Piqûre de rappel - Les nouvelles haciendas

(Photo: FAO)

Le Soleil (Dakar) | 12 juin 2009

Avec la crise alimentaire mondiale que prévoient beaucoup d’organismes spécialisés, la « mode » qui, de plus en plus, fait tache d’huile, ce sont les accords de location ou de vente de terres arables entre sociétés et pays étrangers, d’une part, et des nations africaines, d’autre part. Proposés généralement par les pays riches du Golfe et d’Asie surpeuplés, mais qui n’ont pas suffisamment de terres arables, ces accords visent à produire sur des milliers d’hectares grâce à une grande mécanisation, des vivres ou des biocarburants dans des sortes de super haciendas. Malgré ses immenses terres agricoles, notre continent ne parvient pas encore à nourrir sa population qui explose.

C’est de cette incapacité qu’est née la tentation qui pousse aujourd’hui beaucoup de pays africains à ces accords desquels ils attendent sécurité alimentaire et/ou revenus financiers. Ainsi, récemment, la Rd Congo a annoncé la location de 10 millions d’hectares de terres agraires à des agriculteurs étrangers, le Malawi a accueilli des investisseurs chinois, le Kenya a été approché par le Qatar, alors que la décision de Madagascar d’accorder 1,3 million d’hectares de terres à la société sud-coréenne Daewoo Logistics a pesé lourd dans le conflit qui a abouti au renversement du président Ravalomanana. Mais, l’exemple-type reste le Soudan qui a conclu pour 3,5 milliards de dollars des accords avec l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Koweït, l’Inde et la Chine.

Cette ruée vers l’or vert en Afrique inquiète la plupart des paysans du continent, car ils ont peur d’être dépossédés de leurs terres pour aller grossir les bataillons des ouvriers agricoles. Ces exploitations agricoles étrangères sont d’abord destinées à alimenter les marchés des pays d’où elles sont originaires (en vivres ou en biocarburants). Cela ne signifie pas donc aucunement, comme le soutiennent certains dirigeants africains, une garantie de sécurité alimentaire, mais pose à coup sûr des litiges fonciers, des risques probables de dégradation de l’environnement et de bouleversement du lien traditionnel des autochtones avec la nature. Les meilleures terres sont souvent celles ciblées par les sociétés étrangères. Ainsi, les producteurs locaux se verront de plus en plus confinés dans les terres moins fertiles et, de ce fait, produiront moins pour le marché local.

Il est important que l’Afrique produise suffisamment de vivres pour nourrir sa population, car c’est une des conditions de son développement. Mais il l’est autant pour que les intérêts des producteurs et des pays africains soient protégés lors de la conclusion de tels accords qui doivent être du gagnant-gagnant, sinon ils apparaîtront comme une nouvelle forme de colonialisme. Ils peuvent avoir, il est vrai, un effet d’entraînement dans la modernisation de l’agriculture des pays concernés. On pense notamment à une plus grande sécurité alimentaire, à l’augmentation des réseaux d’irrigation et à la construction de pistes de production en milieu rural. Mais, étant donné le déficit démocratique qui existe sur le continent, cette cession de terres peut être dangereuse si elle n’est pas effectuée dans la transparence.

En effet, vu les pratiques mafieuses auxquelles se livrent certains dirigeants africains quand ils traitent avec l’étranger des intérêts de leur pays, il est à craindre que ces accords cachent un véritable bradage au profit de quelques privés qui en tirent comme d’habitude des dessous de table sans se soucier des conséquences qui en résulteront. Et si ces accords sont sous forme de bail emphytéotique (durée de 99 ans), il n’est pas exclu que sans le contrôle et le respect de certaines règles comme indiqué plus haut, des pays peuvent se retrouver à cause de dirigeants véreux, avec des enclaves étrangères sur lesquelles ils n’auront aucune maîtrise. Il n’est même pas exclu, surtout concernant la Rdc, qu’on s’y livre à une exploitation frauduleuse de minerais. Ce sera alors un nouveau partage de l’Afrique en plein 21e siècle.

Par Ibrahima MBODJ
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