Les lois de la terre

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La foule chez Pergam Finance, au Champs Elysées, le 17 avril 2012
XXI | 25 avril 2012

Les lois de la terre

Dans son numéro 18, avec le documentaire Planète à Vendre, XXI évoque la ruée des fonds de gestion sur les terres cultivables. Au nombre des investisseurs qui misent sur l’agriculture intensive, un financier français.

C’est une plaque de cuivre au cinquième étage du numéro 123 de l’avenue des Champs Elysées, à deux pas du très chic hôtel George V : Pergam Finance. La discrète société, qui gère un milliard d’euro pour le compte de grandes fortunes et d’entreprises, appartient à Olivier Combastet, l’un des investisseurs interrogés dans Planète à vendre, un documentaire réalisé par Alexis Marant.

L’homme d’affaires a acheté 45000 hectares de terres en Uruguay et en Argentine au cours des huit dernières années. Avec l’aide de la société Monsanto notamment, qui lui fournit des sémences génétiquement modifiées, il y fait pousser du soja, du maïs, des céréales et éleve des bovins par milliers. Il espère valoriser ses investissements de 10 à 15% par an dans les années à venir.

Face à la caméra du réalisateur, le gérant de Pergam Finance explique avec candeur que « spéculer, c’est espérer ». Son aplomb a fait de lui la cible des associations qui dénoncent un « accaparement des terres ».

Depuis plusieurs années, les fonds de gestion du monde entier investissent dans les terres cultivables des pays en développement par centaine de milliers d’hectares pour y développer une agriculture intensive. Leur calcul : miser sur la croissance de la demande alimentaire alors que la population mondiale devrait dépasser les 9 milliards d’habitants d’ici 2050.

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L'action paysanne chez Pergam Finance, le 17 avril 2012
Pour redorer son image, Olivier Combastet avance une série d’arguments bien connus des milieux financiers liés à l’agrobusiness. Nous avons présenté son plaidoyer à Renée Vellvé, membre de Grain, une petite association qui travaille sur la biodiversité depuis le début des années 1980. En vingt ans, la structure a acquis une solide expertise sur le problème de la répartition des terres.

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« Les gens qui investissent avec moi ont une vision à long terme », assure Olivier Combastet, qui se défend d’être un spéculateur. La durée fait-elle l’investissement responsable ?
Quand j’explique le phénomène aux paysans philippins, ils sont effrayés à l’idée que des étrangers puissent exploiter des terres pendant dix ou quinze ans au risque de partir en laissant un désert. Ils ont peur parce que c’est leur pays, leur terre, leur avenir. Les gens comme Combastet n’ont pas la même relation avec cette terre. Lui invite des investisseurs à se joindre à son projet : ses clients sont là pour faire de l’argent. Nous sommes dans une logique de profit face à une logique de survie. Ceux qui participent à la location des terres en Argentine et en Uruguay les rendent inaccessibles aux communautés locales. Or le problème de la faim se pose de manière croissante en Argentine notamment.

L’homme d’affaires plaide avoir racheté des terres « mal exploitées » par de grands propriétaires. Il dit ne violer aucun droit et considère avoir « valorisé » un « actif » qui ne profitait à personne…
En Uruguay, une partie de la population et de la classe politique réclament une réforme agraire depuis longtemps. Même si Olivier Combastet dit avoir acheté à de gros propriétaires et être encouragé par certains politiques, son action bloque la réalisation de cette réforme. Quand bien même il ne ferait que « perpétuer une tradition », elle s’insère dans une dynamique politique. Qu’il le veuille ou non, il participe au maintien de fortes inégalités d’accès à la terre dans le pays.

Avec sa société, Campos Orientales, l’investisseur affirme avoir créé 120 emplois sur ses 45 000 hectares, rénové des habitats ruraux pour les gens qui travaillent sur son exploitation, construit quatre écoles…
120 emplois pour 45 000 ha, c’est ridicule ! Mais c’est inhérent au modèle de production qu’il pratique : le soja créé un emploi pour plusieurs centaines d’hectares. L’argiculture traditionnelle, qui nourrit les marchés locaux et régionaux, créé plus d’emplois sur des surfaces plus petites. La banque mondiale a réalisé une étude sur les accaparements – elle a d’ailleurs eu du mal car les investisseurs ne parlent pas, tout est secret. Ce travail montre que sur la question de l’emploi, les promesses ne sont pas tenues. Au final, l’impact est pitoyable. Son discours ne tient pas. D’ailleurs lorsque des emplois sont créés, ils sont souvent saisonniers et les salaires sont très bas.

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Toujours chez Combastet, le 17 avril 2012
Campo Orientales, c’est du soja, de l’orge, du maïs, du riz… beaucoup d’élevage également. Son directeur jure avoir diversifié ses cultures dans un souci d’équilibre, peut-on le croire ?
C’est normal qu’il y ait un certain de degré de « diversification » - je le mets entre guillemets parce que le soja et le maïs, ça n’est pas de la diversification -, tout le monde fait ça. Impossible de faire autrement, sauf à tuer le sol. Le soja capte l’azote dans l’air et le ramène dans le sol. Le maïs, lui, se nourrit de l’azote présent dans la terre. Il faut une alternance de cultures sinon le terrain devient stérile au bout de cinq ans. C’est une logique complètement industrielle, il n’y a rien de très diversifié là-dedans.

La population mondiale devrait dépasser les 9 milliards d’habitants d’ici 2050 : les investisseurs prétendent « relever un défi mondial » qui permettra de nourrir la planète…
Un milliard de personnes souffrent de la faim aujourd’hui et il y a largement de quoi manger sur la planète. La quantité n’est pas le problème. Le souci, c’est l’accès à cette nourriture. Ceux qui souffrent de la faim sont des ruraux, des paysans. Les investisseurs, eux, visent le marché international. Leurs exploitations n’ont pas pour but de nourrir les populations locales, elles privatisent les ressources vitales des gens. Les semences, la terre, l’eau sont des biens communs : ce n’est pas quelque chose qu’on vend et qu’on achète comme ça, en créant des monopoles. L’agriculture industrielle n’est pas tournée vers les gens, elle est tournée vers ceux qui peuvent payer.

Propos reccueillis par Mathilde Boussion

Lire aussi :
    — "Planète à vendre"
    — Terres à vendre

Sur l'action paysanne du 17 avril 2012 voir le site de Confédération Paysanne et les photos
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