L’accaparement des terres agricoles du sud renforce les famines

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Côté positif : Les populations sont mieux informées et passent à l’action comme jamais auparavant.

Témoignages | 10 février 2018

L’accaparement des terres agricoles du sud renforce les famines

Quand des sociétés étrangères soustraient des millions d’hectares aux cultures vivrières

Thierry Brugvin

La famine a sévi fortement dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Est (Somalie, Kenya, Ethiopie, Djibouti, Ouganda, Soudan du Sud) en 2017. Elle a touché 20 millions de personnes selon l’ONU, notamment parce que la sécheresse frappait ces territoires depuis fin 2016, qui se conjugue avec la pauvreté économique, les guerres… Avec le réchauffement climatique et la croissance de la population, les enjeux alimentaires et agricoles deviennent progressivement de plus en plus tendus. Cette tension impacte donc aussi les terres agricoles disponibles.

En 2016, « le groupe China Hongyang, spécialisé dans la fabrication et la commercialisation… d’équipements pour les stations-service et l’industrie pétrolière a pourtant acquis, 1700 hectares de terres agricoles dans le département de l’Indre. C’est la « branche investissement » de ce groupe qui a racheté, à prix d’or, ces parcelles à trois exploitants français ». Selon le gouvernement français des « connexions avec des groupes agro-industriels » avaient été établies « pour exporter la farine », vers la Chine car elle « n’assure pas son autonomie alimentaire » [1].

« Des capitaux russes intéressés par des vignobles réputés, des fonds de pension belges attirés par les grandes cultures céréalières, des investisseurs chinois dans le lait… Une « course aux hectares agricoles » semble avoir démarré. Alors que les terres cultivables risquent de se faire rares, ’’il va y avoir une concurrence importante sur la production agricole’’, pronostique Robert Levesque de la Fédération nationale des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, qui regroupe les 26 Safer qui couvrent le territoire, des structures d’intérêt général en charge de l’aménagement de l’espace rural. « Ces fonds cherchent à maîtriser les exploitations qui produisent les biens agricoles » [2].

Facteur de développement du capitalisme

Cependant, en 2011, les investisseurs étrangers n’étaient impliqués que dans moins de 1 % des transactions en 2011, soit 6 000 hectares environ, selon une étude d’Agrifrance. Or, la France use des mêmes pratiques, avec des entreprises, telle AgroGeneration présidé par Charles Beigbeder, qui a acheté des terres dans des pays de l’Est de l’Europe. Ce n’est donc pas très cohérent au plan écologique et financier concernant les transports. Les terres agricoles sont donc soumises à une mise en concurrence croissante au sein du marché mondial.

Or, comme le montre Polanyi dans son ouvrage la Grande transformation, au 18e siècle ce processus de marchandisation des terres était comparable, mais à l’échelle nationale en Angleterre. Ce fut un des facteurs de développement du capitalisme. Il explique que la société de marché n’a commencée à naître qu’a partir à partir du 18e siècle en Angleterre, avec la loi sur les enclosures entre 1760 et 1840, qui chassa les paysans de leur terre et créa un marché de la terre (à vendre ou à acheter). Une fois que s’est développée un marché du travail (des travailleurs disponibles) et de la terre, s’y est adjoint un marché de l’argent. Mais c’est véritablement au 19e siècle, à partir de l’abolition de la loi sur les pauvres (Speenhamland Act) de 1834, que la société de marché prend véritablement son essor [3].

Les plus riches s’accaparent les ressources agricoles

En 2008, à Madagascar, « le sud-coréen Daewoo Logistics s’est lancé dans la culture de maïs et la production d’huile de palme, où le groupe bénéficie d’une licence d’exploitation de terres immenses pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. Un accord signé avec le gouvernement, en juillet 2008, lui accorde 1,3 million d’hectares de terres, soit l’équivalent de la moitié des terres arables de la Grande Île. Les Sud-Coréens comptent, de ce fait, renforcer la sécurité alimentaire de leur pays, quatrième plus gros importateur de maïs » [4]. Alors que le pays ne produit pas suffisamment de denrées alimentaires pour se nourrir, la population s’insurge. Ainsi, en décembre 2008, le maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, appelle à une grève générale, contre le président de la République de Madagascar, Marc Ravalomanana. En mars 2009, Rajoelina chassera Ravalomanana du pouvoir, pour y prendre sa place. Généralement, ces achats de terres se font discrètement entre les pouvoirs publics et des transnationales, la population n’est pas informée et donc ne se révolte pas.

La mise en lumière médiatique de l’accaparement des terres à Madagascar en 2008, avait favorisé un début de prise de conscience par le mouvement altermondialiste mondial, de cette nouvelle tendance vers l’accaparement des terres à l’échelle internationale. Cela consiste pour les pays les plus riches et les grandes entreprises des pays industrialisés à acheter des terres au détriment de l’agriculture vivrière locale. Les locations (généralement à très long terme) et ces achats de terres par des agro-industriels visent à cultiver les céréales qui manquent dans leur pays ou à développer des agrocarburants. À travers ces réformes foncières de nature néolibérale, il s’agit d’ouvrir le marché des terres agricoles aux populations les plus riches d’occident mais aussi des pays émergents, telle la Chine, afin que les plus riches puissent s’octroyer les ressources agricoles qui leur manque. Or, ces achats se déroulent majoritairement dans les pays les plus pauvres qui ont donc déjà des difficultés à nourrir correctement leur population.

60 millions de personnes menacées d’expropriation

En 2008, le rapport du Grain évaluait déjà, à 40 millions d’ha, la superficie des terres, qui avaient été achetées par des transnationales [5]. Des populations locales sont parfois expulsées, le prix des terres augmente, alors que les terres agricoles accessibles aux petits paysans manquent dans certains pays, tel au Brésil, où les mouvements des « paysans sans terre » militent contre cette situation. L’ONU estimait que 60 millions de personnes sont menacées d’expropriation du fait de l’expansion des cultures destinées aux agrocarburants, dont cinq millions de ces personnes se trouvant en Indonésie [6].

L’association GRAIN explique dans son rapport de 2016,, cette tendance s’est « poursuivie et s’est aggravée », car depuis 2008 et les émeutes de la faim dans les pays en développement, « les prix restent résolument élevés et l’accès à l’alimentation est une lutte quotidienne pour la plupart des gens ». Cependant, certains projets ont été révisés à la baisse. Par exemple, « au Cameroun, par exemple, après de nombreuses protestations de la part de la population, le projet Herakles a été réduit de 73 000 à 19 843 hectares.

La résistance s’organise

Au Brésil et en Argentine, des entreprises chinoises confrontées à l’inquiétude soulevée par l’accaparement de terres par des étrangers ont tenté d’élaborer des accords permettant d’obtenir la production des exploitations agricoles plutôt que l’achat des terres elles-mêmes. Mais il éloigne encore un peu plus les paysans sans terre de la possibilité d’accès à des terres agricoles. De plus, l’accaparement mondial des terres agricoles continue de concerner autant les ressources en eau que les terres. Cependant, il y a un aspect positif, c’est que le niveau de résistance et de mobilisation déclenché par ces transactions est radicalement différent de ce qu’il était en 2008. Les populations sont mieux informées et passent à l’action comme jamais auparavant. La première base de données publiée en 2008 dévoilait environ 100 initiatives lancées à la fois par des gouvernements et des entreprises. En 2016, Grain recense « 491 accaparements de terres, portant sur 30 millions d’hectares dans 78 pays. Grâce aux mouvements sociaux, la croissance à ralenti depuis 2012, néanmoins, le problème continue de s’amplifier. [7]

Les partisans des politiques sociales opposés à la mondialisation libérale des terres agricoles notamment, défendent au contraire la relocalisation de la production, l’autonomie alimentaire, agricole, économique et politique. Ce qui n’empêche pas en même temps à ces territoires de mener néanmoins une solidarité économique internationale. De plus, ils entendent aussi faire cesser les politiques néocoloniales de leurs gouvernements. Car relocaliser la production d’une nation, afin de promouvoir l’emploi local, mais en continuant à exporter de manière agressive vers l’extérieur et à importer à très bas prix les marchandises n’existant pas dans leur pays seraient incompatibles avec des valeurs de solidarité.

Thierry Brugvin
Auteur de « Le pouvoir illégal des élites », Max Milo, 2015.

[1] ATCHOUEL Guillaume, « Indre : un groupe chinois rachète 1 700 hectares de terres agricoles », La Dépêche, 07/05/2016.

[2] CHAPELLE Sophie, « L’accaparement de terres et la concentration foncière menacent-ils l’agriculture et les campagnes françaises ? » Bastamag, 7 avril 2014.

[3] POLANYI Karl, La Grande Transformation, Gallimard, 1944, p. 204.

[4] COURRIER INTERNATIONAL, Daewoo gagne le gros lot, 20 nov. 2008

[5] GRAIN, Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière, Octobre 2008.

[6] FORUM PERMANENT DES NATIONS UNIES sur les questions indigènes, 2008

[7] GRAIN, Accaparement mondial des terres agricoles en 2016 : ampleur et impact, Rapport 2016, Grain, Barcelone, Espagne.

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