Belgique - Bilan de la législature : le gouvernement Michel a mis le cap sur l’agriculture industrielle

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Le changement de stratégie de la Belgique met en danger la sécurité alimentaire au travers de certains projets, comme le soutien à Feronia en RDC


CNCD-11.11.11 | 15 mai 2019

Bilan de la législature : le gouvernement Michel a mis le cap sur l’agriculture industrielle

Véronique Rigot

A l’approche des élections, quel bilan peut-on tirer des cinq années du gouvernement Michel en ce qui concerne la politique belge de coopération dans le domaine de l’agriculture ? Quels étaient les engagements pris et quelles ont été les grandes étapes ? Et au-delà, quelles sont les avancées (et les reculs) en matière de cohérence des politiques pour la souveraineté alimentaire ? La législature écoulée aura surtout été marquée, au niveau fédéral, par un soutien explicite au modèle agro-industriel, éloignant les politiques de l’appui à l’agriculture familiale et paysanne.

A l’instar de la fiscalité ou du climat, l’agriculture est une compétence partagée entre le fédéral et les Régions. Ces dernières disposent des compétences liées à leur territoire, mais l’Etat fédéral reste le premier acteur en matière de coopération au développement, principale compétence internationale en matière d’agriculture. Notre analyse se focalisera sur l’action du gouvernement fédéral en matière de coopération au développement et de cohérence des politiques pour le développement.

Un accord de gouvernement fédéral succinct dans un contexte mondial critique

L’accord de gouvernement fédéral publié en 2014 faisait peu de cas du domaine de l’agriculture dans la politique belge de coopération au développement. Ainsi, si le soutien à l’agriculture familiale était mentionné parmi les secteurs de concentration dans les pays partenaires, il faut chercher pour trouver plus de développements. Pourtant, le contexte mondial était critique au moment où le gouvernement Michel entrait en fonction. En effet, à quelques mois de l’échéance fixée pour l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement, une famine extrêmement grave menaçait au Soudan du Sud et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation (FAO) tirait la sonnette d’alarme sur l’état de l’insécurité alimentaire dans le monde. En particulier, la situation en Afrique subsaharienne reste inquiétante : « Plus d’une personne sur quatre reste chroniquement sous-alimentée, alors qu’en Asie, région la plus peuplée du monde, se concentre la majorité des affamés : 526 millions. »

Priorité aux pays qui vivent les plus grands défis en termes sécurité alimentaire

Tout au long de la législature 2014-2019, le secteur de l’agriculture n’a pas échappé aux grandes tendances qui se sont imposées aux autres secteurs de la coopération belge. La Belgique a renforcé la concentration de son aide publique au développement dans les pays les moins avancés (PMA), et en particulier les 14 pays prioritaires, des pays majoritairement situés en Afrique subsaharienne et donc particulièrement exposés à l’insécurité alimentaire et à la malnutrition. Mais elle l’a fait en mettant la priorité sur le soutien à l’insertion des grandes exploitations dans les chaînes de production de valeur, dans des pays où soutenir l’agriculture paysanne familiale est cruciale compte-tenu du faible degré de développement.

Les engagements quantitatifs de la Belgique ne sont pas remplis

Malheureusement, suite aux réductions budgétaires, les engagements chiffrés ont été abandonnés. En 2008, alors qu’il était lui-même ministre de la Coopération au développement, Charles Michel avait pris l’engagement de consacrer 15% de l’aide publique au développement à l’agriculture à partir de 2015. Il avait par ailleurs adopté une « note stratégique » qui ciblait l’agriculture familiale et paysanne comme priorité de la Coopération belge. Par cet engagement, notre pays se situait à la pointe des bailleurs internationaux dans l’appui à l’agriculture familiale et à la sécurité alimentaire. La Belgique pouvait jouer un rôle prépondérant tant avec ses partenaires que dans les organisations internationales. La Belgique a atteint son objectif en 2015, mais en a perdu le fil en 2016 et 2017 : on est passé de 15,21% en 2015 à 11,69% en 2016, avant de remonter à 13,46% en 2017. Les montants de l’APD belge destinés à la lutte contre la faim sont donc en forte baisse, alors que les indicateurs du second Objectif de développement durable sont en recul, en particulier pour les pays les moins avancés.

Suppression du Fonds belge de sécurité alimentaire et priorité au secteur privé

La baisse de l’aide belge dédiée à l’agriculture est directement liée à la décision du gouvernement fédéral de démanteler le Fonds belge de sécurité alimentaire (FBSA), qui était pourtant reconnu pour son efficacité dans la lutte contre la faim. Si le ministre s’était engagé à en reprendre les montants au travers d’autres canaux de financements, les coupes budgétaires importantes ont eu raison de cet engagement.

La Belgique a par ailleurs adopté un modèle de soutien au secteur privé qui favorise les grandes entreprises exportatrices et obtient des résultats moindres en termes de lutte contre la pauvreté et de préservation du développement durable. L’évaluation commanditée en cours de législature par le Service de l’évaluatrice spéciale a ainsi mis en évidence que les projets d’économie sociale, de soutien aux organisations paysannes et de commerce équitable obtenaient de bien meilleurs résultats dans ces domaines. Cela n’a pas empêché le ministre d’accélérer la mutation vers le soutien aux exploitations à grande échelle, en prenant très peu en compte la lutte contre les inégalités, qui est pourtant au cœur du deuxième Objectif de développement durable.

Comme spécifié dans la nouvelle Note stratégique agriculture et sécurité alimentaire, la priorité n’est plus le soutien à l’agriculture familiale durable et la réalisation du droit à l’alimentation, mais le soutien aux entrepreneurs agricoles.

La Belgique s’est éloignée du soutien à l’agriculture familiale

Le changement de stratégie de la Belgique met en danger la sécurité alimentaire au travers de certains projets. Ainsi, en augmentant le soutien financier public belge à des entreprises (par le biais de l’agence belge d’investissement BIO), la Belgique a favorisé l’accaparement de terres vivrières. C’est le cas du soutien à l’entreprise canadienne Feronia en République démocratique du Congo, documenté par le CNCD-11.11.11 et ses partenaires. Preuve s’il en est de ce changement de priorité, la Belgique s’est abstenue lors du vote au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur la Déclaration sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

En outre, la Belgique n’a pas adopté la proposition de loi-cadre sur le droit à l’alimentation. En un mot comme en cent, la Belgique s’est éloignée du modèle de soutien à l’agriculture familiale, pourtant prôné par les Nations Unies : l’agro-écologie.

Enfin, la Belgique n’a pas exclu de ses financements de coopération le soutien aux programmes « Climate Smart Agriculture » qui contiennent beaucoup trop de programmes basés sur l’utilisant d’engrais de synthèse entraînant dépendance et endettement des paysans, réchauffement climatique et menace sur la fertilité des sols. Trop de projets de ce programme vont à l’encontre de la priorité de la FAO qui est de développer des programmes d’agro-écologie. La Belgique ne peut justifier le financement de ce programme par la présence de projets agro-écologiques, car ces projets sont minoritaires dans le programme.

Moins de spéculation sur les denrées alimentaires

En matière de cohérence des politiques dans le domaine de l’alimentation, le bilan de cette législature est lui aussi très mitigé. On peut d’abord se réjouir du fait que la spéculation sur les denrées alimentaires ait été limitée, l’autorité des marchés (FSMA) ayant soutenu la mise en place d’un moratoire sur la vente aux particuliers de produits financiers basés sur les matières premières agricoles. Par ailleurs, si l’agriculture a été exclue des Accords de partenariat économique (APE) avec les pays africains, les matières agricoles industrialisées ne l’ont pas été. En conséquence, l’Europe n’a pas imposé l’arrêt des exportations de poudre de lait écrémé, de plus ré-engraissé à l’huile de palme, vers les pays partenaires, alors que ces exportations menacent le secteur laitier des pays partenaires.

La Belgique n’a par ailleurs pas mis en œuvre de régulation publique des labels sur les produits fortement responsables de déforestation et de non-respect des droits humains, comme l’huile de palme. Les produits les plus controversés ne sont pas interdits et il n’est actuellement pas possible pour les consommateurs belges de faire des choix éclairés.

Pas de limitation des agrocarburants à base de nourriture

A l’issue de la législature, l’huile de palme reste par ailleurs bien présente dans les carburants belges. La Belgique a en effet décidé d’augmenter les quantités d’agro-carburants de première génération introduites dans tous les carburants, alors qu’ils sont reconnus comme ayant un impact plus important sur le réchauffement climatique que les carburants fossiles. En outre, ils renforcent le problème d’accaparement de terre et ont un impact négatif sur la sécurité alimentaire mondiale. La Commission européenne elle-même recommande une diminution de l’utilisation de ces agro-carburants

Remettre la priorité sur l’agriculture familiale et l’agro-écologie

On le voit, la politique menée sous cette législature a conduit à réorienter les priorités, au détriment de l’agriculture familiale, de la cohérence des politiques et de la lutte contre le réchauffement climatique. Nous attendons des futurs gouvernements fédéral et régionaux qu’ils défendent une nouvelle Politique agricole et alimentaire commune basée sur la transition agro-écologique et la souveraineté alimentaire, en vue de répondre en priorité à la demande européenne, d’éliminer les excédents et de mettre fin à toute forme de dumping vis-à-vis des pays en développement.

Enfin, un des grands enjeux de la prochaine législature sera de consacrer au moins 15% du budget de la Coopération belge à la réalisation du droit à l’alimentation. L’objectif consiste à recentrer la priorité sur le soutien aux systèmes alimentaires durables, basés sur l’agriculture familiale et les pratiques agro-écologiques, en priorisant les micros, petites et moyennes entreprises locales et les entreprises de l’économie sociale et solidaire.

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