L’Egypte veut cultiver son blé en Ouganda

Les Afriques | 31-10-2008

La location de terres agricoles en Afrique de l’Est a été initiée par des fonds arabes du Golfe. Voilà que des hommes d’affaires égyptiens veulent produire du blé en Ouganda.


Par Daikha Dridi, Le Caire

Les Egyptiens s’apprêtent à cultiver les quantités de blé qui leur manquent cruellement sur des terres qui se situent à plus de trois mille kilomètres au sud de la Vallée du Nil, en Ouganda. L’information avait été rendue publique à la fin du mois d’août par un journal égyptien citant les propos du ministre de l’Agriculture, Amin Abaza, selon lesquels l’Ouganda avait accepté de mettre à la disposition de l’Egypte près de 2 millions de feddans (environ 850 000 hectares) de terres pour la culture du blé. Cette information, si elle n’a provoqué au Caire que quelques moues de désaveu de la part de chroniqueurs politiques se disant inquiets de « la perspective d’une dépendance alimentaire égyptienne vis-à-vis de l’Ouganda », a en revanche suscité de vives émotions et une levée de boucliers à Kampala. La presse ougandaise en a fait état, annonçant, à la stupeur générale, que l’Ouganda s’apprêtait « à céder à l’Egypte l’équivalant de 2,2% de la surface totale du pays », puis le ministre ougandais des Terres ayant démenti avoir connaissance d’une quelconque transaction entre les deux pays, l’affaire a fini par chauffer les esprits au Parlement où des députés ont pris à partie les représentants du gouvernement, exigeant que les informations liées « à la vente ou à la location de terres arables à l’Egypte » soient rendues publiques et débattues. C’est dans ce contexte, quelque peu tendu, que doit arriver à Kampala le ministre égyptien de l’Agriculture en compagnie d’une importante délégation composée d’hommes d’affaires et d’experts égyptiens du blé, chargés d’examiner sur place les terres potentiellement utilisables à leurs fins. Et si, de part et d’autre, on confirme qu’il s’agit d’investissements privés, l’on évite soigneusement de répondre à la question qui semble hanter les esprits en Ouganda : « Ces terres arables vont-elles être louées ou vendues aux businessmen égyptiens ? »

Les limites de la « bonification » des nouvelles terres

Il est intéressant de noter que les réactions à ce nouveau type de deal agricole n’ont suscité de l’intérêt, de l’émotion, de l’hostilité ou même de l’enthousiasme (quelques rares économistes ougandais se disant ouvertement impatients de voir l’accord signé) que du côté ougandais et que, comparativement, les Egyptiens se montrent bien silencieux.

S’il est vrai que l’idée de cultiver du blé pour les Egyptiens ailleurs qu’en Egypte n’est pas si nouvelle, la presse évoquant de manière récurrente, ces derniers mois, un « partenariat à trois » regroupant l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie, il n’en demeure pas moins que cette nouvelle stratégie signe de manière quasi-officielle l’échec de plusieurs décennies de réformes agraires, menées tambours battant par les gouvernements successifs de l’ère Hosni Moubarak, sous l’étroite supervision de la Banque mondiale et de l’USAID.

L’agriculture égyptienne s’est mise, à partir des années 80, à produire moins de blé pour nourrir les Egyptiens et plus de graines pour nourrir le bétail.

En Egypte, la qualification officielle du ministre de l’Agriculture est : « Ministre de l’Agriculture et de la Bonification des terres », un titre qui est apparu dans les années 80 avec l’arrivée de Moubarak au pouvoir et qui est indicatif d’une obsession locale, celle qui lie les réformes agraires au gain de nouvelles terres arables. Car tous les experts l’affirment : si l’agriculture égyptienne ne parvient pas à l’autosuffisance alimentaire, c’est à cause du peu de terres arables, conjugué à une démographie galopante. Entourés de désert, les Egyptiens seraient beaucoup trop nombreux, vivant serrés comme des sardines sur l’étroite bande de terre qu’irrigue le Nil, une terre cultivable qui ne représente que 5% de la superficie totale du pays et qui n’est que très difficilement extensible. Il faut donc extirper de nouvelles terres au désert, continuellement. Cette réalité géographique, assénée depuis des années, a comme effet pervers de focaliser toute l’attention sur la conquête de nouvelles terres et de l’éloigner donc des vieilles terres agricoles où la situation n’est guère reluisante en dépit de l’application stricte et rigoureuse, pendant près de trois décennies maintenant, de toutes les recettes des institutions financières internationales et de l’USAID.

Virage fatal vers la protéine animale

Ces mêmes recettes font que l’Egypte est devenue aujourd’hui le troisième plus grand importateur de blé au monde, après le Japon et la Chine. L’augmentation des rendements agricoles a toujours devancé, en Egypte, l’accroissement de la population, mais l’agriculture égyptienne s’est mise, à partir des années 80, à produire moins de blé pour nourrir les Egyptiens et plus de graines pour nourrir le bétail destiné à fournir de la viande à une portion infime de la population (touristes, étrangers et classes moyennes supérieures) dont la consommation en protéines a pris des proportions sidérantes. D’ailleurs, selon les données de la Banque mondiale, à partir du milieu des années 80, les taux d’apport en protéines et en calories par jour et par personne en Egypte ont dépassé ceux relevés dans de nombreux pays riches, une part marginale de la population faisant augmenter vertigineusement la moyenne nationale.

De 1990 à 1995, plus de 700 000 emplois ont été perdus dans le secteur de l’agriculture, le nombre de pauvres a plus que doublé passant de 22% au début des années 90 à 44% en 1996, et ce principalement dans les zones rurales où les niveaux de pauvreté aujourd’hui excèdent ceux qui prévalaient en 1950 avant les réformes menées par Gamal Abdel Nasser. Mais le ministre de l’Agriculture égyptien préfèrera continuer à ne vouloir parler que de bonification de nouvelles terres agricoles, quitte, pour cela, à aller les bonifier en Ouganda.

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