Le discret empire Monaco Resources lève enfin le voile

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MRG est présent dans 40 terminaux portuaires, comme ici au Cameroun, et se dit détenteur de 90 000 ha de terres agricoles
Jeune Afrique |  28 juillet 2020

Le discret empire Monaco Resources lève enfin le voile

Par Rémy Darras - envoyé spécial à Monaco

Depuis la reprise des actifs de Necotrans en 2017, le groupe monégasque (MRG), présent dans la logistique, les mines et l’agribusiness, s’est emparé d’une pléthore de terminaux en Europe et en Chine, qu’il souhaite connecter à ses infrastructures africaines.

On le dit secret. Rares en effet sont les images de lui à apparaître sur la toile. Plus rares encore sont les concurrents, anciens salariés ou acteurs économiques monégasques qui acceptent de s’exprimer à son sujet.

Au début de juillet, Axel Fischer, président du non moins discret groupe polyvalent Monaco Resources (MRG, 5 500 employés), présent notamment dans la logistique et dans les mines, décide pourtant de tomber le masque, au septième étage de son siège dont les fenêtres donnent sur le Rocher.

« Nous n’avons rien à cacher », déclare-t-il à Jeune Afrique dans ce qui constitue sa première interview à la presse.

Une discrétion savamment cultivée ? « J’ai souhaité, avant de nous exposer, que l’on soit d’abord modeste, que l’on fasse nos preuves », poursuit le dirigeant d’origine allemande, devant une élégante bibliothèque où trônent des photos, dont une de lui en smoking au côté du prince Albert de Monaco.

Un chiffre d’affaires en constante augmentation

Né en 2011 du rachat dans la principauté du négociant en acier Steelcom, le groupe a réalisé selon son rapport annuel en 2019 un chiffre d’affaires de 1,02 milliard d’euros (251 millions d’euros de profits), soit presque deux fois celui de 2017 (656 millions d’euros). Il table sur 1,5 milliard d’euros de revenus en 2020.

Cette croissance intrigue. À la fois par la taille de MRG et par le profil de ses dirigeants, jusque-là inconnus au sein des secteurs dans lesquels ils se développent, telle la logistique où règnent de vieilles familles bien établies, les Bolloré, Saadé (CMA CGM), Aponte (MSC), Moller (Maersk)… tout aussi célèbres que taiseuses.

Détenu par le holding chypriote Cycorp First Investment (de la Franco-Libanaise Pascale Younès, dont la carrière s’est faite dans le pétrole, et par ailleurs compagne d’Axel Fischer), MRG paraît au premier abord insaisissable.

Il a, dans un laps de temps très court, réalisé de nombreuses acquisitions. Ses filiales, qui se comptent par dizaines, gardent toutefois toutes le même fil conducteur : les ressources naturelles.

Concession minière en Guinée

C’est en Allemagne, via sa filiale Metalcorp, que MRG trouve son origine, avec une usine de métallurgie axée sur le recyclage d’aluminium. Laquelle détient une concession minière de bauxite de 25 ans en Guinée (300 millions de tonnes de réserves), un projet s’élevant à 1,4 milliard de dollars.

Mais c’est en 2015 que sa diversification commence avec le rachat de Nectar, une société anglaise spécialisée dans l’ensachage de riz détenant des terminaux de vrac (charbon, céréales, riz) au Mozambique, en Sierra Leone, au Liberia et aux Philippines, également actif au Sénégal, au Bénin, au Togo et au Ghana.

Des pays où MRG concurrence notamment l’opérateur belge Sea Invest, qui gère un terminal vraquier à Abidjan et à Dakar, et au sein duquel le monégasque a d’ailleurs débauché plusieurs de ses cadres. Parmi eux : Olivier Ruth, directeur du développement, qui occupait un poste similaire à Sea Invest.

« Le non conteneurisé est un créneau de niche très rémunérateur car, en Afrique, il n’y a pas, pour des raisons de volume, deux ou trois terminaux vraquiers concurrents sur un même port. Ils acquièrent donc de facto un monopole. MRG gagnera beaucoup d’argent s’il réalise beaucoup de volume. La croissance du BTP porte à le croire », estime l’expert en questions maritimes Yann Alix.

Informé en 2017 par Nectar – qui en convoitait certaines infrastructures – de la liquidation du logisticien français Necotrans, MRG crée la surprise en rachetant au dernier moment les dix-neuf agences maritimes africaines en perdition, quand Bolloré s’empare, lui, des terminaux de son meilleur ennemi.

« Avant qu’ils nous approchent, nous n’avions jamais entendu parler d’eux », témoigne un ancien de l’époque Necotrans.

« Racheter ces queues de comète de Necotrans qui ne valaient plus grand-chose a permis à MRG d’accéder aux places africaines. Il s’agit d’une pratique courante pour atteindre des marchés difficiles », témoigne un bon connaisseur du secteur.

Sous la nouvelle entité R-Logistic, le monégasque y procède à une véritable réorganisation des équipes, se séparant des ex-collaborateurs au profit de compétences locales.

Cette restructuration n’a pas manqué de susciter tensions et rancœurs du côté des anciens, des expatriés français qui avaient pour la plupart, et depuis longtemps, développé leurs propres connexions. Le groupe ne compte qu’une quarantaine de salariés à Monte Carlo (sur environ 900 au total).

Un spectre d’activités très large

Après avoir ouvert de nouvelles agences en Mauritanie, au Cameroun, au Tchad et en Centrafrique en 2019, R-Logistic, qui s’est retiré de RDC, prévoit d’ouvrir une succursale au Congo-Brazzaville. S’il compte parmi ses concurrents dans certains pays, Bolloré est aussi à l’instar de CMA CGM l’un de ses clients.

L’étendue des activités du groupe, qui détient par ailleurs 90 000 hectares de terres agricoles, témoigne d’une grande vitalité. Il est actif dans le riz au Congo-Brazzaville, dans la vanille bio malgache, la transformation alimentaire, la maintenance des pipelines, la manutention aéroportuaire au Gabon …

« MRG recrée d’une certaine manière Necotrans, qui de logisticien a voulu devenir trader minier et remonter jusqu’aux produits. Mais il le fait en sens inverse, en partant des matières premières qu’il sait trader jusqu’à l’expertise logistique, un peu comme les forestiers qui, après avoir exploité et développé les forêts, créent des routes, les connectent à des ports, aménagent les infrastructures énergétiques. Ou comme Olam qui a la capacité avec Arise de construire des ports et de maîtriser le flux en amont. MRG pourra orienter ses flux sur ses infrastructures », décrit Yann Alix.

Présent dans 45 pays et 40 terminaux portuaires

C’est en juin 2019 que le groupe, qui finance sa croissance par l’émission d’obligations à Londres et Francfort, a conclu sa plus importante opération en prenant le contrôle d’Euroports, en partenariat avec deux fonds publics belges, auprès d’autres véhicules d’investissements qui arrivaient à maturité.

« De quoi nous positionner comme un acteur global sur la scène mondiale auprès des grands noms du secteur des matières premières », poursuit Samir Idrissi-Ouaggag, directeur général de R-Logistic, qui a repris le périmètre de Necotrans. Jusqu’à constituer un nouvel empire, qui s’étend désormais dans 45 pays, et 40 terminaux portuaires …

À travers Euroports, MRG prend pied dans 26 ports en eau profonde, qui lui permettent de rayonner de Rostock (en joint-venture avec Total) jusqu’aux terminaux chinois de Gao Lan et Changshu, en passant par Charleroi, Gand, Venise, Tarragone (Espagne), la Turquie, la Bulgarie, la Finlande.

Il est le premier opérateur de vrac à Anvers (porte d’entrée européenne pour les marchandises africaines – cacao, café, coton – et premier expéditeur de véhicules d’occasion vers l’Afrique), où il accompagne notamment la Compagnie fruitière.

Autant d’implantations qui lui donnent accès à un large spectre de matières premières : sucre, fruits, minerais et fertilisants, métaux, produits forestiers …

« Nos revenus proviennent d’Europe, où les flux se réduisent, et de Chine, où ils stagnent. C’est en Afrique que se fera le développement de notre groupe. Il existe des flux miniers entre le port de Tarragone [en Espagne] et l’Afrique du Sud. Aujourd’hui, nous déchargeons du papier en Chine, notamment en provenance d’Amérique latine, mais nous regardons comment y décharger des produits africains, comment faire pour connecter tous nos actifs », explique Frédéric Platini, DG de R-Logitech (428 millions d’euros de revenus en 2019, plus de 70 millions de tonnes traitées par an), la structure qui coiffe la division logistique, désormais la plus importante du groupe.

Ce développement répond à plusieurs logiques. Car il s’agit désormais pour MRG de créer des synergies entre toutes ses entités et de capter les grands clients internationaux d’Euroports, comme par exemple ArcelorMittal et Mitsui, qui pourront aussi devenir ceux de R-Logistic.

« Nous souhaitons développer un vrai réseau en Afrique pour ces clients, et donner à notre entité africaine un vecteur de croissance à travers les volumes que nous gérons en Europe et en Chine », commente Samir Idrissi-Ouaggag.

« Ce ne seront plus des négociations de volumes sur une seule place, mais bien au niveau global. MRG peut créer un réseau de franchises mondiales, comme l’a fait DP World, offrir à terme des contrats globaux et une qualité de services à de gros clients jusqu’ici mal servis en Afrique », analyse Yann Alix.

Mais, globalement, il s’agit aussi de maîtriser la chaîne logistique, d’intégrer différents métiers et de diversifier ses risques, alors que le secteur des ressources naturelles est par essence fluctuant.

« Nous avons compris que 80 % du coût des ressources naturelles était lié à la logistique, aux routes, aux barges, au transbordement et au déchargement des bateaux » , souligne Frédéric Platini.

« Cela répond à une pure logique comptable, car en devenant logisticien, MRG génère de la valeur ajoutée pour son propre compte plutôt que pour des opérateurs tiers », analyse Yann Alix.

Stratégie prudente

En tant que négociant sur le marché des ressources minérales et agricoles, le monégasque mène une stratégie prudente qui vise à acheter sur le marché sans spéculer.

« Nous ne sommes pas exposés aux fluctuations. Nous ne souhaitons pas être rémunérés sur la base des prix du marché mais pour les services que l’on offre dans la logistique, la production, la transformation. Certes, on gagne moins à court terme. Si le prix des matières premières augmente, on ne gagnera pas beaucoup plus. Mais, s’il chute, on aura toujours des revenus car les besoins logistiques seront toujours-là », détaille Axel Fischer, qui se rend trois ou quatre fois par an sur le continent.

C’est ainsi que MRG mène la construction du port de Konta (au sud de Conakry), destiné à l’évacuation de la bauxite de sa mine de Garafiri, par sa filiale, la Société des bauxites de Guinée (SBG). MRG, qui espère commencer l’acheminement de la bauxite dès la fin de 2020 suit de près la construction de la route, qui a beaucoup progressé depuis le début de l’année.

« Le plus gros consommateur de flux de bauxite est la Chine, pas l’Europe. Nous allons en développer l’exportation et en faciliter la transformation localement », poursuit Samir Idrissi-Ouaggag.

Le groupe commencera en septembre les travaux pour rendre la rivière Fatala navigable aux petites barges chargées de la bauxite de la mine de Boffa, propriété de Chinalco. Il a obtenu pour cela en octobre 2019 une concession exclusive.

« À terme, ce sera un vecteur massif d’exportations de minéraux. Chaque opérateur minier se soucie actuellement de sa propre logistique sans qu’il y ait une mutualisation des moyens. La Guinée, qui exporte 100 millions de t de bauxite par an, devrait voir ses volumes doubler », expose Frédéric Platini.

L’entreprise qui ne souhaite pas se développer dans le transport conteneurisé discute en ce moment avec les autorités guinéennes pour ajouter un terminal fruitier à son port minéralier, un terminal polyvalent qui désengorgerait le port de Conakry.

Comme le confient par ailleurs ses dirigeants, MRG a été approché par AP Moller Capital, le fonds de la famille Maersk devenu actionnaire de plusieurs filiales du logisticien Arise, pour investir dans des projets communs.

Et il planche déjà sur d’autres terminaux vraquiers, au Liberia, en Sierra Leone, au Ghana et au Bénin, guettant les appels d’offres, sans se désintéresser de la logistique pétrolière au Sénégal et en Mauritanie.

« Si l’on ressent qu’il y a un besoin, on peut être force de proposition pour la construction d’un terminal vraquier et demander à l’État de nous confier sa concession », ajoute Frédéric Platini.

Sans compter son intérêt pour la gestion d’un terminal de fret à l’aéroport d’Abidjan et son ambition de transformer localement les matières premières minérales ou agricoles.

Une croissance silencieuse qui en agace certains

Selon Axel Fischer, le groupe travaille en Afrique de l’Ouest à un important rachat de plus de 100 millions d’euros ainsi qu’à une opération comprise entre 50 et 100 millions d’euros, sur laquelle il ne compte pas s’exprimer pour l’instant.

Une croissance silencieuse qui agace certains acteurs du secteur, qui ne manquent pas de l’éreinter, notamment au sujet des domiciliations du holding et de ses filiales.

« Nous ne sommes pas offshore, mais onshore. Monaco n’étant pas membre de l’Union européenne, nous avons dû, afin de faciliter l’acquisition d’Euroports, avoir une structure au Luxembourg. Là-bas, nous pouvons réduire l’organisation et les coûts. On ne peut pas avoir de filiale qui n’embauche personne. On a un bureau à Chypre, des employés, on y paie des impôts », répond-il.

« Nous sommes partis de zéro, et notre taille implique désormais de communiquer davantage », reconnaît Axel Fischer au sortir de ce premier exercice avec la presse.

D’ailleurs, ayant désormais levé un coin du voile, MRG recherche activement un directeur de la communication.

« On a atteint une taille critique suffisante, on souhaite développer la rentabilité de nos actifs. On est trop gros pour être discret », conclut Frédéric Platini.

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