Accaparement des terres : un processus opaque et complexe


 
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Novethic | le 02-01-2012

Accaparement des terres : un processus opaque et complexe
    
Un nouveau rapport de la coalition internationale pour l'accès à la terre (ILC) sur l'accaparement des terres remet en perspective une pratique vouée à perdurer. Il révèle que le phénomène ne se limite pas à l'accaparement de terres agricoles par des investisseurs occidentaux. La situation est en réalité bien plus complexe.

De 4 millions d’hectares par an à la fin des années 1990 à près de 80 millions d’hectares aujourd’hui (Land Deal Politics Initiative, mars 2011), le phénomène d’accaparement des terres ne cesse de prendre de l’ampleur. Alors que les rapports sur le sujet fleurissent, comme celui d’Oxfam en septembre (voir document lié) ou ceux de la FAO en octobre et décembre, la coalition internationale pour l’accès à la terre (ILC) * a compilé près de 30 études sur le sujet pour en dégager les caractéristiques principales. Selon la matrice foncière utilisée par les auteurs, entre 2000 et 2011, 203 millions d’hectares ont fait l’objet de négociations (achevées ou en cours), principalement en Afrique (134 millions d’hectares). Mais « il est probable qu’un très grand nombre d’autres transactions ne soient pas signalées », précise le rapport. Pour fournir leurs conclusions, les auteurs se sont donc appuyés sur les transactions ayant fait l’objet de vérifications croisées (71 millions ha). Une démarche qui permet de montrer la complexité de la situation.

Des investisseurs nationaux ou régionaux

« Si les médias ont insisté sur le rôle des étrangers, les élites nationales jouent aussi un rôle majeur dans l’acquisition de terres », explique ainsi le rapport. Peu comptabilisées dans les études car elles concernent souvent de petites surfaces, elles deviennent significatives si on les cumule. Dans certains pays comme Madagascar, des entreprises locales peuvent ainsi acheter des terres, signer des contrats avec des entreprises étrangères et devenir des intermédiaires entre des sociétés étrangères et la population locale. Le rapport met aussi en évidence une possible montée en puissance des acquisitions par des investisseurs régionaux, en raison d’accords commerciaux ou de considérations géopolitiques. Déjà, en Asie du Sud Est 75% des terres sont achetées régionalement. Un taux qui reste cependant plus faible dans les autres régions du monde : 37 % en Amérique latine et 20% en Afrique.

Des moteurs d’accaparement multiples

La crise alimentaire de 2008 a été le déclencheur de la ruée vers les terres mais le phénomène est appelé à durer. Car il est loin de se résumer à la demande de produits alimentaires, qui n’est en fait à l’origine que de 25 % des transactions vérifiées. En Afrique, les cultures alimentaires ne représentent ainsi que 15% des ces transactions, tandis que les  agro-carburants comptent pour 66%. De fait, la ruée vers les terres « apparaît comme tirée par un ensemble de facteurs et liée à la hausse de la consommation de nourriture, de fibres, d’énergie, de carbone, de minéraux et de tourisme dans un contexte de finitude des ressources naturelles et des services éco-systémiques », analyse ainsi le rapport.

Outre les 73% d’acquisition pour motifs agricoles, le reste est donc réparti entre le secteur forestier, la séquestration carbone, l’extraction des minerais et le tourisme. Dans 9 pays tropicaux, 258 millions d’ha de forêt sont déjà sous concession du fait d’une demande croissante de bois d’œuvre mais aussi sous la pression de la culture d’huile de palme. Quant à la demande en minerais, elle est elle aussi croissante du fait de l’industrialisation des pays en développement. De grands territoires sont ainsi réservés à la concession, rendant les droits fonciers des populations locales précaires alors même qu’une partie seulement sera réellement exploitée. C’est le cas en Amérique du Sud, où l’exploitation minière représente 23% des transactions foncières.

Par ailleurs, dopé par les mécanismes du protocole de Kyoto et les objectifs de réduction des émissions carbone des Etats et entreprises,  « le marché de la compensation carbone est un facteur émergent qui a d’ores et déjà entraîné des acquisitions de terres à grande échelle », souligne le rapport. Seulement, « de grands projets REDD+ ont été établis souvent en ignorant le fait que les forêts convoitées faisaient l’objet de droits coutumiers », précise le rapport.

La gouvernance : nouvel enjeu pour enrailler le phénomène

De fait, « dans les conditions actuelles, les transactions foncières à grande échelle menacent les droits et les moyens de subsistance des communautés rurales pauvres et en particulier des femmes », déclare l’auteur principal du rapport Ward Anseeuw, du Cirad. Quand ils ne sont pas dépossédés de leurs terres ou de la jouissance de leurs ressources traditionnellement gérées par le droit coutumier, les populations les plus pauvres auxquelles on achète les terres reçoivent rarement une compensation financière appropriée. Quant aux estimations en termes de création d’emplois, elles sont souvent surestimées.

Comme d’autres avant lui (voir les études de la FAO et de Transparency international), le rapport met aussi en évidence une gouvernance défaillante, aggravée par l’héritage du colonialisme et le non-respect des droits coutumiers dans la gestion des terres. Les gouvernements espèrent ainsi qu’en offrant des conditions attractives (terres à bas prix, exonérations fiscales) ils attireront les capitaux. Dans les faits, les exemples du rapport montrent que l’opération est rarement rentable pour le pays hôte et qu’une grande partie des projets ne sont pas viables, même si les investisseurs, eux, s’y retrouvent grâce à la spéculation foncière.

Cette question commence cependant à faire l’objet de plusieurs réflexions internationales. D’abord, au  niveau institutionnel avec les « directives volontaires sur la gouvernance responsable des régimes fonciers des terres, pêches et forêts » du Conseil de Sécurité Alimentaire de la FAO, qui ont été saluées par les organisations de la société civile ou les travaux du G20 agricole sur les « Principes d’investissements agricoles responsables ». Mais certains pays réfléchissent  aussi à des réformes du droit foncier, comme Madagascar qui a mis en place en 2005 un système de certificats fonciers délivrés par des bureaux locaux à des coûts abordables. Ils facilitent ainsi l’accès à la propriété et sécurisent les droits des paysans sur leurs parcelles. Pourtant Madagascar reste encore une cible privilégiée des acquéreurs de terre. Il faudra donc faire vite pour enrayer le phénomène, car « l’avenir des sociétés rurales, de la production agricole et des écosystèmes se trouve à la croisée des chemins dans de nombreuses régions de l’hémisphère sud », concluent les auteurs.

* avec l’aide du CIRAD (Centre de coopération International en Recherche Agronomique pour le développement) et l’IIED (International Institute for Environnement and Development) et la collaboration de 40 organisations. Les auteurs : Ward Anseeuw (Cirad), Liz Alden Wily (experte des régimes fonciers), Lorenzo Cotula (IIED) et Michael Taylor (ILC).

Pauline Rey-Brahmi
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