Madagascar au bord de l'explosion : Enquête sur un pillage organisé

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Golias Hebdo n°204 - semaine du 29 au 5 octobre 2011

Editorial:
Réfugiés paysans


Au même titre que les services, l’agriculture est désormais délocalisée et les multinationales se partagent le butin des richesses du sous-sol. Les petits agriculteurs sont expulsés des terres qu’ils ont mises en valeur depuis plusieurs générations, après des accords menés en toute opacité. Qui doit-on ici mépriser le plus ? Le corrompu qui vend son pays, le prive de toute chance de développement, ou le corrupteur avide de richesses, indifférent au sort de la planète ?

Le cynisme est à son comble, en Ethiopie par exemple, lorsque plus de trois millions d’hectares passent aux mains de groupes étrangers qui exportent la nourriture vers leur propre pays, alors que 13 millions d’Ethiopiens souffrent de la faim. Dans ce contexte, l’aide alimentaire internationale ressemble étrangement à une poudre aux yeux destinée à éviter des débordements trop accusateurs. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont le bras armé de cette spéculation foncière. Et s’il y a un sujet sur lequel le G20 2011entend faire l’impasse, c’est bien le néocolonialisme revisité qui s’abat sur les pays les plus démunis. Comme une réponse aux exigences de l’Organisation mondiale du commerce qui fait peu de cas de la sécurité alimentaire et de la protection de l’environnement.

Les conséquences de la marginalisation de la petite paysannerie, seule à même d’assurer l’autosuffisance alimentaire, sont dramatiques. En particulier à Madagascar où 80 % de ses habitants sont pauvres, où la majorité travaille dans l’agriculture familiale. Un milliard d’êtres humains souffrent de la faim, les trois quarts d’entre eux sont des ruraux, producteurs eux-mêmes de denrées alimentaires. Destruction des forêts primaires, perte de la biodiversité, pollution chimique, contamination des cultures par des organismes génétiquement modifiés, épuisement des ressources en eau... Scénario catastrophe planifié par des multinationales sans scrupules, qui pourrait se traduire par des conflits internes pour l’accès à la terre, exacerber les tensions politiques et sociales et encourager de nouveaux mouvements migratoires avec l’apparition de réfugiés agricoles.

Golias


Madagascar au bord de l'explosion
Enquête sur un pillage organisé


Dans de nombreux pays, l’accaparement de vastes territoires se poursuit et s’amplifie. Par des gouvernements étrangers désireux d’assurer leur propre production alimentaire à moindre coût, par les sociétés agroalimentaires et les investisseurs privés attirés par de nouvelles sources de profits dans un contexte de crise financière. Appuyé par l’arme de la corruption, le transfert massif de terres et ses effets dévastateurs touche de plein fouet les familles malgaches qui subissent pressions, menaces et intimidations.

L’accaparement des terres à grande échelle n’est pas chose nouvelle depuis la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb. L’expulsion des Maoris en Nouvelle Zélande ou des Zoulous en Afrique du Sud, celle des Palestiniens, la mainmise par les colons sur les terres algériennes les plus riches et les plus fertiles, sont autant d’exemples à mettre sur le compte de l’avidité et de la brutalité de la puissance occupante.

Gigantesque retournement après la période des indépendances, un néo-colonialisme foncier n’a cessé de s’amplifier depuis les années 1990, en particulier depuis la hausse des prix des denrées alimentaires en 2008 et la crise du système financier international. Pays à fortes liquidités mais subissant des contraintes en terres et en eau, céréaliers à la recherche de nouvelles stratégies de croissance, banques qui ont abandonné les marchés dérivés complètement effondrés, fonds de pension américains et européens se ruent sur les terres agricoles des pays du Sud. Il n’est plus question d’activités internationales classiques, d’investissement dans telle ou telle usine par exemple, mais d’un véritable contrôle des terres agricoles et des richesses naturelles, d’une nouvelle forme d’invasion territoriale. Expulsés, sans consultation ni dédommagement réel, les petits producteurs entrent dans le cycle d’une vie précaire, rejoignent les bidonvilles des grandes villes ou deviennent ouvriers agricoles sur leurs propres terres (cf. Golias Hebdo n° 71).

La situation est devenue particulièrement difficile, voire explosive à Madagascar, un des douze pays les plus pauvres du monde, mais dont les potentialités aiguisent les appétits. Des milliers de familles sont chassées des terres sur lesquelles elles vivent souvent depuis plusieurs générations. Face aux convoitises, seule la possession d’un titre ou d’un certificat foncier permet d’entreprendre des actions de justice en cas de conflit. La procédure est longue, compliquée et peut coûter jusqu’à 30.000 ariary (11,50 euros). Mais il faut savoir que le Smic malgache est à 60.000 ariary (23 euros) et qu’un instituteur bien payé peut gagner 40 euros. La situation se complique pour les terres qui ont gardé leur statut colonial après l’indépendance en 1960 et appartiennent à l’Etat, et sur lesquelles les familles n’ont aucun droit sur le plan strictement légal. La majorité d’entre elles ne possèdent aucun recours, se retrouvent sans abri ou même en prison. Parfois même, des familles sont expulsées malgré la possession d’un titre ou d’un certificat foncier. Une véritable aubaine, d’autant que fort opportunément la loi interdisant la vente de terres aux étrangers n’a plus cours depuis l’année 2008. La loi sur les investissements (2007-036 du 14 janvier 2008) permet désormais à des sociétés étrangères d’acheter des terres sous couvert d’une société malgache.

Main basse sur les terres

Le plateau de l’Horombe, au sud de Madagascar, soulève bien des intérêts. Des dépossessions de terrains ont déjà eu lieu lorsqu’une société indienne, Landmark, venue officiellement pour planter du maïs, s’est implantée le long de la nationale 7, la route du Sud qui relie Antananarivo (Tananarive) à Toleara (Tuléar) sur la baie de Saint-Augustin. Villages déplacés, tombeaux détruits, comme les vatolahy et les hazo masina (pierres dressées et arbres sacrés), et en réponse aux démarches et courriers des villageois, menaces, pressions et forces de l’ordre. Et comme la nationale 7 draine la plupart des flux d’importation et d’exportation, ainsi que les principaux produits alimentaires, il était devenu urgent de prévoir des travaux sur le maillon de 40 km restant demeuré à l’état de chemin de terre. Ce qui fut entrepris en avril 2004, avec un financement de l’Union européenne à hauteur de 5,7 millions d’euros. Les esprits chagrins y verront peut-être une histoire de lobbying, en prévision de la venue d’autres candidats... Selon un correspondant sur place, une société qui opère à Satrokala dans une plantation de jatropha (agrocarburant, produit une huile proche du diesel) a des visées sur des nouveaux terrains situés dans trois communes rurales : Satrokala, Andiolava et Ambatolahy (province de Fianarantsoa, région de l’Horombe). « Ils paient les maires pour faire pression sur les villageois, pour qu’ils acceptent de partir, les tombes sont déplacées (...) Des vahaza (des « Blancs ») armés jusqu’aux dents les accompagnent. Vendredi dernier (30.09.2011), ils sont venus dans le village d’Ambararatabe, et entendent là aussi déplacer des tombeaux. Les gens ne sont pas d’accord, étant donné la surface qu’ils veulent accaparer, dont une bonne partie du terrain de l’école. C’est le maire et son adjoint qui les menacent, et viennent parfois avec des personnes politiques de la région pour leur faire peur et se justifier de leurs actes. » Témoignage significatif d’une réalité vécue au quotidien depuis des années. Un autre drame est en train de se jouer dans le Sambirano (nord-ouest). L’Etat est en train de vendre une ancienne plantation de cacao à des repreneurs malgaches qui ne semblent pas vouloir accepter les transactions des familles occupantes actuelles.

Le peu d’investissements agricoles de certaines sociétés dans l’Horombe laisse supposer qu’il pourrait s’agir de se réserver des terrains en vue de la prospection du diamant. Les richesses du sous-sol sont loin d’être négligeables... Pierres précieuses et semi-précieuses, or, saphirs, titane, quartz, mica, mais aussi sables bitumineux (encadré p. 4) et pétrole qui alimentent une corruption omniprésente. « Tous les jours, des hélicoptères font le va-et-vient sur le plateau de l’Horombe et sont accompagnés d’hommes armés, s’inquiète notre correspondant. Varun a pris possession d’un terrain, on ne sait pas comment et pourquoi ! » Étonnant en effet, alors que des projets de cette puissante société indienne - agrobusiness (165 000 ha dans la région de Sofia), exploitation de pétrole et d’uranium - avaient été suspendus en 2009 par les autorités centrales. « Sous couvert de quelle société malgache Varun agit-il actuellement ? demande le collectif Tany pour la défense des terres malgaches (Newsletter 12 du 31.01.2011). Dans quelles régions ? Répondre à ces questions, mettre au jour les contrats signés et révéler les noms des différents bénéficiaires figurent parmi les tâches urgentes et prioritaires. »

En 2009 également, le collectif Tany (une pétition en ligne) et les mouvements d’opposition au régime du président Ravalomanana avaient réussi à faire annuler le contrat entre l’Etat malgache et la société sud-coréenne Daewoo : 1,3 million d’hectares, la moitié des surfaces arables du pays, pour la production d’huile de palme et de maïs, exportés pour l’essentiel vers le marché coréen. La même année, un accord d’exportation d’eau à destination de l’Arabie saoudite avait lui aussi été annulé face aux protestations. Il s’ensuivait la chute du gouvernement et la mise en place d’un Conseil supérieur de transition, qui n’a pas  semble-t-il ralenti de juteux accords. Membre dudit Conseil, le sénateur Soja Jean André dit Kaleta demandait au sénateur UMP  Jean Faure, président du groupe parlementaire d’amitié France-Madagascar (tout à fait désintéressé, est-il besoin de préciser...), lors de sa visite en août 2011, le soutien de la  France dans la tenue de prochaines élections. Si Kaleta se présente, compte tenu des exemples françafricains, il a toute les chances d’être élu. Les mallettes « à la Bourgi » vont gonfler un peu plus et les multinationales françaises se feront une joie d’ajouter Madagascar à leur tableau de chasse. Prévisions électorales obligent, car la concurrence est rude, après les affrontements du 20 août 2011 entre des familles et les forces de l’ordre à Ampahigidro (Mahanjanga), le président de la Haute Autorité de transition Andry Rajoelina décidait que le projet Trano mora (habitations à loyer modérés) serait transféré sur un site non litigieux. Selon un document aux mains des topographes, 169 familles étaient concernées par une expulsion.

Haro sur l'Afrique

L’Afrique, où se situe la moitié des 445 millions de terres disponibles dans le monde, est particulièrement ciblée, suivie par l’Asie, l’Amérique latine et l’Europe de l’Est. Que cherche-t-on ? Des terres fertiles avec une disponibilité en eau, un sous-sol prometteur, une politique foncière favorable et une main-d’œuvre bon marché de préférence peu consciente de ses droits. Recette imparable pour des profits rapides et colossaux. Avec comme devise « après moi le déluge », devant les risques de déstabilisation et les effets environnementaux dévastateurs à l’échelle de la planète.

Un rapport de l’Oakland Institute (Etats-Unis) du 30 mai 2010 accuse la Banque mondiale de faciliter l’accaparement des terres en Afrique par des groupes privés étrangers. « Après la crise alimentaire et financière de 2008, la Banque devait jouer un rôle central dans ce qui aurait dû être une offensive en faveur de la sécurité alimentaire dans les pays en développement », affirment Anuradha Mittal et Daniel Shepard, les auteurs du rapport. « Les faits révèlent que par le biais de ses programmes « Access to land » et « Land market for investment », le Groupe de la Banque mondiale est en train de faire le contraire. » Près de 50 millions d’hectares de terres cultivables sont aux mains d’investisseurs privés, et depuis 2004, 2,49 millions d’hectares ont fait l’objet de transactions rien que dans cinq pays africains : Ethiopie, Ghana, Madagascar, Mali et Soudan. Le rapport Oakland poursuit en pointant le rôle de la Société financière internationale, filiale de la Banque mondiale, qui pousse les Etats à modifier leur législation (foncière notamment) afin de faciliter l’implantation de groupes privés. Cette accusation de collusion n’est pas nouvelle... La Société financière internationale sert de « conseiller » aux Etats, en Afrique principalement, elle a parfois des intérêts dans des projets et détient des parts dans les sociétés qui investissent. Au moment où le Programme alimentaire mondial essaie de nourrir 5,6 millions de réfugiés au Darfour, le Soudan vend ses terres pour exporter des denrées alimentaires ; même topo aux Philippines et au Cambodge où un demi-million de personnes sont sous-alimentées. Actuellement, le Kenya doit faire face à une arrivée massive de réfugiés somaliens, alors même que les deux pays concernés se livrent à des ventes de terres. Curieusement, les « grands médias » et leurs envoyés très spéciaux n’ont rien remarqué.

Eva Lacoste

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