NEWSLETTER #191. LE PROJET DE LOI SUR LES INVESTISSEMENTS : UNE MARCHANDISATION DU PATRIMOINE FONCIER DE MADAGASCAR QUI NE DIT PAS SON NOM ?
Ce deuxième Communiqué sur la session parlementaire qui a commencé le 2 mai 2023 à Antananarivo porte sur la refonte de la loi sur les investissements qui constitue la pièce maîtresse dans la mise en place d’un cadre adéquat de régulation des investissements, qui permette à la fois de garantir le respect des droits humains et de la législation en vigueur à Madagascar, et d’établir un environnement propice aux investissements directs étrangers et nationaux.
Depuis 2007, l’enjeu central de la loi sur les investissements est celui de la possibilité ou non pour les entreprises à capital majoritairement étranger d’acheter des terrains en pleine propriété (1) à Madagascar, où jusqu’à présent, la loi interdit aux individus qui ne sont pas de nationalité malagasy d’être propriétaires de terrains.
UN BAIL EMPHYTÉOTIQUE POUR 99 ANS ÉQUIVAUT À UNE VENTE
L’article18 du projet de loi intitulé « Accès des investisseurs étrangers à la propriété immobilière » stipule que « Les personnes physiques ou morales étrangères ne peuvent accéder directement à la propriété foncière. Toutefois, elles peuvent librement et sans autorisation préalable contracter un bail emphytéotique, d’une durée maximale de quatre-vingt-dix-neuf ans, renouvelable selon les modalités fixées par la législation en la matière. Les sociétés de droit malgache dont la gestion est placée sous le contrôle d’étrangers, […] ou d’organismes dépendant eux-mêmes d’étrangers […] peuvent recourir au bail emphytéotique renouvelable selon la législation en vigueur ».
L’article 19 concerne l’« Engagement de l’Etat sur l’acquisition et sécurisation foncière » et précise que […] « l’Etat s’engage à faciliter et sécuriser l’accès au foncier par les investisseurs à travers la mise en place des zones dédiées spécifiquement à l’investissement. Ces terrains sont soumis à des régimes juridiques propres. »
La signature d’un bail de location pour 99 ans signifie que les terres concernées ne seront pas disponibles pour la majorité des Malagasy pendant trois (3) générations. Comme le bail est renouvelable et que la loi Malagasy sur le bail emphytéotique n°96-016 du 13 août 1996 ne limite pas le nombre de renouvellements, la location peut durer plusieurs siècles. Ainsi, ce bail de 99 ans équivaut vraiment à une vente du point de vue de la population Malagasy, alors que les investisseurs concernés ne paieront pas le prix d’un achat, mais celui d’une location, c’est-à-dire un montant dérisoire, aussi bien par rapport à la valeur monétaire et symbolique des terres que par rapport à leurs moyens.
De plus, le projet de loi comporte de nombreux articles sur l’engagement de l’Etat Malagasy dans le cadre de l’expropriation. Le mot « expropriation » étant utilisé exclusivement pour les propriétés, ce fait renforce l’idée véhiculée par ce texte que les investisseurs étrangers peuvent devenir des propriétaires de plein droit.
Par ailleurs, toutes les déclarations relatives à ce projet de loi insistent lourdement sur le principe d’égalité de traitement des investisseurs nationaux et étrangers, et les préconisations des institutions financières internationales de décembre 2021, que nous avions dénoncées dans un communiqué intitulé « Les institutions financières internationales visent-elles la diminution de la pauvreté des Malagasy ou le contraire ? » (2) avaient explicitement évoqué
- la réduction « des avantages injustes dont bénéficient certaines entreprises en place »,
- l’adoption d’une loi sur les investissements qui « harmonise les différentes lois et réglementations […], une condition primordiale permettant de renforcer la confiance des investisseurs »
- et l’accélération de « réformes » qui motiveraient de nouvelles entreprises à s’installer, en citant « le transfert de propriété » (3).
- la possibilité pour les entreprises de devenir propriétaires, « les étrangers ne peuvent pas acquérir définitivement des terres, et le cadre de la location n’offre pas une sécurité suffisante pour les investissements à long terme ».
Aussi suggèrent-elles
- « la mise à jour du cadre juridique et de la Loi-cadre sur le zonage, pour clarifier les procédures relatives aux zones d’investissement, y compris les zones d’investissement agricole,
- l’adoption de la loi sur les propriétés foncières privées titrées, qui vise à faciliter les procédures de transfert des terres et à créer la possibilité d’acquérir des terres » (3)
Ainsi, le projet de loi sur les investissements exprime vraiment une volonté de vente des terres qui ne dit pas son nom. Il y a encore quelques années, la perpétuation de la tradition relative à l’interdiction de vendre des terrains aux étrangers, tradition fortement ancré dans la culture, se manifestait par des déclarations véhémentes de hauts dirigeants qui affirmaient ne pas vendre le pays aux étrangers, car une telle action est considérée comme une infamie.
Eu égard à l’engagement de l’Etat à « faciliter et sécuriser l’accès au foncier pour les investisseurs à travers la mise en place des zones dédiées spécifiquement à l’investissement », le projet de loi renvoie à une loi sur les terrains à statuts spécifiques dont un projet avait été fortement contesté par les organisations de la société civile en 2020 et 2022, à cause du trop grand nombre d’articles défavorables aux citoyens et aux communautés locales (4).
À part cet enjeu foncier crucial, que nous apprend la lecture du projet de loi qui a fait l’objet d’un débat le 9 mai à l’Assemblée Nationale ? (5)
D’ores et déjà, la presse nous apprend que des entrepreneurs ont été invités au débat avec les députés (5), mais pas les organisations de la société civile ni les représentants de communautés, ce qui montre que le droit de ces catégories de citoyens à participer et à être impliquées dans tout le processus décisionnel relatif aux investissements n’a pas été respecté : les paysans qui constituent 80% des Malagasy ne sont pas considérés comme des investisseurs alors qu’ils font des investissements. Par contre, le projet de loi octroie un nombre considérable de droits aux investisseurs (voir Articles 3 à 7, 17 à 21) d’une part, sans aucune disposition pour mettre en place un système efficace de suivi et de contrôle impliquant les communautés directement concernées par les projets d’investissement. D’autre part, le texte ne comporte aucune disposition relative à la mise en place d’un système de sanctions à l’encontre des investisseurs qui ont enfreint les règles, ainsi que d’un mécanisme de recours de proximité accessible aux communautés pour traiter des problèmes liés aux projets d’investissements.
En outre, le projet de loi n’inclut pas dans les obligations des entreprises d’assurer la transparence et l’accès du grand public à toutes les informations concernant les études d’impact environnemental et social (EIES) des projets d’investissements ; les contrats ; les cahiers de charges ; les Plans de Gestion Environnementale des Projets (PGEP) ou les Programmes d’Engagement Environnemental (PREE) ; les réalisations des investisseurs, leurs rapports annuels et les documents relatifs à leur situation financière, y compris l’information sur leurs contributions en matière fiscale et de responsabilité sociétale des entreprises.
Ce projet de loi comporte donc seulement le début de la liste des bénéfices et avantages que l’Etat prévoit d’accorder désormais aux entreprises, au risque de s’exposer lui-même à un rapport de forces nettement défavorable avec les investisseurs en raison des dispositions suivantes :
• d’éventuelles pertes de revenus significatives liées aux incitations fiscales et douanières à l’endroit des investisseurs (article 20) ;
• des clauses de stabilité (article 21) susceptibles de l’empêcher de re-négocier les termes des contrats d’investissement qui pourraient s’avérer désavantageux pour la population et pour l’économie du pays ;
• le recours aux mécanismes de règlement des différends entre les Etats et les investisseurs (article 27) qui sont en dehors du système judiciaires établi, mais qui permettent à ces derniers d’ester l’Etat en justice et d’obtenir des compensations démesurées.
Tous les citoyens, notamment les députés et sénateurs, doivent faire preuve d’une extrême vigilance au cours de l’étude et du vote du projet de loi sur les investissements.
11 mai 2023
* Centre de Recherches et d’Appui pour les Alternatives de Développement – Océan Indien (CRAAD-OI)
[email protected] ; http://craadoimada.com
* Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
[email protected] ; http://terresmalgaches.info ; @CollectifTany
* Solidarité des Intervenants sur le Foncier - SIF
[email protected] ; https://www.facebook.com/SIFMADA/
Références
(1) La loi 2007-036 est abrogée selon le projet de loi n°n°003/2023 du 09 mars 2023 sur les investissements à Madagascar
(2) Newsletter #178 du Collectif TANY : http://terresmalgaches.info/newsletter/article/newsletter-178-fr-les-institutions-financieres-internationales-visent-elles-la
(3) Diagnostic du secteur privé. CRÉER DES MARCHÉS À MADAGASCAR. Pour une croissance inclusive. https://www.ifc.org/wps/wcm/connect/4d681c7b-538c-4c59-bf59-f5030b76a561/CPSD-Madagascar-FR.pdf?MOD=AJPERES&CVID=nSi04A9
(4) À propos des projets de loi sur les terrains à statut spécifique :
https://www.madagascar-tribune.com/Communique-des-organisations-de-la-societe-civile-sur-le-projet-de-loi-cadre.html et http://terresmalgaches.info/newsletter/article/newsletter-no182
(5) https://midi-madagasikara.mg/investissements-la-nouvelle-loi-debattue-a-tsimbazaza/)