Côte d'Ivoire: Les fermiers du nord craignent de perdre leurs terres cédées aux multinationales

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Timothée N’dabian, un juriste à Abidjan, estime qu’avant de s’engager dans des contrats avec les multinationales, le gouvernement ivoirien devrait opérer des réformes foncières pour la reconnaissance de la légitimité des droits fonciers des populations.
Inter Press Service | 20.3.2013

COTE D’IVOIRE
Les fermiers du nord craignent de perdre leurs terres cédées aux multinationales


Fulgence Zamblé

ABIDJAN , 20 mars (IPS) - Des agriculteurs du nord de la Côte d’Ivoire affirment que leur survie est menacée par la décision du gouvernement d’accorder de grandes superficies de terres à une multinationale. Ne disposant pas d’un droit de propriété, ils ont peur de perdre l’héritage de leurs ancêtres.

"Les terres que nous exploitons sont celles léguées par nos parents. Nous pensons aussi les céder à nos descendants parce qu’aujourd’hui, il est difficile de trouver de terres arables ailleurs", déclare à IPS, Dokatiené Silué, paysan originaire de Dikodougou, dans le nord de la Côte d’Ivoire.

Les chiffres du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI) indiquent que le pays dispose de 24 millions d’hectares de terres cultivables. Et seulement 9,5 millions d’hectares sont utilisés pour l’agriculture vivrière et les cultures d’exportation.

"Avec des terres vierges largement disponibles, nous comprenons difficilement que l’Etat et ses partenaires se concentrent sur celles que nous exploitons déjà", dénonce Silué.

Depuis 2007, le gouvernement ivoirien approuve des projets de développement agro-industriel, notamment pour la culture de l’hévéa (caoutchouc) et du palmier à huile. Cette année, il a approuvé des projets dans la riziculture avec l’espoir de quadrupler la production du riz de 100.000 tonnes à 400.000 tonnes dans le nord.

Par exemple, le 31 janvier, Marguérita Dreyfus, principale actionnaire du groupe de négoce de matières premières Louis Dreyfus a signé un accord avec le ministre ivoirien de l’Agriculture pour la mise à disposition de quelque 200.000 hectares de terres cultivables dans le nord du pays. Un investissement de 60 millions de dollars est prévu pour ce projet.

"C’est une soixantaine de milliers de fermiers ivoiriens et leurs familles qui vont exploiter leurs terres. Les superficies, qui seront mises en valeur dans le cadre de ce projet, appartiennent aux fermiers ivoiriens" a déclaré Serge Schoen, directeur général de 'Louis Dreyfus Comodities'.

Les trois grandes régions du nord du pays - Korhogo, Boundiali et Ferkéssedougou - sont concernées par cette cession de terres par l’Etat ivoirien. "Ce projet permettra de consolider les acquis des petits planteurs à travers des emplois et des productions garanties", a affirmé, pour sa part, le ministre ivoirien de l’Agriculture, Sangafowa Coulibaly lors de la signature de l’accord.

Ces déclarations ne suffisent pas pour convaincre totalement des fermiers craintifs. "Le problème est que nous ne disposons pas de titre de propriété, or bon nombre d’entre nous en ont fait la démarche dans le passé, sans succès", explique à IPS, Fougnigué Soro, paysan de Niofoin, dans le département de Boundiali.

Soro et Silué et trois autres paysans du nord étaient le 9 mars à Abidjan la capitale économique ivoirienne, pour s’informer auprès des autorités, sur le sort qui leur est réservé par cet accord. "Il est dit que les terres nous appartiennent toujours. Mais il faut nous accorder le titre foncier pour nous rassurer, surtout que la durée du contrat est inconnue", suggère Soro.

Les autorités les ont rassurés que les terres qui seront exploitées, resteront la propriété des fermiers et que ces derniers pourraient travailler pour la multinationale.

"Le problème majeur des fermiers est qu’ils ne sont pas constitués en syndicat pour défendre leurs intérêts. Ils sont donc vulnérables et soumis aux desiderata de l’Etat", souligne Timothée N’dabian, un juriste à Abidjan.

N’dabian estime qu’avant de s’engager dans des contrats avec les multinationales, le gouvernement ivoirien devrait opérer des réformes foncières pour la reconnaissance de la légitimité des droits fonciers des populations. "C’est une assurance qui balise le terrain, surtout que des cas existent déjà ailleurs".

En effet, des certificats fonciers ont été accordés par le gouvernement, début-mars, aux paysans du centre-ouest de la Côte d’Ivoire, afin qu’ils mettent progressivement à la disposition d’investisseurs, près de 10.000 hectares de terres pour la réalisation d’un projet d’hévéaculture.

"Le revers de la médaille de la politique des firmes multinationales, c’est que leur développement participe à la flambée des prix agricoles et à leur volatilité", affirme Séraphin Yao Prao, économiste chercheur à l’Université de Bouaké (centre du pays).

"Le plus souvent, les créations de grands domaines agricoles se font aux dépens des populations locales dont les droits fonciers sont peu ou pas protégés par les gouvernements", indique-t-il à IPS.

Selon la loi foncière ivoirienne, la terre appartient à l’Etat et une société étrangère ne peut se porter acquéreur de terres, mais elle peut seulement bénéficier d’un contrat de bail de plusieurs années. Aussi, les terres qui n’ont pas de propriétaires légaux sont la propriété de l’Etat.

"Cette loi est incomplète ou mauvaise. Elle est mauvaise parce qu’elle n’a pas pu distribuer des titres fonciers aux paysans. Elle est incomplète parce qu’elle interdit aux étrangers d’acheter des terres", estime Yao Prao.

"Les multinationales expriment quotidiennement un appétit des terres. Il est temps de réviser la loi foncière pour la protection des fermiers", ajoute N’dabian. (FIN/2013)
  •   IPS
  • 20 Mar 2013

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