La Chinafrique fait sa révolution

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Une usine textile chinoise au Bénin. C'est avant tout par leur propre croissance économique que les Africains réussiront à attirer les investisseurs chinois, et non plus uniquement par leur riche sous-sol (Photo: JEAN-CLAUDE MOSCHETTI/REA)
Jeune Afrique | 17 novembre 2015

La Chinafrique fait sa révolution
 
Par Christophe Le Bec
 
La Chine et son économie changent. Sa croissance n’atteindra plus les sommets de 2005-2007, quand elle flirtait avec les 15 % de hausse. Le rythme actuel de progression de son PIB, entre 6 % et 7 % – environ 6,8 % en 2015, selon le FMI -, devrait perdurer jusqu’à 2020. En valeur, cela correspond à une augmentation annuelle équivalant à plus de deux fois le PIB du Nigeria (573,9 milliards de dollars en 2014, d’après le FMI).
 
La deuxième économie mondiale n’est ni en stagnation ni en récession. Selon tous les spécialistes, elle est avant tout en mutation. Les investissements publics – qui portaient jusqu’ici l’embellie chinoise – ont atteint un plafond jusque-là intouché dans le monde (53 % du PIB en 2014), alors que la consommation des ménages est faible (30 % du PIB) comparée à celle des autres pays émergents, d’après les analystes de Citigroup.
 
Ce déséquilibre, qui date des années 2000, a entraîné des inégalités devenues insupportables, estiment les autorités communistes, qui viennent de dessiner les contours de leur prochain plan quinquennal de développement. Les dirigeants chinois sont déterminés à changer de modèle et à augmenter le niveau de vie de leurs concitoyens en positionnant leurs entreprises sur des segments à plus forte valeur ajoutée, ce qui permettrait une meilleure répartition des fruits de la croissance.
 
La « bascule » chinoise
 
Les réformes du régime des retraites, du contrôle des prix, la libéralisation des taux d’intérêt prouvent – pour les analystes de Citigroup comme pour ceux de Goldman Sachs – que l’heure de la « bascule » chinoise a sonné. Un peu plus modeste, sa croissance sera davantage portée par la consommation des ménages et non plus par les investissements, dont l’efficacité s’est révélée limitée ces dernières années.
 
« La Chine reste la locomotive économique du monde, avec plus de 6 % de croissance, mais elle ne sera plus l’usine du monde », analyse le chercheur français Jean-Joseph Boillot, associé au club du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). Selon lui, cette transition prendra plusieurs années : les dépenses de santé et d’éducation sont encore nettement insuffisantes et la consommation ne peut pas vraiment décoller. Mais, à terme, les pays africains qui veulent continuer à profiter de la croissance chinoise devront se repositionner pour rester intégrés dans la chaîne d’approvisionnement, en particulier en devenant à leur tour des industriels à bas coût, et non plus de simples producteurs de matières premières.
 
Pour Goldman Sachs, les marchés seront profondément modifiés dans les années à venir : la demande chinoise portera moins sur les matières premières liées aux investissements – tels les métaux de base (fer et cuivre notamment), l’acier et le ciment – et davantage sur les denrées alimentaires, ainsi que sur les produits raffinés ou l’aluminium, fortement connectés à la consommation des ménages.
 
Les pays africains qui ont basé leur développement sur la voracité chinoise à l’égard des matières premières non transformées sont ainsi menacés. « Dix années ininterrompues de forte croissance de la demande chinoise ont été perdues par les États africains qui, pour beaucoup, n’ont guère avancé dans leur transformation et leur industrialisation ! » se désole Christopher Alden, professeur à la London School of Economics et spécialiste des stratégies des pays émergents en Afrique.
 
Certains États du continent sont déjà frappés par la chute des cours du pétrole, du fer, du cuivre, du manganèse, malmenés par les incertitudes portant sur la demande chinoise. Ils commencent à payer cher leur « surdépendance ». C’est le cas par exemple de la RD Congo et de la Zambie, les deux premiers producteurs africains de cuivre. Ou de la Mauritanie, dont le fer est le principal pourvoyeur des recettes de l’État.
 
Incompréhensions culturelles
 
Pour Magnus Ericsson, directeur associé de SNL Metals & Mining, la conjoncture minière actuelle, caractérisée avant tout par une surcapacité des groupes miniers, va changer.
 
Les prix du cuivre et du fer devraient remonter à moyen terme, après un arrêt des projets (parfois africains) les moins rentables. Et la place des Chinois dans l’achat de minerais demeurera primordiale, avec 43 % de la demande mondiale en métaux de base (fer, cuivre, acier, aluminium, manganèse). En revanche, prévient l’analyste suédois, bon connaisseur de l’Afrique, leurs régions de prédilection et leurs modalités d’intervention vont nécessairement évoluer.
 
La raison ? « La plupart des tentatives des Chinois pour mener eux-mêmes des projets miniers sur le continent se sont soldées par des échecs en raison d’incompréhensions culturelles, mais aussi d’insuffisances logistiques », estime Magnus Ericsson. Le projet de fer Tonkolili en Sierra Leone, à l’arrêt aujourd’hui, ou celui de Belinga au Gabon, repris par les autorités faute d’avancée des travaux et de respect de l’environnement, en sont des illustrations criantes.
 
Les Chinois restent les plus grands acheteurs de minerais de la planète, mais les entreprises de l’empire du Milieu peinent à devenir de véritables opérateurs miniers, et dépendent encore des grands groupes anglo-saxons du secteur.
 
D’après les calculs de SNL Metals & Mining, « en 2013, seulement 1 % ou 2 % de la part de la production minière africaine était contrôlée par les Chinois sur le continent, contre environ 25 % pour une société comme AngloAmerican ». Les Chinois pourraient désormais préférer des régions plus proches, notamment en Asie centrale ou en Indonésie, voire en Australie, riches en minerais et en pétrole, et situées sur les nouvelles voies commerciales promues par les autorités pékinoises.
J.A.
 
Loin de l’accaparement des terres
 
Dans le secteur agricole aussi, « la Chinafrique » est loin d’avoir atteint des résultats mirifiques, malgré un intérêt majeur des groupes chinois pour le continent au début des années 2000.
 
« Nous avons étudié une soixantaine de projets agricoles menés par des sociétés chinoises sur le continent, représentant environ 6 millions d’hectares de terres, indique Deborah Brautigam, professeure à l’université américaine Johns-Hopkins, qui vient de publier L’Afrique nourrira-telle la Chine ? En fait, seuls 240 000 hectares sont vraiment cultivés aujourd’hui par des sociétés chinoises, le plus souvent privées et orientées vers le marché local, et non vers l’export dans l’empire du Milieu. On est bien loin de l’accaparement des terres fantasmé par les médias occidentaux ! »
 
    Pékin n’a pas de plan pour que l’Afrique nourrisse la Chine à son propre détriment, rappelle Deborah Brautigam
 
La chercheuse américaine se montre dubitative quant à la capacité du continent à accueillir, à moyen terme, de grands projets agro-industriels tournés vers la Chine. Et ce, même si Goldman Sachs prédit une augmentation des importations chinoises de denrées alimentaires. « Les autorités savent que l’Afrique n’arrive pas à se nourrir elle-même. Elles n’ont pas conçu de plan pour qu’elle nourrisse la Chine à son propre détriment. Elles sont suffisamment habiles politiquement pour comprendre que ce sujet est sensible. Et préfèrent pour le moment importer des denrées alimentaires du Brésil, d’Argentine, d’Australie ou des États-Unis », explique la professeure Brautigam.
 
Des infrastructures en projet
 
Le président Xi Jinping a lancé en 2013 le projet One Belt, One Road (Obor), richement doté de 890 milliards de dollars, qui vise à établir de « nouvelles routes de la soie » partant de la Chine. Il prévoit notamment une voie maritime desservant l’Asie-Pacifique, l’Afrique de l’Est, puis la Méditerranée.
 
Obor assure une plus grande cohérence globale de la chaîne logistique chinoise et, surtout, apporte des fonds aux nombreux projets est-africains logistiques menés par les groupes de Pékin : voies ferrées Djibouti – Addis-Abeba, Mombasa-Kampala et Dar es-Salaam – Kampala, centrales électriques, rénovations portuaires…
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Pour les pays d’Afrique centrale, les plus enclavés du continent, et notamment pour la RD Congo, il devient plus que jamais nécessaire d’utiliser les surcapacités des compagnies chinoises de BTP pour se raccorder à l’est du continent. L’axe commercial conduisant à cette zone va prendre une importance encore plus grande, tant pour exporter des matières premières en Chine que pour attirer ses industriels souhaitant profiter d’une logistique améliorée pour les marchés africains.
 
Afin de protéger ce nouvel itinéraire, la Chine va même installer une base navale militaire à Djibouti. « La présence de l’Afrique sur cette « nouvelle route de la soie » est davantage liée au lobbying des compagnies chinoises de BTP, qui veulent s’assurer le soutien des banques de leur pays pour leurs grands chantiers d’infra-structures dans cette région, qu’à une véritable stratégie de délocalisation ou d’implantation là-bas », relativise toutefois Deborah Brautigam. Selon elle, les Chinois veulent surtout que leurs partenaires commerciaux se développent grâce à leurs infrastructures, ce qui en fera de bons clients pour leurs biens d’équipements à long terme. « L’Afrique représente seulement 5 % à 6 % de leur commerce extérieur, soit quatre fois moins que l’Europe », précise-telle.
 
    Les groupes chinois délocalisent en priorité vers le Vietnam ou la Thaïlande, pas en Afrique.
 
Délocalisation
 
Cette réorientation des flux logistiques africains vers l’est est déjà une réalité, notamment avec le développement récent du secteur pétrolier et gazier au Kenya, en Ouganda et au Mozambique, pays mieux positionnés que les producteurs de brut traditionnels de l’Ouest.
 
Désormais nombreux, les groupes industriels chinois voulant délocaliser leur production à bas coût choisissent aujourd’hui en priorité des zones plus proches de la Chine comme le Vietnam ou la Thaïlande, non l’Afrique. L’Asie-Pacifique leur offre des possibilités bien plus attrayantes en matière de logistique et de coûts. « Quelques pays africains, l’Éthiopie notamment, habitués à travailler avec la Chine et bien situés sur les nouveaux axes commerciaux peuvent attirer des industriels manufacturiers et agroalimentaires », estime Brautigam. Citigroup considère que l’Afrique du Sud et l’Égypte sont également bien placées, compte tenu de leurs bonnes infrastructures et de leurs marchés intérieurs dynamiques.
 
Les autres pays du continent, eux, doivent continuer à profiter de l’offensive chinoise dans les infrastructures tant qu’elle dure en régulant mieux ces marchés et en vérifiant que ces chantiers s’intègrent bien à leur propre plan de développement. Mais c’est avant tout par leur propre croissance économique qu’ils réussiront à attirer les investisseurs chinois, et non plus uniquement par leur riche sous-sol.
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