La course au foncier : regard croisé Nord-Sud à l’occasion de l’assemblée générale d’Afdi en juin 2009

Agriculteurs français et développement international | 25 juin 2009

L’accès à la terre, fondement de l’activité agricole, est au cœur de nombreux enjeux. Dans les pays en développement, l’agriculture est l’une des principales activités économiques. L’accès à la terre constitue donc le moyen essentiel pour les populations de garantir leur approvisionnement alimentaire et générer un revenu. Dans un contexte de crise, les pressions commerciales sur la terre sont de plus en plus fortes dans les pays en développement. En Afrique subsaharienne près des trois quarts de la population vit en zone rurale. Garantir l’accès à la terre des populations les plus modestes, c’est réduire la pauvreté.

Lors de son Assemblée générale à Paris, le 25 juin, l’association de solidarité internationale Afdi (Agriculteurs français et développement international) a organisé une table ronde sur cette question, véritable polémique depuis la crise alimentaire survenue en 2008.

La course au foncier a vu environ 15 à 20 millions d’hectares (ha) changer de mains dans le monde, sur les trois ou quatre dernières années. Sans condamner a priori ce mouvement, de nombreuses questions morales, économiques et sociales peuvent être posées qui amènent à s’interroger sur la nécessité d’un encadrement de ces pratiques.

Les intervenants

  • Michel MERLET - Directeur de l’Association pour contribuer à Améliorer la gouvernance de la Terre, de l’eau et des ressources naturelles (Agter). Diplômé de l’Institut National Agronomique de Paris et spécialiste des questions foncières.
  • Robert LEVESQUE - Ingénieur agronome, il est Directeur de Terres d’Europe-SCAFR. Terres d’Europe-Scafr est un pôle de compétences pluridisciplinaires en matière d’aménagement du territoire qui travaille notamment pour la FNSafer.
  • André THEVENOT - Président de la FNSafer. La FNSafer est une association qui fédère les 27 Safer. Celles-ci ont pour mission de dynamiser l’agriculture et les espaces forestiers, de favoriser l’installation des jeunes, de protéger l’environnement, les paysages et les ressources naturelles et d’accompagner le développement de l’économie locale.
  • Massako KONTA - Riziculteur dans les périmètres irrigués de l’Office du Niger au Mali, il est président de la fédération des sociétés coopératives du Syndicat des exploitants agricoles de l’Office du Niger (Sexagon), l’un des premiers syndicats paysans maliens, créé en 1996.
  • Haja ANDRIANAVALONA - Chargé du Programme Foncier et Aménagement du Territoire au sein de l’ONG HARDI et vice-président de la plate-forme foncière SIF (Solidarité des Intervenants sur le Foncier) à Madagascar. Cette plate-forme a pour objectif de faciliter l’accès à la propriété foncière.
  • Bertrand LAPALUS - Eleveur de bovins charolais dans la Loire, il est administrateur et responsable du groupe foncier au Centre national des Jeunes Agriculteurs (CNJA).
  • Gérard Renourd - Président d’afdi.
Table ronde animée par François GROSRICHARD, ancien journaliste au Monde.

Le compte-rendu

Certains Etats ou sociétés de pays ayant des surfaces cultivables insuffisantes pour assurer leur sécurité alimentaire sont prêts à investir dans le foncier agricole africain. La société sud-coréenne Daewoo Logistics, par exemple, voulait racheter à l’Etat malgache 1,3 million d’ha, transaction qui a finalement avorté. La Malaisie est intéressée par le foncier camerounais et la Chine comme la Libye lorgnent sur les terres maliennes. 1,5 milliard d’ha sont actuellement cultivés dans le monde et 1,5 milliard supplémentaire pourraient l’être, d’où l’appétit de certains. Mais l’investissement de ces derniers dans le foncier agricole permet-il un réel développement local du territoire visé et des populations qui y vivent ?

La capture de la rente foncière

Pour Michel Merlet, directeur de l’association Agter (Améliorer la gouvernance de la terre, de l’eau et des ressources naturelles), ces phénomènes ne sont pas nouveaux, la colonisation en fut une illustration, mais aujourd’hui les Etats étant indépendants, les achats passent donc par le marché. Le terme d’investissement est selon lui trompeur : les investisseurs étrangers ne cherchent pas à développer l’agriculture locale, mais à « capturer la rente foncière ». Leurs objectifs sont avant tout de tirer profit des avantages liés à la fertilité des terres, à l’absence d’impôt sur le foncier et à une main d’œuvre peu chère. En outre, selon lui, « cet afflux massif de capitaux peut être destructeur » pour une grande partie de l’agriculture familiale des pays convoités.

Une absence de transparence

Souvent, ces transactions, qui se réalisent entre Etats ou avec un investisseur privé national ou étranger, sont opaques. « Il n’y a pas eu à Madagascar de consultation des populations locales », et en particulier des petits exploitants, se souvient Haja Andrianavalona, membre de l’ONG HARDI (Harmonisation des actions pour la réalisation d’un développement intégré), à Madagascar. Ces transactions, qui concernent les terres les plus fertiles, sont une atteinte au caractère sacré de la terre pour les Malgaches, « la terre de nos ancêtres ». Haja Andrianavalona explique que les terrains qui avaient été choisis, étaient déjà mis en valeur et étaient des terrains fertiles. « Si l’accord avait été finalisé, cela aurait détruit l’action des petits exploitants sur ces terres, soit par déplacement vers des terres moins fertiles, qui demandent plus de temps à être rentables, soit par instauration du salariat agricole ». Pour lui, l’absence de transparence du gouvernement pose réellement problème.

En effet, les terres achetées ou louées par des Etats ou des sociétés étrangères sont principalement cultivées pour l’exportation, sur des surfaces immenses, faisant des petits exploitants des salariés agricoles, ou les contraignant à migrer sur d’autres lopins où il faut recommencer la mise en valeur agronomique de zéro. Ce salariat est difficile à accepter pour des paysans cultivant leurs terres depuis des générations. En outre, ces productions ne profiteraient pas aux pays hôtes ni aux agriculteurs locaux puisque les Etats qui veulent des terres, désirent d’abord s’assurer une relative sécurité alimentaire. En effet, les prix agricoles très volatils et l’augmentation de la population mondiale font de la terre l’enjeu de nombreuses convoitises.

Une mise en valeur des terres qui ne profite pas à l’exploitation familiale

Au Mali, sur les périmètres irrigués gérés par l’Office du Niger, le gouvernement se lance dans un programme d’aménagement de plus de 350 000 ha afin d’assurer la sécurité alimentaire du pays. Seulement l’Etat privilégie des investisseurs privés, nationaux ou étrangers, tournés vers l’agro-business (plus de 330 000 ha sur le total) et l’exportation, qui ne sont « pas destinés aux exploitants familiaux déjà installés », déplore Massako Konta, le président de la fédération des coopératives paysannes au sein du Syndicat des exploitants agricoles de l’Office du Niger (Sexagon). Les premiers à se manifester sont de grands groupes agro industriels. Des investisseurs chinois contrôlent déjà la sucrerie Sukala et 6 000 ha de plantation de canne à sucre, au travers du groupe Malybia, la famille Kadhafi négocierait l’aménagement de 100 000 ha dont plus de 10 000 d’ici 2012, le projet Millenium Challenge financé par le gouvernement américain concernerait 14 000 ha. En revanche, comme le rappelle Massako Konta, « les exploitations familiales n’ont quasiment aucune possibilité d’obtenir de nouvelles terres » : les nouveaux aménagements destinés aux petits exploitants se font rares et sont souvent confisqués par des fonctionnaires, des commerçants ou des nouveaux exploitants. Face à ce constat, il appelle à un remembrement à l’usage des paysans locaux : « Aujourd’hui, 14 personnes minimum doivent vivre sur 2 hectares ».

Si l’Office du Niger est un cas bien spécifique, cette situation se retrouve, d’après Michel Merlet, dans d’autres Etats, « ces anciens Etats colonisés ont hérité du droit sur le sol qu’avaient les puissances coloniales ». Ainsi il explique que l’on considère que « l’Etat a propriété de fait du sol, ce qui l’autorise à accorder des concessions longues ou vendre des terres. Cela pose la question du droit des gens qui vivent et travaillent là-dessus et du droit d’accès des locaux à de nouvelles terres, en tant que citoyens maliens ». Le problème de la nature des droits de propriété et d’usage sur le sol se pose. Il y a « une confusion terrible à considérer que la terre peut se vendre comme autre chose ».

André Thévenot, le président de la FNSafer, regrette que « dans ces pays en développement, les gouvernements ne font pas assez confiance à leur agriculture, préférant la développer de façon exogène plutôt qu’endogène, car les capitaux sont là », chez les investisseurs étrangers ou les pays tiers. Mais que vont devenir ces terres quand les investisseurs se retireront ? Massoko Konta insiste lui aussi, sur le rôle des Etats et des bailleurs de fonds au Mali : ils affirment « qu’ils ne peuvent plus financer les agriculteurs familiaux et se tournent donc vers les investisseurs. 9 346 ha de projets sont consacrés à des paysans familiaux, contre plusieurs centaines de milliers pour l’agrobusiness ». « La volonté politique est nécessaire pour développer l’agriculture familiale qui va créer la souveraineté alimentaire, et qui va permettre peut-être ensuite d’exporter », estime Bertrand Lapalus, responsable du dossier foncier au syndicat Jeunes Agriculteurs (JA).

L’agriculture devient un secteur « profitable » pour les capitaux. Il y a une concurrence entre investisseurs et individus de plus en plus forte. Cette tension crée des problèmes pour les petits exploitants et rend plus fort le besoin de régulation.

Le problème foncier au cœur de multiples enjeux

La sécurité alimentaire n’est pas le seul enjeu de la question foncière. En effet, pour pouvoir lutter contre le réchauffement climatique, il est nécessaire de conserver les espaces forestiers (voire de les étendre), ce qui peut entrer en concurrence avec la mise en valeur agricole des terres. Il s’agit donc de faire face à la demande alimentaire tout en conservant les surfaces forestières. Les enjeux qui influent sur le foncier semblent énormes : crise alimentaire, maintien de la biodiversité, gestion des ressources en eau... Robert Levesque, le directeur de Terres d’Europe-SCAFR, insiste sur la pression qui existe aujourd’hui sur le foncier sur l’ensemble de la planète : « il y a un besoin d’hectares pour la biodiversité et pour la forêt. Le réchauffement climatique perturbe les régimes hydriques, augmente les sécheresses... il y a donc une réduction de la productivité globale dans le monde et les rendements stagnent voire baissent ».

Si la question foncière semble complexe, Michel Merlet souligne néanmoins « un phénomène massif d’intégrisme sur certaines idées admises au niveau mondial » notamment dans l’analyse de ces phénomènes car la tenure foncière à l’européenne sans la régulation qui l’accompagne « crée les conditions d’une appropriation massive sans contrôle ».

Une nécessaire régulation

On peut néanmoins se demander si ce phénomène d’achats de terres est condamnable. Il peut s’agir d’une opportunité pour les Etats pauvres d’accéder à des technologies agricoles et industrielles et pour d’autres, d’améliorer leur sécurité alimentaire. A condition toutefois d’avoir « un consensus, des conventions avec d’autres pays permettant des régulations dans la mise en œuvre de ces transactions foncières », souligne Gérard Renouard, le président d’Afdi. « Réguler les marchés fonciers est la grande question à traiter », renchérit Michel Merlet. Et il s’agit aussi de mettre en place des compensations pour les agricultures locales : « ceux qui investissent dans les terres, doivent aussi investir dans les industries de transformation au niveau local », prône Gérard Renouard.

L’agriculture familiale : une réponse « moderne »

« Le modèle de l’exploitation familiale dans ces pays est un bon modèle pour répondre au réchauffement climatique, à la volatilité des prix et à la libéralisation de l’économie », explique aussi Gérard Renouard. Et « c’est une réponse moderne », insiste-t-il, « pas un retour nostalgique vers un passé idéalisé ! ». Au Mali, le Sexagon réclame ainsi une autre politique dans la zone de l’Office, donnant la priorité aux aménagements pour l’exploitant familial et initiant un remembrement afin que ces derniers restent dans leurs villages. Et la coexistence avec une agro-industrie n’est pas incompatible, tant que les priorités sont clairement définies.

On le voit, la sécurisation des droits fonciers locaux ne dépend pas seulement de leur définition et de leur protection par la loi. La transparence et l’accès à l’information apparaissent essentiels. Il est ainsi nécessaire que les populations rurales, les premières concernées, soient informées de leurs droits et de la façon de les faire valoir lorsqu’elles sont menacées par de tels projets. Face à cela, la société civile et particulièrement les organisations paysannes, par leur mobilisation et leur travail de plaidoyer, ont un rôle à jouer. Ces organisations doivent ainsi assurer une veille active afin d’éviter notamment la signature d’accords ne respectant pas l’intérêt général et les droits des populations locales.

Ces pressions sur les terres confirment l’urgence d’une définition et d’une application, en lien avec les organisations paysannes, de politiques volontaristes de sécurisation foncière des producteurs et de protection de leurs droits dans le cadre de marchés fonciers internationaux régulés.

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  • 25 June 2009

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