Acquérir la terre par la nationalité?

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En application des engagements pris par l’Etat ivoirien dans un accord-cadre de coopération signé avec les pays du G8 et certaines multinationales, Ouattara compte faire établir les certificats fonciers avant l’élection présidentielle d’octobre 2015
Infos d'Abidjan | 16 juillet 2013

Acquérir la terre par la nationalité?

La spoliation continue ! Comme s'il était insupportable que l'Autre, quel qu'il soit possède quelque chose, comme si les règles d'appartenance et de possession devaient être décidées en coulisses par un très petit nombre qui depuis leurs coulisses imposeraient leurs laquais invertébrés pour qu'ils appliquent leurs consignes.

Ouattara a enfin levé un coin de voile sur la « réforme foncière » qu’il se proposait d’introduire. Elle consiste tout simplement à prolonger de dix ans, le délai accordé pour la constatation des droits coutumiers et de trois ans, celui accordé pour la consolidation des terres concédées, c’est-à-dire à reconduire les mêmes dispositions de l’article 6 qui n’ont pu être appliquées depuis l’adoption de la loi de 1998, à cause de l’instabilité qu’il a créée en Côte d’Ivoire avec le coup d’Etat de 1999, la rébellion de 2002 et la crise postélectorale de 2011.

En définitive, en fait de « réforme foncière », il n’y en a pas, puisque, contrairement à son annonce, son projet de loi, tel qu’il ressort du communiqué du Conseil des ministres du jeudi 13 juin 2013, ne comporte aucune disposition visant à « reprendre ce code foncier et (à) le renforcer ». Il s’agit plutôt d’une adaptation technique visant à rendre applicable la loi relative au domaine foncier rural de 1998 dans son intégralité.

Pourquoi cette reculade après les déclarations tonitruantes de Ouattara à Duékoué et Man ? Est-ce parce que les inquiétudes et le mécontentement populaires qui avaient commencé à enfler, l’en ont dissuadé ? Ou est-ce parce que, sa « réforme foncière» réside ailleurs, en dehors de toute modification de la loi de 1998, mais plutôt dans la mise en œuvre de celle-ci ? Ouattara n’avait-il pas déclaré aussi à Man, que « la question foncière est liée à celle de la nationalité » ?

Observons d’abord cette curiosité qui consiste à mettre l’accent sur un supposé lien entre la nationalité et le foncier. La nationalité, parce qu’elle consacre le lien de rattachement avec un Etat, confère des droits et impose des devoirs. Par exemple, être fonctionnaire et faire son service militaire. La nationalité n’établit donc pas seulement un lien avec le foncier, mais aussi avec bien d’autres domaines de l’activité sociale, en y ouvrant l’accès. Pourquoi alors mettre en exergue le lien entre foncier et nationalité ? Faut-il comprendre que c’est par l’acquisition de la nationalité que Ouattara opèrera sa « réforme foncière » ?

Cette crainte est d’autant plus justifiée que, récemment, Ouattara a multiplié les initiatives en matière de nationalité. Des projets de loi proposent la nationalité par déclaration. Lors de sa dernière tournée dans le nord, il a décidé de supprimer l’intervention du préfet en matière de naturalisation, écartant ainsi l’enquête pour tout demandeur. Pourquoi ?

La cadence imprimée à ces initiatives juridiques, semble les inscrire dans un agenda bien précis. Car, en application des engagements pris par l’Etat ivoirien dans un accord-cadre de coopération signé avec les pays du G8 et certaines multinationales, Ouattara compte faire établir les certificats fonciers avant l’élection présidentielle d’octobre 2015, plus précisément au plus tard, à la fin du mois de juin 2015.

Alors, question : Peut-on raisonnablement attribuer des certificats fonciers en l’espace de deux ans, alors même que la réconciliation demeure un vœu pieu et que les propriétaires fonciers de l’ouest notamment, sont encore en dehors de leur terroir, pour fait de guerre postélectorale ?

En effet, la crise politico-militaire (2002-2011) a eu des conséquences terribles, particulièrement à l’ouest. Des villages entiers ont été brûlés et rayés de la carte nationale. Plusieurs villages parmi ceux qui restent, ont connu un bouleversement de leur démographie au profit d’immigrés qui s’y sont installés par la force et opérer parfois, un changement de la gouvernance traditionnelle : des immigrés sont devenus chefs de village quand ils n’imposent pas des pantins parmi les rares autochtones qui sont restés. Les vrais chefs et/ou leurs adjoints sont, soit destitués, soit traqués et assassinés, comme ceux de Bagohouo (village ayant accueilli Amandé Ouérémi), etc. Des propriétaires fonciers ont été exécutés es qualité par des immigrés à qui ceux-là avaient concédé des portions de terre, justement pour s’en approprier. D’autres ont fait l’objet d’une expulsion ou d’une expropriation forcée, après avoir subi les sévices les plus humiliants. D’autres encore plus chanceux, se sont, soit déplacés ailleurs, en Côte d’Ivoire, soit exilés dans des pays frontaliers. Les rares qui sont restés ne peuvent avoir accès à leurs plantations ou à leur forêts qui sont exploitées par les nouveaux occupants, qu’après s’être acquittés d’une rançon. Des individus se sont improvisés propriétaires traditionnels et « vendent » des parcelles de terre. Bref, les droits élémentaires de la personne humaine (droit à la vie, droit de propriété, droit au travail) sont violés, sous l’œil bienveillant du régime Ouattara. Un journaliste du nouvel observateur avait d’ailleurs révélé que les occupants déclaraient à l’endroit des populations wê : «Nous prendrons vos femmes, vos terres, vos champs et vous mangerez de la boue … On va vous tuer tous, jusqu’au dernier». La réalité de l’exécution « d’un programme génocidaire et d’extermination systématique » du peuple wê ne semble plus faire l’objet d’un doute.

Mais, s’il est vrai que les populations autochtones wê sont concernées au premier chef, à l’ouest, les dans n’échappent pas à cette furie, comme à Biankouma où, Lamine Rombo dit « Commando », un rebelle originaire du Burkina-Faso, et ses compagnons vivent en seigneurs. Les Baoulés qui ont migré dans la région, subissent parfois les mêmes atrocités. Tués ou chassés de leurs plantations, ils payent des rançons. Au nord, les journaux rendent régulièrement compte des conflits entre ces « électeurs clandestins » de la présidentielle de 2010, qui y ont pris pied, et les autochtones (sénoufo et autres). Contrairement aux principes traditionnels, ces immigrés veulent se consacrer aux cultures pérennes, refusent de travailler désormais pour leurs hôtes et revendiquent la propriété des terres, parce qu’ils se sentent protégés par les nouvelles autorités. A Séguéla, les populations ont été choquées et intriguées par la démarche curieuse récente du préfet et comzone Koné Messemba, originaire de la région, visant à délimiter les terres et à recenser les burkinabé qui y résident. A quelles fins ?

Dans un tel contexte, avec quels conseils villageois, Ouattara compte-t-il réaliser l’enquête qui va permettre de constater les droits coutumiers, en application de la loi foncière de 1998 ? Qui sont les sachant qui vont certifier les délimitations entre villages et entre les propriétés ? A quels individus et quels gestionnaires de « groupement informel d’ayants droit dûment identifiés » compte-t-il attribuer les certificats fonciers ?

On le voit bien, la délivrance des certificats fonciers par la mise en œuvre de la loi de 1998 par Ouattara suscite des inquiétudes. Ouattara ne rassure pas quant à sa volonté de respecter les droits de tous les détenteurs de droits fonciers coutumiers et de les protéger. Au contraire, le foncier rural semble lui offrir, encore une fois, l’opportunité de mettre en œuvre sa « politique de rattrapage ». Car, si apparemment, Ouattara veut appliquer la loi relative au domaine foncier rural de 1998, les craintes sont grandes qu’il détourne les droits coutumiers consacrés par les textes, au profit de cette meute armée de mercenaires qui occupe de force, les terres villageoises.

Souvenons-nous que, dans leur adresse à Soro Guillaume en juillet 2012, les Wê de Belgique avaient déjà averti : «La terre de nos ancêtres, donc l’héritage de nos enfants n’a jamais été l’objet de commerce, ne l’est pas maintenant et ne le sera jamais dans le futur. Illusoire donc d’y penser et de poser des actions (de nature) à contraindre le peuple ». « Le peuple Wê peut louer une parcelle de terre à des immigrés, mais ces derniers ne peuvent prétendre être les propriétaires de ces terres louées ». C’est la même réponse que le chef de village de Mbengué, au nord, a faite récemment, en attirant l’attention sur les conflits qui naissent le plus souvent du fait du non-respect par des personnes étrangères à la région, des principes coutumiers selon lesquels la terre appartient au peuple Sénoufo.

Dans cette atmosphère, les évènements d’Angovia, village baoulé de la région de Bouaflé au centre du pays, viennent rappeler à ceux qui doutaient encore, que ce problème n’est pas seulement wê ou limité à l’ouest, mais plutôt national. Suite au refus des orpailleurs immigrés, de se soumettre à l’autorité villageoise, en payant une banale contribution au développement du village, une rixe a opposé un autochtone à un d’entre eux qui est décédé. La réaction des immigrés a été violente. Nuitamment, armés, ils sont revenus assassiner quatre autochtones et brûler le village. L’éruption d’angovia révèle les risques d’embrasement de la poudrière foncière dans le contexte d’une occupation armée. Elle concentre en elle une bonne partie de la problématique foncière actuelle : un conflit, une opposition entre autochtones et immigrés qui réclament désormais la propriété des terres, assurés d’un appui armé dans cette revendication.

Une prime au mercenariat ?

En réalité, la question ne peut plus être traitée sous l’angle de la problématique foncière d’avant la rébellion de 2002, et même à travers le prisme étroit du foncier rural. L’occupation armée d’une partie du territoire national par la rébellion, a changé la donne, dans la mesure où elle a favorisé l’exploitation foncière par les forces qui ont combattu aux côtés de Ouattara pour son accession au pouvoir : Forces nouvelles (MPCI, MPIGO ou MJP), FRCI, dozos, mercenaires burkinabè et autres. Utilisé d’abord pour permettre le financement de l’« effort de guerre », le foncier (forestier, agricole, minier etc.) est considéré aujourd’hui comme un « butin de guerre » qui permet de récompenser les combattants à qui les rémunérations promises n’ont jamais été versées. Evidemment, cette « manne foncière » bénéficie à tous ces immigrés qui, attirés par la « ruée organisée sur l’ouest » depuis le début de la rébellion jusqu’à ce jour, contribuent au repeuplement de la zone.

Face à une telle évolution, les solutions envisagées dans le cadre du déguerpissement des aires protégées (Mont péko et forêt niegre), créent des malaises du fait de leur caractère inapproprié. En effet, Ouattara y opère un recensement des occupants illégaux afin de procéder à leur réinstallation. Où ? Dans leur région ou pays d’origine ? De quel droit à réinstallation peut bénéficier un occupant illégal, mercenaire de surcroît ? Ces réinstallations ne vont-elles pas contrarier la mise en œuvre de la loi foncière de 1998 dans les droits qu’elle ouvre aux propriétaires coutumiers? La conquête du pouvoir par les armes et le mercenariat ouvrent-ils droit à des avantages spécifiques ?

Autant de questions qui conduisent à s’interroger sur compatibilité de la gouvernance de Ouattara, « Président reconnu par la communauté internationale », avec les principes et directives élaborés dans le contexte de la nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire mondiale. Car, en définitive, la vraie « réforme foncière » que le plan secret de Ouattara semble viser, pourrait avoir pour conséquence de faire des attributions de certificats fonciers qui seront assurément contestées demain, et provoqueront des conflits dont on ne peut prévoir les développements futurs. La sécurité et la stabilité en milieu rural semblent hypothéquées pour une longue période, rendant du coup aléatoire la rentabilité de tout investissement. A terme, c’est la sécurité alimentaire et le développement de certaines régions de la Côte d’Ivoire qui semblent compromis dans la mesure où la gouvernance foncière de Ouattara conduit à alimenter des conflits permanents, source d’instabilité.

Qui peut lui souffler que toute initiative foncière en Côte d’Ivoire aujourd’hui passe par trois préalables ?

1) Le désarmement véritable des dozos, des FRCI et des milices ou mercenaires burkinabè et leur rapatriement dans leur région ou pays d’origine ;
2) la réconciliation nationale qui consacre le retour sécurisé des déplacés et exilés ;
3) la rétrocession des terres à leurs propriétaires légitimes.


Dr Kouakou Edmond
Juriste consultant

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