Terres arables : les étrangers en ligne de mire

(Photo Jean-Louis Duzert)

Le Petit Journal | mardi 25 août 2009

Les étrangers volent-ils la terre des Thaïlandais ? Le débat enflamme l’ensemble de la presse locale. Malgré des lois strictes, qui font de la terre un bien national inaliénable, les fermiers thaïlandais s’estiment lésés. Mais jusqu’à quel point les étrangers sont-ils à blâmer ?

"Les étrangers vont prendre notre argent, nos emplois, nos femmes et nos terres !" Cette diatribe n’émane pas d’un blog ou d’une émission de télé-réalité, mais de l’éditorialiste de Guru, supplément hebdomadaire du Bangkok Post. La peur de l’étranger est relayée par l’ensemble de la presse locale depuis quelques semaines. En temps de crise, comme ailleurs, il est habituel qu’il devienne un bouc-émissaire. On se souvient qu’il avait déjà insidieusement introduit la grippe A-H1N1 dans le royaume ou qu’en raison de son hygiène douteuse, les trains thaïlandais se retrouvaient infestés de punaises l’an dernier. On apprend aujourd’hui que l’étranger, ce fourbe, volerait la terre des fermiers thaïlandais, pour construire des villas ou faire pousser du riz destiné à l’export. "Les étrangers détiennent 90% des terres le long de la côte à Phuket !" titrait encore hier le Bangkok Post. Complices, les juristes thaïlandais les auraient aidés "à trouver les failles du système", pointe un rapport du Thailand Research Fund.

Visites diplomatiques contre terres arables

En théorie, un étranger n’a aucun moyen légal de posséder la terre en Thaïlande. Il apparait cependant que des particuliers et des entreprises aient réussi à contourner la loi (lire plus bas, à ce sujet, "Des lois rigides mais contournées"). La grande peur de l’étranger vient surtout de ces visites diplomatiques en provenance du Moyen-Orient. Depuis quelques années, certaines nations approchent les autorités thaïlandaises pour obtenir des concessions, l’idée étant d’assurer la sécurité alimentaire de leur pays en exportant du riz produit dans le royaume. La Banque Al Salam de Bahrein a par exemple signé un accord controversé avec l’entreprise agroalimentaire thaïlandaise CP Food. Inquiétés par ce possible grignotage du foncier national, beaucoup accusent le Land Department, une branche du ministère de l’Intérieur, de fermer les yeux sur ces pratiques pour favoriser les investissements étrangers dans d’autres secteurs. "Nous ne pouvons pas contrôler toutes les acquisitions, se défend Anuwat Maytheewibulwut, le directeur du Département. Mais nous enquêtons lorsque nous recevons une plainte".

Officiels corrompus et Révolution verte

Le gouvernement d’Abhisit Vejjajiva, déjà en difficulté, se retrouve encore ici dans une situation délicate : il doit, tout en conservant une image patriotique, contenter les investisseurs étrangers dont la Thaïlande a cruellement besoin pour relancer son économie. Pour calmer les esprits, le Department of Special Investigation (DSI) a lancé une enquête sur les transactions de quatre compagnies thaïlandaises d’Ayutthaya, propriétaires de 10,000 raïs de terres arables. "C’est une chose de vouloir protéger les petits producteurs, mais utiliser des ressorts de xénophobie pour éviter d’aborder les vrais problèmes, c’en est une autre !", tonne Sanitsuda Ekachai, rédactrice en chef adjointe du Bangkok Post. Elle estime que la "Révolution verte" imposée aux paysans il y a 40 ans pour permettre au royaume de devenir le premier exportateur de riz au monde, est davantage responsable des difficultés actuelles des paysans : encouragés à pratiquer la monoculture, à grand renfort de pesticides coûteux, ces derniers ont peu à peu tué la poule aux œufs d’or. Pour sauver les petits producteurs, écrit-elle, il faudrait déjà s’attaquer à cette "agriculture destructrice" et aux "officiels corrompus" qui délivrent, à de gros propriétaires thaïlandais et étrangers, des titres de propriété illégaux.

Marie NORMAND (http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html) mardi 25 août 2009

Des lois rigides, mais contournées

De l’Algérie à l’Ukraine, de nombreux pays ont, comme la Thaïlande, mis en place des régimes de propriété foncière restrictifs. Dans le royaume, la terre est considérée comme un bien national inaliénable. En théorie, il est donc impossible pour un étranger de posséder une terre, même en passant par un mariage : le citoyen thaïlandais est tenu de signer un contrat stipulant qu’il reste l’unique propriétaire du foncier détenu par le couple. Même dans le cas d’un héritage, précise Alexandre Dupont, directeur du cabinet Law Solutions, le survivant n’hérite que de la valeur du bien : il a un an pour vendre la terre et récupérer le prix de la vente. Seul l’étranger qui a investi 40 millions de bahts dans certains secteurs d’activité peut, à la rigueur, obtenir un seul "raï" de terre (1.600m2), dans des zones clairement délimitées, pour y placer une résidence. L’agriculture est de toute façon réservée aux citoyens thaïlandais selon le Thailand’s Foreign Business Act (1999). Mais les "combines" utilisées par les quelques investisseurs - notamment chinois et saoudiens - pour posséder de fait quelques hectares sont multiples. Certaines exploitations agricoles locales acceptent de leur confier la gestion de leurs terres en échange de contrats juteux ou d’achat de matériel dernier cri. Autres possibilités : acheter un terrain par l’intermédiaire d’un citoyen thaïlandais, payé annuellement comme prête-nom, ou investir massivement dans les capitaux d’une compagnie locale propriétaire de terres arables (que l’étranger ne pourra pas détenir à plus de 49%).

M.N (http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html) mardi 25 août 2009
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