Terre.net | 25 octobre 2018
[Interview] Gestion du foncier « En attendant la loi foncière, la financiarisation des terres s’accélère »
Arnaud Carpon • Terre-net Média
Agriculteur dans l’Eure et président de la Fédération nationale des Safer, Emmanuel Hyest insiste une nouvelle fois sur l’urgence d’une loi pour limiter la concentration des terres au détriment de ceux qui souhaitent s’installer et, plus globalement, la « financiarisation de l’agriculture » déconnectée de la rentabilité du métier. Les conclusions de la mission d’enquête parlementaire sur le foncier agricole sont attendues en décembre 2018.
Les représentants de la Fédération nationale des Safer étaient réunis à Verdun, dans la Meuse, le 10 octobre dernier en conseil d’administration décentralisé. L’occasion pour Emmanuel Hyest, le président de la FNSafer et agriculteur dans l’Eure, de rappeler l’urgence de la loi sur le foncier agricole promise par le Gouvernement.
Terre-net : À l’occasion de votre dernier conseil d’administration, vous avez alerté sur l’urgence à prendre des mesures contre « la concentration des exploitations agricoles et de l’accaparement des terres ». La tendance que vous dénoncez depuis plusieurs années est donc toujours d’actualité ?
Emmanuel Hyest : Non seulement elle est toujours d’actualité, mais elle s’accélère encore. Malgré les dernières évolutions en matière de transparence du marché foncier, les contournements posent de plus en plus de difficultés pour les jeunes qui souhaitent s’installer ou ceux qui veulent consolider leur exploitation. Les cessions de foncier via des parts de sociétés détenant les terres se font à des valeurs de plus en plus déconnectées du niveau de compétitivité et de rentabilité de l’activité agricole.
À titre d’illustration, nous nous sommes intéressés à un secteur de Haute-Normandie sur lequel sont installées 48 exploitations de plus de 300 hectares. Nous avons démontré que ces 48 exploitations sont en réalité détenues par 20 structures holdings.
Le nombre de communes où il n’y a plus un seul agriculteur installé est en constante augmentation. Ce n’est pas normal. Certains diront que les terres de ces communes sont toujours exploitées. Soit, mais cette concentration pose question en termes de diversification des productions agricoles et, plus largement, de dynamisme et d’occupation des territoires.
TN : Un travail parlementaire sur ce sujet est en cours. Où en est-on ?E.H. : La mission d’information parlementaire à l’Assemblée nationale est en cours. Les auditions se poursuivent. Cette mission doit déposer son rapport prochainement. Nous l’attendons pour décembre 2018. Il y a un absolu besoin que ce rapport sorte.
TN : Qu’attendez-vous de la loi foncière promise par le Gouvernement ?
E. H. : La loi foncière annoncée doit régler les difficultés actuelles conformément aux promesses du ministre de l’Agriculture. S’il y a un transfert croissant de parts de sociétés détenant du foncier, on doit pouvoir réguler également ces cessions au même titre que les cessions directes de terres sont encadrées et surveillées. Il faut la même transparence et le même niveau de régulation pour ces cessions de parts de sociétés que pour les cessions directes de foncier entre personnes physiques. Cette meilleure régulation doit permettre d’orienter le foncier vers les personnes qui en ont le besoin en priorité.
Au regard de l’urgence de ce dossier, nous attendons un projet de texte pour le premier semestre 2019. C’est toujours ce qui a été convenu avec le ministère et les élus. Si nous débattons de cette loi foncière en 2019, nous pourrons dire que le calendrier est respecté.
TN : Outre un plus grand contrôle des opérations foncières, y a-t-il d’autres voies pour endiguer, ou du moins freiner le phénomène de concentration et d’accaparement des terres ?
E. H. : Oui, nous avons besoins de mesures législatives pour davantage de transparence, mais aussi de mesures fiscales pour inciter les propriétaires à mettre à bail leurs terres au public ciblé, les jeunes en particulier.
La question du statut de l’agriculteur est également très importante. Définir un statut de l’agriculteur permettrait d’identifier aussi qui peut bénéficier de foncier agricole.
Je n’insiste pas sur ce point pour rien : si elle n’est pas freinée à court terme, la financiarisation du foncier agricole remettra rapidement en cause le modèle agricole français, pourtant plébiscité par la société.
TN : Sur le plan interne, où en êtes-vous de la réforme de la gouvernance et du périmètre des Safer ?
E. H. : Notre conseil d’administration du 10 octobre 2018 était le premier avec les Safer réformées. En matière de gouvernance, toutes les organisations concernées par la gestion du foncier agricole et rural sont représentées dans les conseils d’administration. Sont désormais présents des représentants de tous les syndicats agricoles représentatifs (FNSEA, JA, Confédération paysanne et Coordination rurale). Sont également représentées les associations environnementales et les fédérations régionales des chasseurs, de même que les collectivités locales : les régions, les départements et les EPCI (Etablissements publics de coopération intercommunale, ndlr).
Conformément à la loi d’avenir agricole d’octobre 2014, les Safer se sont régionalisées. Les Safer se sont aussi conformées à la loi Notre du 7 août 2015 instaurant les nouvelles régions. Nous disposons donc d’une Safer par région, sauf dans la région Nouvelle-Aquitaine où les trois Safer présentes – Aquitaine, Marche-Limousin et Poitou-Charentes – fusionneront au cours du premier semestre 2019. À terme, il y aura donc 13 Safer en métropole, et trois Safer dans les départements d’outre-mer, en attendant la création de la Safer de Guyane, prévue début 2019.
En savoir plus sur la mission parlementaire d’information commune sur le foncier agricole
Une mission d’information commune a été ouverte à l’Assemblée nationale sur le foncier agricole le 8 février 2018. Elle est composée de 19 députés, dont Anne-Laure Petel et Dominique Potier, les deux rapporteurs. Emmanuel Hyest, le président de la FNSafer, a été auditionné dès le 15 février. Au 25 octobre 2018, les membres de la mission ont auditionné une cinquantaine de représentants d’organisations concernées par la gestion du foncier agricole et de spécialistes du droit foncier rural. En savoir plus en cliquant ici.