«Si les populations se battent, l’accaparement des terres s’arrêtera»

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Francis Ngang à Tunis le 25 mars. (Isabelle Rimbert)

Libération | 27 mars 2015

«Si les populations se battent, l’accaparement des terres s’arrêtera»

Christian LOSSON (à Tunis)

FORUM SOCIAL MONDIAL

Chaque jour, un militant présent à Tunis raconte son combat. Aujourd'hui: Francis Ngang, de l'ONG Inades-Formation. (5/7)

A l’occasion du Forum social mondial de Tunis, du 24 au 28 mars, où 70 000 participants de plus de 130 pays doivent se réunir pour proposer des alternatives à un monde dans l’impasse, Libération.fr se propose de prolonger le regard de militants. Chaque jour, et jusqu’à dimanche, retrouvez un témoignage, un combat, un espoir.

Aujourd’hui Francis Ngang, 49 ans, Ivoirien, secrétaire général d’Inades-Formation

«Une fièvre verte, une boulimie de terre qui prive nos paysans de l’accès à leur propre terre. Près de 75% de ces acquisitions se concentrent en Afrique. Notre objectif, avec Inades Formation, est de sortir du cadre purement national pour tenter de trouver des convergences de luttes et des alternatives concrêtes à opposer. Comme agro-économiste, je suis stupéfait par le phénomène d’acquisition massive des terres a pris, ces dernières années, une ampleur effrayante. "La terre appartient à une grande famille, dont beaucoup de membres sont morts, quelques-uns sont vivants et dont le plus grand nombre est encore à naître", disait le Nigérian Elias Olawale. C’est de moins en moins vrai. Et l’on prive les paysans de leur terre, de leur semence, de leur histoire.

« Je suis notamment venu au FSM de Tunis pour parler d’une étude, réalisée pendant près de quatre ans, avec d’autres comme la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain [Copagen] et l’action collective de l’Université de Montréal [Redtac]. On s’est penché sur plus de douze ans d’accaparement des terres dans neuf pays le Bénin, le Burkina Faso, la Côte-d’Ivoire, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. A l’arrivée, 2 313 400 hectares de terre ont été acquis entre 2000 et 2012, soit 1,5% de la superficie totale des terres arables de ces pays, plus de 9% pour le seul Sénégal. Le truc, c’est qu’à ce rythme, a rappelé Via Campesina, dans moins d’une décennie, le Burkina Faso n’aurait plus de terres pour les petits paysans. Ce chiffre donne le tournis. D’autres études, comme celle de Land Metrix, parlait jusque là de moins d’un millions d’hectares.

«La faute à qui? A la gouvernance libérale qui, à coup de codes législatifs conciliant ou de zone économiques spéciales, favorise l’investissement privé agricole. Surprise, ce ne sont pas que les firmes étrangères, les spéculateurs qui mangent les terres. Mais aussi, à 47%, des élites locales: des hommes politiques, des hommes d’affaires, des chefs et des dignitaires religieux, et même des responsables de coopératives agricoles. On savait les acquéreurs étrangers étaient des investisseurs et des spéculateurs, de grands groupes industriels, mais pas que des acteurs locaux –parfois avec nombre d’abus de pouvoir, de la corruption– privent leurs propres forces vives de leurs terres. C’est un des drames, une des maladies de l’Afrique: la quête effrénée de l’argent au détriment du vivre-ensemble. Les gouvernements devraient protéger leur population contre cette dérive, d’autres l’ont fait, en Argentine ou même en Nouvelle-Zélande. Au contraire, ils jouent le rôle de facilitateurs, ils se font les porte-voix de cette "diplomatie économique", vantée par le G8 au nom de la "sécurité alimentaire", libéralise à tout va l’accès à la terre. Leur nouveau graal: les partenariats public-privé. Soit, à l’arrivée, laisser le champ libre aux grandes entreprises pour qu’elles "cultivent", construisent des barrages ou bitument des routes… Le pire, c’est qu’on leur cède des terres pour trente ans, parfois jusqu’à quatre-vingt dix-neuf ans. Et que, derrière les promesses d’aide à la construction aux écoles, aux hôpitaux, rien ne vient. A part, quelques mines à ciel ouvert où l’on voit des panneaux sur lesquels il est inscrit: "Attention, cyanure, danger de mort".

«Et puis, cela divise aussi les communautés. Autre sujet de préoccupation: les jeunes et les femmes sont très souvent opposées aux cessions ou aux ventes massives des terres agricoles. Les jeunes estiment que l’égoïsme des aînés conduit ceux-ci à brader les terres sous prétexte qu’ils doivent en bénéficier avant de mourir. Les femmes, n’étant pas propriétaires terriennes dans la coutume, n’ont presque jamais leur mot à dire dans les négociations pour les cessions des terres communautaires. Le pire, c’est que près de 60% des terres capturées ne sont pas mises en valeur. Et quand elles sont, elle servent aussi à l’exploitation minière. Reste que la bataille ne fait que commencer. La gravité du phénomène a également contribué à aviver le débat sur les enjeux du foncier, tant au niveau international que national. Si les populations se battent, luttent, la course à l’accaparement des terres s’arrêtera. Il faut cultiver, à la base, les résistances, comme l’a montré, le Sénégal, où des projets ont dû être stoppés.»

Christian LOSSON (à Tunis)

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