Récolte du soja en Argentine. Les investisseurs étrangers contrôlent aujourd'hui 10% des terres agricoles du pays.
L'Humanité | le 23 juin 2009
Agriculture. En dix ans, la production a pris le pas sur les autres cultures. Santé, environnement, emploi : les dommages de ce boom sont innombrables.
Buenos Aires,
correspondance particulière Il y a plus d’un an, les secteurs agraires d’Argentine démarraient une série d’actions contre le gouvernement, soutenus par une opposition formée de dissidents du péronisme, des radicaux du centre, de la droite et de groupes trotskistes. Le « campo » (le monde agricole) obtint une victoire, avec l’annulation par le Congrès des taxes mobiles à l’exportation sur les oléagineux. Fort de ce succès, il exige aujourd’hui la suppression de toutes les taxes, arguant de la baisse des prix internationaux, alors que 2008 vit ces mêmes prix doubler avant de se rétracter. L’Argentine est devenue en dix ans le paradis du soja, qui a pris le pas sur les autres activités agricoles au point que le pays pourrait importer de la viande de boeuf, une hérésie pour un des trois plus gros exportateurs. Le boom du soja transgénique commence en 1996, sous le gouvernement de Carlos Menem qui se caractérise par la privatisation totale de l’économie : en dix ans, la surface dédiée au soja passe de 12 millions à 26 millions d’hectares, au détriment d’autres cultures : le riz a perdu 22 % de surface, le tournesol 43 %, le coton 60 %, le lin 80 % ; quant au sacro-saint élevage du boeuf, il a reculé de 40 % face à l’invasion du soja, dont 90 % sont exportés. L’agriculture argentine se caractérise, comme sur le reste du continent sud-américain, par la latifundia (vaste domaine agricole). Les gros producteurs possédant plus de 1 000 hectares, attirés par l’extraordinaire rentabilité du soja, lui consacrent 66 % de leurs terres, les moyens quasi la moitié, quand les petits, pour des raisons techniques, ne le peuvent pas. De plus, la semence directe, en réduisant les coûts de production, permet aux grands pools souvent étrangers de louer la terre, promouvant ainsi une agriculture sans agriculteurs. L’avidité qu’a éveillée le soja pousse au déboisement intensif dans les provinces du Nord, malgré les lois fédérales de contrôle que la corruption contourne. Conséquence directe, inondations et glissements de terrain se font de plus en plus fréquents et meurtriers. Sur le plan humain, ces pratiques poussent à l’exil les communautés indigènes et les petits exploitants familiaux. Quant à la santé, elle se voit gravement affectée avec la multiplication des cancers et maladies respiratoires dans les zones à soja, pour cause d’usage intensif de l’herbicide glyphosate et autres pesticides. L’emploi de gamins payés d’une pièce de monnaie pour baliser les terres au moment des fumigations est un des nombreux scandales liés à la culture de la plante. Une commission d’experts et de médecins demande de façon réitérée une loi interdisant les produits liés au soja transgénique, comme cela existe dans certains pays européens. Dernier dommage causé par la fièvre du soja : l’emploi agricole a chuté ; la semence directe, l’usage des pesticides et la location des services pour les travaux de semence et de récolte ont fait baisser le nombre de travailleurs du secteur : pour mille hectares de culture traditionnelle, on estime nécessaire une vingtaine d’employés ; avec le soja, deux suffisent. En dix ans, 500 millions d’euros de masse salariale ont été perdus. Et le « campo » est le secteur économique où sévit le plus fortement le travail au noir, 65 % environ. La journaliste Marie-Monique Robin, pour écrire son livre le Monde selon Monsanto, s’est appuyée sur l’emblématique exemple argentin. Cependant, la folie du soja menace des mêmes conséquences Uruguay, Paraguay, Brésil, et affecte l’orient bolivien, où les grands propriétaires terriens mènent la lutte contre le gouvernement d’Evo Morales. Gérard Devienne
