Défendre les terres, le soulèvement à venir ?

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Crédits photo : Les Soulèvements de la Terre.

Rapports de force | 15 avril 2021

Défendre les terres, le soulèvement à venir ?

Maïa Courtois

Les Soulèvements de la Terre : un nom porteur, pour une campagne rassemblant depuis mi-mars une centaine de collectifs et d’associations autour de la défense des terres nourricières. Toute l’année, des actions sont prévues pour mettre en lumière, au niveau national, des luttes locales anciennes ou récentes. Plusieurs acteurs sont également engagés dans la journée nationale contre la réintoxication du monde, ce 17 avril. Une vingtaine d’actions sont prévues dans toute la France.

Dans la grisaille, des centaines de femmes et d’hommes s’attellent à retourner la terre, pour y faire grandir des plantations. Plus loin, dans un champ fleuri, une banderole « Face au foot business, foot populaire » est déployée. Ce week-end du 10 et 11 avril, à Rennes, se tenait la deuxième journée d’action dans le cadre de la campagne Les Soulèvements de la Terre, lancée mi-mars. Malgré l’interdiction préfectorale tombée la veille, plus de 300 personnes étaient réunies. L’enjeu : défendre La Prévalaye, 450 hectares de terres agricoles, contre l’extension des infrastructures du Stade Rennais.

Deux semaines auparavant, le premier acte du mouvement, aux Vaîtes à Besançon, visait à sauvegarder une trentaine d’hectares de jardins populaires et de terres maraîchères, menacés depuis plusieurs années par un projet d’éco-quartier. Près de 500 personnes étaient alors rassemblées. « Il s’agit de donner de la visibilité nationale à des luttes locales, pour que les responsables locaux se sentent plus fragiles », résume Benoît*, habitant de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, participant à l’organisation de ces Soulèvements de la Terre.

Le fil rouge de ces temps de luttes ? Le foncier. Les actions des Soulèvements visent à défendre les terres nourricières. L’urgence est d’« agir pour sortir de cette impasse entre d’une part, l’artificialisation galopante et destructrice ; et d’autre part, des processus d’accaparement du foncier par l’industrie agricole avec des régulations défaillantes des pouvoirs publics », résume Gaspard Manesse, maraîcher et porte-parole du syndicat Confédération Paysanne Île-de-France. Le prochain rendez-vous, les 22 et 23 mai, en Haute-Loire, s’opposera à un projet de contournement routier menaçant près de 30 fermes et 140 hectares de forêts et zones humides.

Une vingtaine d’actions « contre la réintoxication du monde »

D’ici là, un important rendez-vous aura également lieu dès ce 17 avril, dans le cadre de l’appel à agir contre la réintoxication du monde. Ce mouvement a été initié à la sortie du premier confinement, avec un premier acte le 17 juin 2020. En Loire-Atlantique, « on s’était concentré sur l’usine Yara, à Saint-Nazaire, qui est un des gros pollueurs mondiaux au niveau des engrais ; et sur le soutien à la ZAD du Carnet » retrace Yves Hubert, membre du conseil d’administration de l’association NDDL Poursuivre Ensemble. Une deuxième journée a eu lieu le 17 novembre. Cette fois, dans le département, « on s’était focalisé sur la lutte contre le projet Amazon ».

Le troisième acte, ce 17 avril, visera à soutenir la lutte locale à Saint-Colomban, contre un projet d’extension d’une carrière de sable : « le sable sert pour le bétonnage, et le maraîchage de type industriel » dénonce Yves Hubert. « Saint-Colomban était un joli petit village, et c’est déjà devenu une mer de plastique… ». Partout en France, une vingtaine d’actions sont prévues dans le cadre de cette journée. À Paris, la manifestation s’opposera aux grands projets inutiles liés à l’organisation des Jeux Olympiques ; dans le Tarn, à l’autoroute Castres-Toulouse ; dans le Morbihan, à la filière soja et aux fermes usines…

Du collectif local à l’ONG, des mouvements rassembleurs

Ces deux mouvements, les Soulèvements et Agir, sont nés sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Après la lutte victorieuse ayant abouti à l’abandon du projet d’aéroport, en 2018, « il y a eu tout un mouvement pour que ces terres ne soient pas accaparées par des grandes fermes, mais demeurent destinées à la petite paysannerie. Cette bataille foncière s’est stabilisée, puis on a voulu étendre cette lutte contre l’artificialisation à d’autres ZAD, d’autres combats contre l’agro-industrie » retrace Benoît.

Une réunion, en janvier 2021, a rassemblé les collectifs et associations signataires de l’appel des Soulèvements, afin de déterminer ensemble le calendrier des événements sur l’année. « Il y a tout le temps des luttes locales, des syndicats paysans aux côtés des associations environnementales, mais cela reste local. Là, c’est un mouvement généralisé au niveau national : c’est cela qui est nouveau », se réjouit Yves Hubert.

Du collectif pour le Triangle de Gonesse aux Amis de la Terre, une centaine de collectifs locaux, organisations nationales, syndicats, sont signataires de cet appel des Soulèvements. En parallèle, nombre d’entre eux sont également porteurs de la journée d’action contre la réintoxication du monde. Dans ces deux initiatives, la volonté est de « donner un coup d’accélérateur » à la constitution d’un front commun, souligne Benoît, en « réunissant des acteurs des luttes qui ne composent pas toujours ensemble, mènent parfois des luttes séparées. Fédérations paysannes, jeunes militants désirant des formes d’action toniques, courants auto-gestionnaires : on avait envie de regrouper ces sphères ».

« Depuis le début de l’histoire de la ZAD, il y a une synergie entre les paysans et une jeunesse militante » rappelle Gaspard Manesse. Associer la Confédération Paysanne aux autres acteurs des Soulèvements « permet d’avoir un fer de lance politique », considère-t-il ainsi. La deuxième saison des Soulèvements, à partir de l’automne, se concentrera de fait sur des actions visant des instances politiques. Une marche nationale, partant d’une terre menacée par l’artificialisation en Île-de-France pour converger au pied d’institutions dirigeantes au cœur de Paris (chambres d’agriculture, ministère…), est en cours de construction.

« La question foncière est une question sociale »

En outre, dans ces deux initiatives, « la dimension sociale n’est jamais oubliée. Dans le mouvement Agir, il s’agit aussi de lutter contre l’exploitation de l’homme par l’homme, par exemple contre les conditions de travail exécrables chez Amazon » défend Yves Hubert. Devant l’usine Yara, le 17 juin, un texte destiné aux salariés avait ainsi été lu : « on ne veut pas les mettre en porte-à-faux ».

Au-delà de leurs acteurs communs, les deux mouvements partagent donc une parenté dans l’analyse des modes de production et de consommation. « La question foncière est une question sociale. Il s’agit de la réappropriation des moyens de subsistance » martèle Benoît.

« Le problème du capitalisme est autant social qu’écologique. Donc de fait, des synergies s’opèrent » abonde Gaspard Manesse, citant  la coordination des précaires dans les théâtres occupés, ou encore les manifestations communes entre le comité Adama, les gilets jaunes et les militants écologistes. « Une certaine convergence des luttes est nécessaire face au rouleau compresseur politique ». Ce rouleau compresseur, « au vu de notre expérience à Notre-Dame-des-Landes, on peut arriver à l’enrayer », soutient Benoît. « Mais l’histoire nous a appris que sans des fronts unis, à la composition hétérogène, on ne peut pas gagner ces luttes ».

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