Socfin, une épine dans le pied de Vincent Bolloré

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Photo : SOS Faim

Jeune Afrique | 11 mai 2016

Agro-Industrie : Socfin, une épine dans le pied de Vincent Bolloré

Par Marion Douet et Olivier Caslin

Déforestation, spoliation des terres, conditions de travail… Le groupe belgo-luxembourgeois, dont l'homme d'affaires français est actionnaire, concentre les critiques sur la gestion de ses plantations.

Ces derniers temps, Vincent Bolloré a des rapports tendus avec les médias. Quand il n’est pas accusé de chercher à museler ceux qu’il possède en France, il attaque les autres en diffamation. Dernier épisode en date, le 14 avril : la relaxe des journalistes de Bastamag, poursuivis par le groupe Bolloré pour un article publié en 2012 sur le rôle des grandes entreprises dans l’accaparement des terres agricoles.

Sur ce sujet, le patron français semble particulièrement susceptible. S’il laisse le plus souvent filer les attaques dont il fait l’objet à chaque nouvelle attribution de concession portuaire, il brandit en revanche la menace judiciaire dès qu’un journaliste fouille d’un peu trop près du côté de ses plantations. Déforestation, spoliation des terres, mauvais traitement des populations riveraines…

Autant de crimes dont se rendraient coupables les multiples filiales en Afrique et en Asie de la Société financière des caoutchoucs (Socfin), un groupe belgo-luxembourgeois dont Bolloré détient 38,7 % des parts.

Peu savent que le groupe Bolloré possède des participations agricoles sur le continent, entre ses kilomètres de voies ferrées et ses dizaines de terminaux portuaires. Vincent Bolloré a hérité, lors de son raid sur le groupe Rivaud, en 1997, de centaines de milliers d’hectares d’hévéas et de palmiers à huile. Officiellement, c’est le Belge Hubert Fabri (lire encadré), patron de Socfin et actionnaire principal (50,2 %), qui a « toutes compétences sur ces activités », affirme Michel Calzaroni, le responsable de la communication de Vincent Bolloré.

D’ailleurs, il n’existe aucune branche agricole dans l’organigramme du groupe Bolloré ; et Bertrand Chavanes, le dernier responsable du secteur au sein du siège, à Puteaux (près de Paris), est parti à la retraite il y a plusieurs années, sans voir été remplacé.

« C’est de toute manière une activité marginale à l’échelle du groupe », estime Luc Boedt, directeur opérationnel de Socfin. Selon les derniers rapports d’activité, les plantations ont représenté en 2014 moins de 5 % du résultat net du groupe Bolloré.

Un chiffre presque anecdotique au regard des polémiques qui se succèdent depuis dix ans et qui nuisent à l’image globale de la multinationale. Les plantations ? « Un véritable foyer à emmerdements », pour reprendre l’expression d’un ancien du groupe.

Vincent Bolloré au cœur du renouveau de Socfin

Vincent Bolloré a même été pris à partie, en 2013, par des paysans africains venus à Puteaux pour lui présenter leurs doléances. Grand seigneur et beau parleur, il promet de se saisir personnellement du problème et de faire pression sur ses amis belges pour qu’ils revoient leurs pratiques. Sans qu’aucune amélioration notable ait pu être constatée jusqu’à présent sur le terrain par les ONG.

« Retranché derrière sa participation minoritaire, Vincent Bolloré affirme ne pas disposer des moyens suffisants pour faire fléchir les responsables de Socfin », souligne Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux chez Sherpa, l’association à l’origine de la plainte déposée avec deux associations de paysans pour dénoncer les conditions de travail imposées par la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm).

Si officiellement il ne s’occupe pas de stratégie, Vincent Bolloré a néanmoins su exercer toute son influence lorsqu’il s’est agi de tailler dans les dizaines de filiales pour réorganiser Socfin et réorienter ses activités vers l’Afrique. Mais s’il n’a certainement « pas pesé de tout son poids », selon Marie-Laure Guislain, dans l’affaire de la Socapalm, la pression financière s’avère pourtant, à d’autres occasions, une arme efficace.

Ainsi, les responsables de Socfin viennent d’accepter de reprendre les discussions avec un collectif d’ONG belges, dans l’espoir de convaincre la Société financière internationale (IFC, filiale de la Banque mondiale) de débloquer les 150 millions d’euros nécessaires pour financer les projets d’extension de la compagnie en Sierra Leone, au Ghana, au Liberia et en Côte d’Ivoire.

Du côté de Socfin, les responsables voient dans les plaintes des ONG un possible règlement de comptes franco-français lié à la personnalité même de Vincent Bolloré. « Nous ne sommes pointés du doigt dans aucun autre pays [que la France] et nous investissons chaque année une vingtaine de millions d’euros pour préserver la ressource », s’agace Luc Boedt, sans s’attarder sur l’organisation labyrinthique de Socfin ou sur les ennuis fiscaux à répétition d’Hubert Fabri.

D’ailleurs, à en croire le directeur opérationnel, Vincent Bolloré n’a jamais montré la moindre volonté de quitter le navire, même au plus fort de la tempête médiatique. « Vendre ce genre de participation minoritaire n’est pas forcément très aisé », estime un fin connaisseur du groupe. « Et il ne faudrait pas froisser les autorités d’un pays où Bolloré possède d’autres intérêts comme les terminaux portuaires », ajoute un concurrent.

Avec une marge nette de 20 %, Socfin a des arguments sonnants et trébuchants à faire valoir ; et la remontée attendue des cours du caoutchouc et de l’huile de palme pourrait constituer un jackpot pour ses actionnaires, qui disposent également d’une réserve foncière de près de 210 000 ha à travers les huit pays africains où la société travaille.

À plus long terme, Vincent Bolloré pourrait lorgner la logistique de ces dizaines de milliers de tonnes de produits agricoles susceptibles d’emprunter la boucle ferroviaire que son groupe construit actuellement en Afrique de l’Ouest.
 

HUBERT FABRI, L’AMI BELGE

Présent sur le continent depuis 1890, le groupe Socfin est dirigé depuis plus de vingt ans par Hubert Fabri. Fils de Philippe Fabri, le bras droit du légataire testamentaire d’Adrien Hallet, un aventurier parti en Malaisie pour défricher les premières plantations du groupe Rivaud en 1909, Hubert représente les actionnaires belges lorsque Vincent Bolloré prend d’assaut, en 1997, la vieille maison en perdition. Les deux quadras se débarrassent alors du président, Édouard de Ribes, pour prendre les commandes du groupe.

À 64 ans, l’ami de Bolloré, qui vient le chercher en personne à sa descente du train à Bruxelles, gère la société d’une main de fer avec son frère François. En plus de collectionner les convocations chez le fisc belge, il a également dû faire face à de nombreux conflits sociaux, tout en maintenant des pratiques environnementales contestées par des ONG belges et françaises.

 

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