Cameroun : Scandale foncier : La tentative de hold-up de la PHP

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Camer.be 22 mars 2016

CAMEROUN :: Scandale Foncier : La tentative de hold-up de la PHP

Usant et abusant de sa surface financière, la société française qui spolie depuis les nationaux veut s’accaparer de 75 ha de terres appartenant à des familles camerounaises à Njombé. Décryptage.

Décidément, la PHP n’a pas bonne presse, les frasques de cette entreprise faisant bien souvent la Une des journaux. Il y a sept ans déjà, dans un article ayant alors fait grand bruit, la journaliste française Fanny Pigeaud (Libération, 18 mai 2009) sous le titre « Cameroun, une exploitation de bananes au goût amer » dénonçait les pratiques de cette société, s’alarmant des abus économiques et sociaux dont elle se rend quotidiennement coupable. Il y était notamment décrié la pollution des sols et de la rivière qu’utilisent les populations locales pour leur survie, de fait d’un usage répréhensible et irresponsable de fongicides et pesticides qui, entre autres, est source de maladies respiratoires, dermatoses ainsi que d’un taux de cancers anormalement élevé. Sur le plan social, pouvait-on y lire, c’est l’absence de liberté syndicale, le règne des licenciements abusifs, de mauvaises conditions de travail. Avec en sus, des « procédés douteux, voire illégaux » d’accaparements des terres pour ses activités qui sont la culture de la banane douce.

Et c’est ce dernier point qui défraie actuellement la chronique, depuis ce 17 mars que s’est tenue une conférence de presse à Yaoundé, qui a remis au centre du débat les dérapages de la PHP, celle-ci voulant continuer à se comporter chez nous comme en pays conquis, on dirait au temps des colonies.

Les faits

Avec la privatisation de l’Organisation camerounaise de la banane (OCB) intervenue en 1991, la PHP reprend les activités de cette structure et met en exploitation quelques 4 500 ha de terres. Dans cette superficie 4 000 ha lui sont concédés par l’Etat, le reste appartenant à des privés nationaux avec lesquels elle signa des contrats de bail. Parmi ceux-ci la famille Nkemadjou qui, avec deux autres, lui cèdent 75 ha de terre pour une période de 25 ans.

Montant du loyer : 100 000 F CFA par ha et par an. Des miettes, au regard de ce qu’en tirent les exploitants français. En effet avec 300 000 F CFA de gain à l’hectare, c’est-à-dire presque 1 500 000 000 de nos francs qui sont engrangés par les Français sur leur exploitation. Ce qui rend dérisoire les 7 500 000 F CFA annuels reversés aux trois familles ci-dessus évoquées. Ayant pris la pleine mesure de leurs intérêts ainsi lésés, ces dernières n’eurent d’autre choix que d’attendre la fin de la validité d’un tel bail léonin pour une partie, décidées d’en revoir les termes ou tout simplement ne point le reconduire à son échéance.

De quoi l’Etat se mêlerait ?

Cette année 2016 donc, le temps convenu étant échu, la famille Nkemadjou proposa à la PHP de nouvelles conditions portant notamment sur le montant du loyer, à charge pour le cocontractant d’y souscrire ou de refuser les nouvelles clauses, ce qui entrainerait ipso facto son départ du site. L’incongruité fut que la PHP, au lieu d’entrer en négociations pour trouver un modus vivendi avec les propriétaires, balaya d’un revers de la main ces prétentions somme toutes légitimes, alléguant qu’en vertu du contrat signé entre elle et l’Etat du Cameroun, elle continuerait son exploitation de ces 75 ha sur la base du prix convenu il y a un quart de siècle.

L’on ne peut qu’être sidéré par une telle mauvaise foi, pour diverses raisons. D’abord l’augmentation du coût de la vie suite à l’inflation sans cesse galopante qui n’épargne aucun secteur, surtout pas celui des loyers. Autant le PHP ne vend point ses produits de nos jours au même prix que dans les années 1990 (donc au siècle et millénaire dernier !) autant les 7 500 000 F CFA d’avant n’ont guère la même valeur actuellement, loin s’en faut. Ensuite le rôle de l’Etat dans l’affaire, qui concerne deux privés. Le protocole d’accord existant entre l’Etat et la PHP régissant l’exploitation des terres des communautés propriétaires ne pouvant, de jure, prévaloir sur les exigences de ceux qui ont la pleine possession des parcelles en question. L’Etat n’ayant le pouvoir de décider que sur la superficie part lui aliénée, en dehors de celles appartenant à ses nationaux.

La famille Nkemadjou, qui précisons-le détient un titre foncier sur sa superficie depuis 1972, ne pouvait évidemment laisser continuer la forfaiture, un de ses fils agissant au nom de tous les ayants-droit, ayant au demeurant saisi les autorités administratives pour attirer leur attention sur le problème. Rien n’y aura fait, tout se passant comme si on les laissait à la merci des négriers blancs afin que ceux-ci puissent leur imposer la non révision du bail. Intervint Me Thomas Dissake Kwa. Cet avocat, natif du coin et ulcéré par les errements de la PHP dont souffrent depuis les populations du cru, prit les choses en main pour  faire dire le droit. Se méfiant de la justice camerounaise dont certains magistrats auraient pu être stipendiés par des valises de billets, la PHP jouissant de moyens colossaux, il décida d’internationaliser le dossier en faisant saisir la justice française.

Car la PHP appartient à la Compagnie fruitière basée à Marseille, propriété de la famille Fabre. Par le truchement de Me Jean François Chanut, inscrit au barreau de Marseille, l’affaire est portée devant les tribunaux de la cité phocéenne. Et c’est pour éclairer l’opinion publique sur les contours et le contenu de ces arcanes que l’avocat français est venu au Cameroun la semaine dernière, pour faire le point avec son confrère camerounais et tenir cette conférence de presse. Car ils savent avoir un gros morceau devant eux. En effet, la PHP appartenait au départ pour 60% à la Compagnie fruitière et 40% à la société américaine Dole Food Company Inc ainsi que certains privés camerounais. Mais il y a deux ans qu’elle est devenue la propriétaire exclusive des Fabre, ceux-ci ayant racheté du portefeuille les actions détenues par les autres.

La PHP, qui du reste a reçu la visite  de tout un sous-ministre français, le secrétaire d’Etat à la coopération Alain Joyandet en mars 2009, a annoncé pour le titre de 2013 un chiffre d’affaires de 800 000 000 d’euros, se targuant d’employer 18 000 personnes même si en vérité elle compte 6 000 salariés (1er employeur privé au Cameroun), les autres tirant leurs revenus d’activités connexes liées à sa production. Chaque année, c’est plus de 130 000 tonnes de bananes qu’elle exporte par ses propres bateaux depuis le port de Douala. Présente aussi en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Sénégal, sur le continent africain la Compagnie fruitière produit pas moins de 450 000 tonnes de fruits et légumes par an, et en distribue jusqu’à 800 000 tonnes en Europe. Car ayant d’autres concessions ailleurs.

Etat dans l’Etat

Ces données chiffrées permettent à souhait de réaliser quel est le poids financier de la PHP, qui a assez de moyens pour s’acheter les ténors du barreau et user du dilatoire pour amener les tribunaux locaux saisis par des tiers, à se déclarer incompétents. Vous avez dit affaire de gros sous ? A cet égard, il convient de relever que la PHP ne se contente pas de s’attirer les bonnes grâces des magistrats mais aussi celles de l’administration, les « chefs de terre » saisis par le fils Nkemadjou ayant sans cesse botté en touche au lieu de défendre les intérêts de leurs compatriotes lésés. Mais avec la saisine des tribunaux hexagonaux et l’éclairage apporté à l’opinion publique mondiale, cette véritable tentative de hold-up ne saurait prospérer, le fils Nkemadjou assisté de ses conseils étant décidé d’aller jusqu’au bout nonobstant toute pression dans son refus de voir se poursuivre cet esclavage économique, cette exploitation éhontée.

Même si elle est étouffée au Cameroun, la procédure engagée à l’extérieur devrait porter ses fruits, est-il convaincu. N’en déplaise aux personnalités de la République qui œuvrent dans l’ombre au profit de la PHP, membres du gouvernement et parlementaires pour ne citer que ceux-là, qui se soucient comme d’une guigne de voir frustrer économiquement leurs compatriotes, nuire à leur santé par des épandages aériens de produits toxiques que la PHP sait pourtant interdits en France. Sans que cela gêne outre mesure l’Ordre de Malte (France) avec lequel elle est en collusion, ce mouvement disant prôner… l’humanisme. Hum ! Ces accointances relevant du conflit d’intérêts, des compromissions et de la corruption, doivent connaitre un terme. Surtout en ces temps où le chef de l’Etat invite les Camerounais à investir et s’investir davantage dans l’agriculture.

Penja étant une zone aux riches terres très propices aux activités agricoles, en cas de non reconduction du contrat de bail de la PHP, les Nkemadjou pourraient bien se débarrasser des bananiers pour cultiver le poivre de Penja, labélisé par l’OAPI car jouissant depuis septembre 2013 d’une indication géographique protégée ; ce qui a notablement valorisé ce produit sur le marché mondial. Sinon, à quoi aurait-il servi que France 2, la première chaîne publique de ce pays, ait dans son programme Cash Investigation en 2013 tiré à boulets rouges sur l’accaparement de terres du fait de la PHP, sujet d’une émission intitulée « Les récoltes de la honte » ?

© La Nouvelle Vision : Ahmed Mbala

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