Pourquoi des scientifiques suisses boycottent le sommet sur l'alimentation de l'ONU

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«Ce sont les agriculteurs et agricultrices qui nourrissent le monde, pas les entreprises»

swissinfo.net 20.09.2021

Pourquoi des scientifiques suisses boycottent le sommet sur l'alimentation de l'ONU

Comment nourrir une population mondiale croissante, dans un contexte de changement climatique? L'ONU organise un sommet consacré à ce défi. Deux agronomes suisses expliquent leur boycott de l’événement.

Johanna Jacobi et Stephan Rist ne feront pas partie des protagonistes qui se réunissent ce jeudi 23 septembre à New York, sous la houlette de l'ONU, pour débattre de la manière de vaincre la faim dans le monde.

Comme plus de 200 scientifiques du monde entier ainsi que des syndicats, d’anciens rapporteurs spéciaux des Nations unies et des ONG, les deux agronomes suisses boycottent le sommet. Non par absence d’adhésion à sa finalité, mais pour dénoncer les conditions dans lesquelles il est organisé.

A la place, Johanna Jacobi et Stephan Rist prennent part au contre-événement. Sa devise, «Ce sont les agriculteurs et agricultrices qui nourrissent le monde, pas les entreprises», résume bien les enjeux de la discorde. Il s’agit d’un conflit impliquant l'agro-industrie face aux petits producteurs et productrices, la société civile qui les soutient, et l’agroécologie, associée aux deux.

Les entreprises dominent-elles le sommet?

«L'équilibre des forces au sommet est déjà fixé», estime la scientifique spécialisée dans les questions environnementales Johanna Jacobi. «Les petites exploitations agricoles familiales - qui produisent plus de la moitié de la nourriture sur moins de 30% de la surface agricole mondiale - ne sont pas représentées de manière adéquate», déclare la professeure, qui enseigne la transition agroécologique à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETH Zurich).

Elle estime que les petits producteurs et productrices sont livrés à une concurrence ruineuse pour la terre, l'eau et l'accès au marché: les entreprises et les propriétaires de terres contrôlent 70% des surfaces agricoles du monde mais ne produisent que 40% de la nourriture. «Or le sommet mondial sur l'alimentation est dirigé par des personnes qui représentent précisément ces protagonistes», dénonce Johanna Jacobi. La scientifique ne croit pas que le sommet puisse rendre les systèmes alimentaires plus durables, écologiques ou équitables.

«Montrer une alternative claire»

Stephan Rist, professeur de géographie humaine et de recherche critique sur le développement durable à l'Université de Berne, justifie également son boycott par des motifs écologiques et sociaux. Il estime que le sommet prône des stratégies et des solutions qui ne résolvent pas les problèmes fondamentaux des systèmes alimentaires actuels mais qui, au contraire, les exacerbent.

Stephan Rist dirige depuis six ans un projet de recherche international sur la durabilité des aliments. Il a montré que les exploitations de petite taille et familiales produisent de manière très proche des principes de l'agroécologie, contrairement aux monocultures des grandes plantations. «Leur principal problème n'est pas de ne pas savoir comment produire de manière écologique et durable, mais que le travail supplémentaire n'est pas rémunéré équitablement par les marchés», explique Stephan Rist. «L'accent mis sur l'agro-industrie ne tient pas compte du fait que ce sont principalement les grandes exploitations agricoles et les entreprises organisées à l'échelle mondiale qui sont à l'origine de la majeure partie du gaspillage alimentaire», ajoute Stephan Rist. Pour lui, il est important de montrer une alternative claire, à savoir l'agroécologie en tant que pratique, mouvement social et science.

Le WEF est un sujet de discorde

Les scientifiques s'offusquent notamment qu’Agnès Kalibata soit responsable du sommet de l'ONU. Membre du Forum économique mondial (WEF), elle a également été présidente de l'Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) pendant de nombreuses années. Cette institution de direction africaine vise à transformer les petites exploitations agricoles en Afrique en entreprises numériques et agro-industrielles prospères.

Ce qui semble a priori être plutôt une bonne chose. Mais, selon Johanna Jacobi, «l'AGRA est critiquée depuis longtemps pour son orientation agro-industrielle». Elle prône les monocultures, les pesticides, les engrais minéraux et les semences provenant de sociétés internationales, ce qui engendre la dépendance des petits agriculteurs et agricultrices. Une étude réalisée par des ONG majoritairement occidentales en 2020 a conclu que l'AGRA n'avait pas atteint ses propres objectifs et que l'initiative avait même un impact négatif sur les petits producteurs et productrices alimentaires.

D’après Johanna Jacobi, Agnès Kalibata est une experte de l'agriculture industrielle. Un avis partagé par Stephan Rist. Pour lui, le lien avec le WEF, qui représente les 1000 plus grandes entreprises du monde, n’est pas anodin non plus: «Lorsque l'ONU a conclu un partenariat avec le WEF dans le cadre d'un accord secret en 2019, il est devenu évident que l'agenda et la définition des problèmes prendraient la tournure qu'ils ont malheureusement prise: une feuille de route en faveur d’une agro-industrialisation globale, qui ignore tout simplement les intérêts légitimes des familles et des petits agriculteurs et agricultrices.»

Le problème présenté comme la solution

«Le sommet sur l'alimentation des Nations unies repose sur un énoncé du problème qui défie tout examen scientifique critique», déclare Stephan Rist. «Il part du principe que les systèmes alimentaires mondiaux ne deviendront plus durables que si la production alimentaire agro-industrielle se développe encore davantage.» Selon le chercheur, les conséquences négatives de l'agrobusiness, telles que la déforestation, la pollution des sols et de l'eau, les atteintes à la santé humaine et animale, l'accaparement des terres et la spéculation sur les denrées alimentaires ne seraient pas prises en compte.

«Dans le système alimentaire agro-industriel, beaucoup d'énergies fossiles, de pesticides, de semences commerciales et d'engrais artificiels sont utilisés pour produire des aliments qui sont livrés le moins cher possible à la population mondiale, malgré d’énormes dégâts économiques.» Du point de vue des systèmes alimentaires durables, une telle orientation n'est pas une stratégie judicieuse, car elle présente comme une solution ce qui est le problème fondamental de l'agriculture actuelle, selon Stephan Rist.

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