Les affrontements informationnels autour du projet ProSavana au Mozambique
Les affrontements informationnels autour du projet ProSavana au Mozambique
Le projet ProSavana est lancé en 2010 pour développer une zone d’agriculture intensive au Mozambique en partenariat avec le Brésil et le Japon. Une mobilisation internationale des associations de la société civile a conduit à l’abandon du programme en 2017 et illustre une inversion inédite des rapports de force entre le fort et le faible autour des terres africaines.
L’année 2008 est marquée par une grave crise alimentaire mondiale. Les prix des produits agricoles explosent sur les marchés internationaux et poussent de nombreux pays dans une insécurité alimentaire et une instabilité politique. Le G8, réuni à l’Aquila en 2009, lance un fonds pour la sécurité alimentaire visant à promouvoir une agriculture durable. Dans ce contexte, ProSavana est signé en 2010 par le gouvernement du Mozambique, l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) et l’Agence brésilienne de coopération (ABC). Ce projet agricole de 14 millions d’hectares est situé au Nord du Mozambique dans le corridor de Nacala et s’étend sur 19 districts. Peuplée de cinq millions d’habitants, cette région présente de nombreuses similitudes avec l’Etat du Mato Grosso au Brésil, devenu en un demi-siècle la principale zone productrice de soja de la planète. L’accord prévoit le découpage du territoire en exploitations agricoles, dédiées principalement à la production intensive de maïs, de soja et de coton. Avec un accès ferroviaire au port de Nacala, ProSavana bénéficie d’une situation géographique stratégique pour les exportations vers l’Asie.
L’attrait de la rentabilité agricole dans les pays en voie de développement
La collaboration entre le Japon et le Brésil prend essor dans les années 1970 avec le projet PROCEDER dans le Cerrado brésilien. Ces premiers accords ont permis au Japon, sous la pression des américains, de diversifier leurs sources d’approvisionnement en soja. Ils ont apporté au Brésil les capitaux nécessaires au développement de son secteur agricole. Les responsabilités des pays sponsors attestent des dynamiques actuelles de l’agriculture mondiale. Les japonais sont en charge du développement des infrastructures, de la commercialisation et de la distribution des produits vers l’Asie. Le Brésil apporte ses technologies et ses savoir-faire, en s’appuyant sur l’entreprise publique Embrapa et l’installation d’un institut de recherche agronomique dans la capitale Maputo en 2009.
Cette coopération Sud-Sud est poussée par le Brésil à travers la communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP). Pour le Mozambique, où près de 50% de la population vit sous le seuil de pauvreté, les enjeux de développement économique sont considérables. Le pays est doté de ressources naturelles importantes et la promotion des terres est un moyen d’attirer les capitaux étrangers, nécessaires pour mécaniser et augmenter la productivité de l’agriculture. Les gouvernements ont ainsi autorisé de nombreux projets agricoles, accompagnés d’accords douaniers bilatéraux et de systèmes de subventions, en retour d’investissements et de transferts de technologie.
L’intérêt des acteurs privés pour les terres du Mozambique s’est renforcé à la suite de la crise financière de 2008. Les banques et les fonds y ont vu une source d’investissements à rentabilité élevée et à moindres risques. Pour attirer les investisseurs, le fonds Nacala est créé en 2010 et alimenté de 2 millions par le Brésil et le Japon. La promotion de ProSavana est assurée par un cabinet de conseil brésilien GV Agro, détenu par la puissante fondation Getulio Vargas (FGV) et dirigé par l’ancien ministre de l’agriculture Roberto Rodrigues. Le cabinet fournit également ses services auprès de grandes entreprises partenaires dans le secteur de l’agrochimie pour les semences et les pesticides, l’alimentaire pour la transformation, et du BTP pour le développement des infrastructures. Des montages financiers se mettent en place via des joint-ventures comme AgroMoz, détenue par l’industriel portugais Galp et Intelec, une holding dont est actionnaire la famille du président du Mozambique Armando Guebuza. Ces relations posent légitimement la question du conflit d’intérêts.
La rentabilité du projet repose sur la capacité d’acquérir des titres de propriété. Au Mozambique, les terres sont publiques et peuvent être acquises sous forme de concessions, des droits d’usage et d’exploitation (DUAT). Dès 2010, une campagne est lancée pour acheter les DUAT, facilitée par l’absence de cadastre et la difficulté des paysans de justifier leurs titres de propriété. Le plan directeur du programme atteste également de la mise en place de stratégies de formation de leading farmers et la création d’associations pour promouvoir ProSavana et pousser les paysans à devenir salarié des industries privées.
Une mobilisation internationale pour soutenir les paysans du Mozambique
Face au programme d’appropriation des terres, les coopératives d’agriculteurs s’organisent à partir de 2011 autour du syndicat UNAC et reçoivent le soutien des organisations de la société civile. En 2012, la mobilisation prend de l’ampleur lorsque l’influente ONG brésilienne FASE invite des représentants du Mozambique au Mato Grosso pour constater les impacts sur l’environnement et les populations autochtones des productions intensives et consommatrices en produits phytosanitaires.
ProSavana subit un premier choc en mars 2013 lorsque le plan directeur fuite et révèle la stratégie élaborée par le consortium. Les associations dénoncent le manque de transparence et de critères en faveur d’investissements socialement responsables. Les sponsors du projet rejettent la responsabilité sur le gouvernement du Mozambique et le manque de financement pour organiser une consultation publique. Une lettre ouverte est envoyée aux gouvernements des trois pays, soutenue par des associations et des personnalités internationales.
La réponse du Mozambique est tardive et perçue comme décevante. Le mouvement Nao Ao ProSavana s’amplifie à mesure que sont rapportées des pratiques de pression envers les paysans. Un plan directeur révisé est présenté en 2015, une nouvelle consultation est lancée mais les positions des acteurs civils sont désormais durement ancrées. Les associations japonaises poussent leurs parlementaires pour obtenir plus de transparence de la JICA, agence sous contrôle public et frappée dans le passé par des scandales financiers. De nouveaux documents confirment la stratégie offensive et ne cachent plus les intentions mercantiles. Le consortium est attaqué à l’échelle mondiale et ne peut qu’opposer une stratégie défensive face aux révélations d’informations. Le manque de coordination des sponsors du projet et la prise de distance du Brésil marquent le basculement du rapport de force en faveur la société civile. Par son incapacité à acquérir les terres, ProSavana perd son attractivité auprès des investisseurs internationaux et sera abandonné en 2017.
L’agriculture du Mozambique exposée à des rapports de force multiples
La mobilisation de la société civile contre ProSavana est inédite et ne doit pas masquer la réalisation d’autres projets, comme l’illustre l’ampleur du développement du marché de l’éthanol. Le Mozambique reste soumis à la pression des marchés agricoles internationaux et ne peut garantir la sécurité alimentaire de sa population. Sur le long terme, l’utilisation de brevets pour les semences, les engrais et les équipements rend également le pays dépendant des économies étrangères. Ces investissements bouleversent aussi les structures sociales et économiques. Le développement d’une agriculture intensive impacte l’environnement et entraine l’éviction des paysanneries locales. Ils ôtent aux habitants leur principal moyen de subsistance, forcés de devenir salarié ou de partir. L’immigration économique en Europe est une des conséquences du rapport de force dominant des puissances financières sur les populations africaines.
Face à ces enjeux, les institutions internationales comme la Banque Mondiale ou le World Food Security de la FAO édictent des critères d’investissement responsable pour encadrer les programmes agricoles. Cependant, ils ne présentent pas de caractère obligatoire ou chiffré et reposent sur la volonté des acteurs publics et privés. Le Mozambique porte ainsi la responsabilité de protéger son patrimoine pour assurer une croissance durable et sa souveraineté alimentaire.
Pauline Flury
Bibliographie
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