Mettre fin à la concentration du foncier agricole

Original_dufumier_0
Marc Dufumier
Alternatives économiques | 25/01/2022

Mettre fin à la concentration du foncier agricole

par Marc Dufumier, agronome à Agroparistech

Une loi destinée à réguler l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires vient d’être adoptée à l’Assemblée nationale, à l’initiative du député Jean-Bernard Sempastous[1]. Elle vise à mettre un frein à l’accaparement de terres agricoles par des sociétés d’exploitants et instaure de nouvelles mesures permettant d’encadrer de telles acquisitions par ces sociétés. Il faut dire que les cessions de terres agricoles via des achats de parts sociales échappaient au contrôle des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer[2]) qui ne parvenaient plus en effet à exercer pleinement leur droit de préemption lors de tels transferts.

Il était possible pour des familles d’agriculteurs de vendre la quasi-totalité de leurs terres à des sociétés d’exploitants en conservant à peine 1 % des parts sociales de cette dernière, sans que les Safer ne puissent intervenir. C’est ainsi que des actionnaires de groupes chinois sont parvenus à acquérir de prestigieux vignobles dans le Bordelais et des centaines d’hectares de terrains aptes à la céréaliculture dans le Berry. Ce mécanisme d’acquisition de terres agricoles par des sociétés chinoises a suscité beaucoup d’inquiétudes dans les régions concernées, mais il n’a pas été utilisé que par des groupes étrangers[3]. Or, on sait que la concentration foncière au sein de toujours plus grandes exploitations est devenue une entrave à l’installation de jeunes agriculteurs et va à l’encontre du renouvellement des générations dans la profession agricole.

Spécialisation croissante

A quoi s’ajoute le fait que la spécialisation croissante des systèmes de production, qui va souvent de pair avec l’agrandissement des fermes, est préjudiciable au développement durable de notre agriculture. Celle-ci permet certes de rentabiliser au plus vite les achats de lourds équipements, et de réduire ainsi les coûts de production, en ayant recours à ces engins sur de toujours plus vastes surfaces. Mais les écosystèmes agricoles ainsi trop simplifiés, du fait de la monoculture ou du mono-élevage, sont aussi exagérément fragilisés, avec des risques accrus de très graves déséquilibres écologiques : pollutions diverses, pertes de biodiversité, prolifération d’insectes ravageurs et d’agents pathogènes, érosion des sols, etc.

La loi Sempastous a bien pour objectif de réduire les concentrations foncières en établissant de nouveaux mécanismes de contrôle aux mains des Safer et des préfets pour autoriser ou interdire les projets aboutissant à des cessions de terres à des sociétés d’exploitants. Ces dispositifs ne sont plus fondés sur un droit de préemption mais sur des demandes d’autorisation préalables pouvant aboutir soit à un refus des transactions, soit à leur autorisation pure et simple, soit à l’imposition de conditions spécifiques. Cette loi ne traite donc finalement qu’un pan de la problématique foncière agricole et on est en droit de se demander s’il ne conviendrait pas d’en envisager une autre de plus grande ampleur. Cela devient même urgent.

Car au vu des tout premiers résultats de l’ultime recensement agricole décennal, révélés par le ministère de l’Agriculture le 10 décembre dernier, le nombre d’exploitations agricoles sur le territoire métropolitain aurait chuté de 21 % au cours des dix dernières années et il n’en resterait plus que 389 000, contre 490 000 en 2010. Nombreux sont les enfants d’agriculteurs qui renoncent à poursuivre l’activité de leurs parents, trop mal rémunérée, et les fermes ainsi « libérées » sont généralement reprises par des voisins ou des sociétés d’exploitants qui agrandissent ainsi leurs domaines.

Tant et si bien que sur une surface agricole totale quasiment inchangée, 26,7 millions d’hectares, la taille moyenne des fermes françaises atteint désormais les 69 hectares, contre seulement 42 en l’an 2000. Par ailleurs, seulement 759 000 personnes occupent en 2020 un emploi dans l’agriculture, soit l’équivalent de 583 000 emplois permanents à temps plein, après une baisse de 12 % en dix ans. L’exode rural et l’achat des terres par les agriculteurs restants risquent par ailleurs de s’accélérer encore davantage au cours des prochaines années puisqu’un exploitant sur quatre a déjà plus de 60 ans.

Concentration foncière

La concentration foncière au sein d’un nombre d’exploitations agricoles toujours moindre ne résulte pas seulement de la trop faible attractivité du métier. Il existe en effet des jeunes ménages qui souhaiteraient aujourd’hui s’installer comme agriculteurs « hors cadre familial », pour mettre en œuvre de nouvelles formes d’agricultures relevant de l’agroécologie, mais ils ne parviennent généralement pas à acquérir les terrains qui leur seraient nécessaires, faute de disposer d’un capital suffisant. Du fait des subventions de la Politique agricole commune (PAC) qui sont principalement accordées en proportion des surfaces exploitées, les terres agricoles restent en effet encore très convoitées et leur prix moyen ne cesse d’augmenter[4].

Les 77 000 plus grandes exploitations, dont le chiffre d’affaires dépasse les 250 000 euros annuels, ont de nos jours une surface moyenne de 136 hectares. Il s’agit le plus souvent d’unités de production motorisées et fortement spécialisées (productions végétales, lait, viandes, etc.) dans lesquelles il est alors possible de rentabiliser au plus vite les très lourds investissements (moissonneuses-batteuses, robots ou salles de traite, etc.). Mais elles ne sont pas les plus pourvoyeuses d’emplois permanents. Les petites fermes qui disposent de 12 hectares en moyenne et dans lesquelles on pratique le plus fréquemment des formes d’agriculture artisanale ou/et biologique ne réalisent, quant à elles, qu’un chiffre d’affaires inférieur à 25 000 euros. Les exploitations agricoles de taille moyenne associant polyculture et élevage sont celles dont les effectifs tendent à décroître davantage.

Du point de vue de l’intérêt général, il conviendrait bien sûr de promouvoir des formes d’agricultures intensives en emplois, pourvoyeuses d’une alimentation saine et respectueuses de l’environnement, au sein d’exploitations familiales. Mais encore faut-il enrayer la concentration foncière aux mains d’un nombre réduit de grands détenteurs plus soucieux de rentabiliser des équipements que de fournir des emplois et rémunérer la force de travail.

Pour cela, la loi Sempastous risque malheureusement de ne pas suffire.

[1.] Loi promulguée au Journal officiel le 24 décembre 2021.
[2.] Sociétés anonymes sans but lucratif sous tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances.
[3.] 36 % des terres agricoles françaises sont détenues sous la forme de telles sociétés d’exploitants et non plus sous la forme de fermes individuelles ou familiales.
[4.] Selon les Safer, le prix s’est encore accru de 1,3 % en 2020, pour dépasser les 6 000 euros par hectare. Avec une hausse annuelle de 5,5 % et un montant de 7 700 euros en moyenne dans les zones de grandes cultures. Source : http://www.le-prix-des-terres.fr

Who's involved?

Whos Involved?


  • 13 May 2024 - Washington DC
    World Bank Land Conference 2024
  • Languages



    Special content



    Archives


    Latest posts