Après la Chine, la Corée du Sud à l'assaut de l'Afrique

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La dimension soft power est très importante : la Corée du Sud étant désormais une puissance internationalement reconnue, elle souhaite avoir une politique internationale qui lui est propre.  Crédit Pixabay

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Après la Chine, la Corée du Sud à l'assaut de l'Afrique

Alors que la présence chinoise en Afrique monopolise l'attention des observateurs internationaux, la plus discrète Corée du Sud y est aussi très implantée. Son modèle économique et politique pourrait davantage séduire le continent africain.

Atlantico : Alors qu'au cours de la dernière décennie, la "ruée" des investissements chinois en Afrique a monopolisé l'attention et les travaux de nombreux commentateurs, la Corée du Sud semble elle aussi s'intéresser à ce continent. Comment se déploie la présence sud-coréenne en Afrique subsaharienne, quel en est l'objectif réel ? Que représente la présence coréenne par rapport à la présence chinoise ? 

Pascal Dayez-Burgeon : La Corée du Sud s'intéresse à l'Afrique, et cela a échappé à de nombreux commentateurs tout simplement parce que l'intérêt pour la Corée du Sud est faible. 

Les raisons de la présence sud-coréenne en Afrique sont économiques : il s'agit de vendre et de placer les produits sud-coréens.

La présence économique sud-coréenne est double. D'une part, c'est un petit pays qui ne peut plus assurer son autosuffisance alimentaire : elle essaie d'acheter des plantations qui lui permettraient de produire les éléments de base qu'elle ne peut plus produire sur son territoire (sucre, maïs, etc.). Mais cette stratégie n'a pas vraiment porté ses fruits : à Madagascar, les Sud-Coréens se sont heurtés à des difficultés et à des résistances de la population qui n'est pas prête à vendre son sol. D'autre part, les Sud-Coréens s'intéressent aux pays moyennement développés dans lesquels il y a une bourgeoisie. En ciblant la bourgeoisie africaine, la Corée du Sud cherche à vendre tout ce que le "rêve sud-coréen" permet d'obtenir : des téléviseurs, des ordinateurs, des machines à laver, etc. Tout l'électroménager et toute l'électronique sudcoréenne sont moins chers, de très bonne qualité, de très bonne réputation et nourrissent les fantasmes africains. Ainsi, les portables Samsung s'arrachent comme des petits pains et représentent un véritable symbole de réussite. 

Tout comme la Chine, la Corée du Sud essaie d'investir pour avoir des terres agricoles (même si dans ce domaine, elle ne peut pas supplanter la Chine, cette dernière étant beaucoup plus puissante), mais contrairement à la Chine, elle cible toute la consommation et la bourgeoisie moyenne. A cet égard, depuis dix ans, des réunions très régulières avec les pays du Maghreb et les pays les plus avancés de l'Afrique subsaharienne sont organisées. Il est intéressant de noter que certains départements de français des universités sud-coréennes se sont transformés en "départements de français-aide aux pays de l'Afrique" car les Sud-Coréens souhaitent s'adapter aux pays francophones d'Afrique, ce que les Chinois ne font pas. 

La dimension soft power est également très importante : la Corée du Sud étant désormais une puissance internationalement reconnue, elle souhaite avoir une politique internationale qui lui est propre. 

Par ailleurs, deux dimensions très importantes de la présence sud-coréenne en Afrique sont souvent négligées par les médias : d'une part la religion, et d'autre part la rivalité avec la Corée du Nord : 

  • En Corée du Sud se trouvent de nombreuses sectes protestantes, qui sont très actives en Afrique, en Amérique latine et au Proche-Orient. 

  • La Corée du Nord a une politique africaine très prononcée et soutient quasiment toutes les dictatures. Jusqu'aux années 1980, seule la Corée du Nord était présente en Afrique. Au Sénégal, le gigantesque monument en l'honneur de l'indépendance a été intégralement construit par les Nord-Coréens ; au Zimbabwe, en Namibie, des statues de 3, 4, 6 mètres en l'honneur des dictateurs africains sont l'œuvre des Nord-Coréens (ces derniers ayant un grand savoir en la matière puisqu'ils font des statues de 30 mètres pour leurs propres dirigeants). Maintenant que la Corée du Sud a les moyens d'une politique africaine, elle ne veut pas laisser l'Afrique aux mains de la Corée du Nord ; il est d'ailleurs fréquent de voir deux ambassades coréennes dans certains pays africains. 

Par rapport à la présence chinoise, la présence sud-coréenne ne représente rien, mais c'est tout à fait normal : les Sud-Coréens sont arrivés plus tard (la présence de la Chine est ancienne et remonte à l'époque de Mao) et sont bien moins nombreux. Par ailleurs, la Corée du Sud est un pays totalement unifié dans lequel il y a très peu de noirs et les diplomates sud-coréens n'ont aucune envie d'aller en Afrique. Persistent donc des réticences. Néanmoins, en termes de soft power, les Sud-Coréens se rendent compte que l'Afrique est le continent qui monte et qu'ils ont intérêt à être très présents. D'autant plus que la culture sud-coréenne séduit en Afrique : la nouvelle vague sud-coréenne "Hallyu" marche très bien en Afrique, alors que la France est encore très réticente (toute l'élite parisienne continue à dire que c'est grotesque). Les Sud-Coréens avaient d'ailleurs organisé des salons du Hallyu à la porte de Champerret et il était surprenant de constater à quel point les Africains étaient présents ! 

La Chine et la Corée du Sud pourraient-elles "entrer en concurrence" sur le continent africain, ou ont-elles des approches complémentaires ? Leurs intérêts se dirigent-ils vers les mêmes pays ? 

La Corée du Sud vend à l'Afrique de l'électroménager et de l'électronique tandis que la Chine se place plutôt sur les secteurs du textile et des biens de consommation de faible qualité.

En outre, les Chinois sont très bons dans le secteur du grand équipement (les chemins de fer, les bâtiments, etc.) et les sud-Coréens excellent dans la construction de bâtiments de luxe : les Chinois se positionnent sur les "bâtiments de base" et les Sud-Coréens sur les "bâtiments de prestige".  

Il est difficile de différencier les deux pays en termes de présence géographique car la Corée du Sud tout comme la Chine sont présents dans à peu près tous les pays. Ce qui les intéresse avant tout, ce sont les pays où ils peuvent avoir des implantations économiques ou qui sont riches en pétrole. Néanmoins, la Corée du Sud privilégie les pays en voie de développement pour lesquels elle peut représenter un modèle.

Quelle est la "valeur ajoutée" que peut apporter la Corée du Sud au continent africain ? Peut-on considérer que le modèle sud-coréen a plus à apporter aux pays africains que l'exemple chinois ? 

La Corée du Sud est un pays qui a été un pays dictatorial pauvre et qui est maintenant une démocratie riche. Elle démontre très clairement que si elle n'avait pas été une démocratie, elle n'aurait pas connu un tel développement économique. En outre, la Corée du Sud est une ancienne colonie qui a réussi son indépendance, et les pays africains sont des pays qui ont été colonisés et qui aimeraient réussir leur indépendance : la Corée du Sud est donc en quelque sorte un "modèle non blanc" pour l'Afrique. Elle peut donc inciter les pays africains à être plus démocratiques. Même si elle n'est jamais qu'un partenaire parmi d'autres, elle véhicule un message intéressant. 

Entrent également en jeu le rôle de l'éducation (les Sud-Coréens ont réussi grâce à leur système éducatif), les femmes et l'alliance des deux (l'éducation des femmes). L'intégration des femmes au système économique est un élément clé de la réussite sud-coréenne. C'est donc un message important pour l'Afrique.  

Enfin, sa maîtrise des technologies de l'information et de la communication est un réel atout et montre que l'on peut faire de l'éducation hors les murs. L'efficacité du système sud-coréen a d'ailleurs bénéficié au Rwanda qui a obtenu ses conseils. Grâce à l'expertise sud-coréenne, tout un pays peut être raccordé, non pas par des ordinateurs (car il y a très peu d'électricité en Afrique), mais grâce aux téléphones. On peut même imaginer que dans certains villages reculés, les jeunes puissent un jour devenir étudiants en assistant à des cours en ligne sur leurs téléphones. Les avancées de la Corée du Sud en matière cyber-éducatives, cyber-culturelles et cyber-technologiques sont sans commune mesure et peuvent servir aux Africains qui sauteront une étape (celle de l'école partout, des universités dans les murs) et passeront directement à une civilisation en ligne. C'est là un véritable ajout de la Corée du Sud. La Chine, quant à elle, apporte du travail. Elle fait travailler les Africains dans des chantiers, des usines, mais n'apporte aucun savoir-faire technologique (tout simplement parce qu'elle ne l'a pas).

Propos recueillis par Emilia Capitaine

Pascal Dayez-Burgeon
Normalien, agrégé d'Histoire et diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, Pascal Dayez-Burgeon est directeur adjoint de l'Institut des sciences de la communication du CNRS. Il a été diplomate en Corée de janvier à juillet 1997 puis à nouveau de septembre 2001 à août 2006 au sein du service culturel de l'ambassade de France.

 

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