont été pendant les vingt dernières années, attirent maintenant des capitaux privés sous toutes les latitudes et anime les rubriques de la presse destinée aux investisseurs. L’anticipation des changements climatiques conduit certains investisseurs à acheter des terres u Nord de l’hémisphère Nord, terres aujourd’hui incultes mais qui pourraient devenir productives avec l’élévation des températures.

…et de nouveaux risques pesant sur les pays les plus fragiles

La nouvelle pression foncière sur les pays en développement concerneraient des dizaines voire des centaines de milliers d’hectares . Elle repose sur deux grands a priori, celui de la disponibilité de terres vierges, notamment en Afrique et celui d’une efficacité accrue de l’agrobusiness par rapport à l’agriculture familiale. En conséquence, les projets d’exploitation de grandes surfaces par des entreprises travaillant en régie se multiplient.

Un certain nombre de risques sociaux et environnementaux sont pourtant associés à ces opérations foncières :

- Il n’existe pas de surfaces agricoles libres de tout droit foncier local. L’appropriation de ces terres, sous forme d’achat ou de location, négociée avec les seuls gouvernements en échange de royalties, peut conduire à l’éviction des populations de leurs terroirs traditionnels et des activités s’y rapportant (culture, pâture, cueillette, chasse, pêche…), ainsi qu’à la création ou l’exacerbation de conflits fonciers susceptibles de remettre en cause la stabilité et la sécurité d’une petite région ou même d’un pays.

- L’exploitation des terres des pays en développement peut créer de la richesse et de l’emploi. Cependant, conduite le plus souvent par des opérateurs agro-industriels visant à couvrir une demande solvable externe, elle n’apporte au mieux qu’une réponse insuffisante à l’insécurité alimentaire du pays concerné, puisqu’elle ne peut couvrir les besoins alimentaires des populations les plus démunies.

- La mise en culture des sols tropicaux fragiles par des entreprises privées moto-mécanisées pose de graves questions environnementales. Le risque que des entreprises étrangères exploitent sur le court terme la fertilité de milliers d’hectares sans la renouveler et abandonnent leur exploitation lorsque les rendements diminueront est loin d’être nul, en particulier pour des cultures annuelles.

Adopter une stratégie claire

Plus que jamais en période de crise, il est nécessaire de disposer d’une stratégie claire en matière de réduction de l’insécurité alimentaire et de politique foncière. L’AFD s’est d’ailleurs dotée d’un cadre d’intervention stratégique pour le développement rural, qui a été récemment actualisé et que vient enrichir les travaux du Comité technique « Foncier et développement » regroupant des acteurs français de la Coopération autour de la question foncière.

Il n’est pas inutile d’en rappeler les principaux axes :

- des appuis à l’élaboration de politiques publiques agricoles pertinentes, partagées entre les acteurs nationaux, cohérentes avec les besoins du pays et prévoyant en particulier la sécurisation foncière et la prévention des conflits fonciers  ;

- des appuis à la production et la commercialisation des produits agricoles, notamment vivriers, en plaçant au cœur de ses interventions l’agriculture familiale paysanne. Le développement de cette agriculture est à la fois un objectif en soi, vu le nombre et le positionnement social de ses membres, et un moyen, dans la mesure où il est aujourd’hui démontré à travers le monde qu’elle est la mieux à même de répondre durablement aux besoins alimentaires des populations rurales ou urbaines, en  assurant le « plein emploi des territoires et des hommes »  ;

Cette stratégie n’exclut pas de travailler sur des partenariats entre entreprises agro-industrielles et paysans, quand il permet aux producteurs d’avoir accès à de nouveaux marchés ou de se diversifier. L’AFD travaille d’ailleurs sur ce type de projet depuis longtemps, en appui à la production cotonnière ou encore pour les cultures pérennes où se développent des plantations villageoises en partenariat avec des sociétés agro-industrielles privées implantées depuis des décennies. Dans le cas de cultures vivrières, il convient en outre de s’assurer que le partenariat entre l’entreprise et les producteurs comportera la possibilité pour ces derniers de conserver une partie des récoltes ou de les vendre sur le marché national.

La précipitation avec laquelle certains pays se sont lancés dans des achats de terres explique le caractère irréaliste de nombreux projets annoncés, qui ignorent ou sous-estiment largement les réalités agraires des territoires sur lesquels ils prétendent poser leur dévolu.

Le financement de tels projets soulève en l’état de nombreuses questions quant à leur cohérence avec les objectifs de réduction de la pauvreté et de croissance durable qui ont été assignés à l’AFD.

Il est par contre du rôle de l’AFD de faire émerger toute autre initiative permettant de promouvoir l’investissement dans la production agricole africaine, qui s’assurerait d’un traitement adéquat des risques environnementaux et sociaux. L’AFD a d’ailleurs pris l’initiative d’étudier la création d’un fonds d’investissements capable de prendre des participations dans le capital d’entreprises responsables investissant dans l’agriculture africaine. Ce Fonds d’Investissement pour l’Agriculture Africaine pourrait être rejoint par plusieurs partenaires institutionnels, comme le FIDA, la BAfD, la Fondation Agra et la Coopération allemande. et associer des investisseurs du Golfe.

Il est enfin du rôle de l’Agence française de développement et de la coopération française de continuer d’accompagner nos partenaires du Sud en matière d’élaboration et de mise en œuvre de politiques foncières et de les aider à améliorer leur sécurité alimentaire au travers de stratégies intégrant, lorsque cela est pertinent, des partenariats équilibrés avec des opérateurs privés étrangers.

José TISSIER et Emmanuel BAUDRAN
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