Prises de terres à tout bout de champs

Libération | 15/10/2010

L’ONU et des ONG remettent en cause le modèle économique de l’accaparement des surfaces agricoles, notamment en Afrique.

Par CLAIRE SOTINEL

Historienne de l’Antiquité tardive à l’université Paris-Est-Créteil

Ce que les institutions internationales appellent «investissements internationaux dans l’agriculture», les ONG le nomment «accaparement des terres», annonçant leur condamnation d’une pratique qui connaît depuis quelques années un développement exponentiel. Dans l’Antiquité, cet accaparement était un abus bien défini, pratiqué par exemple par les sénateurs romains au IIe siècle avant notre ère, qui suscitait révoltes et, parfois, réformes. Aujourd’hui, le mot prend un autre sens.

Instable. Depuis 2008, plus de 40 millions d’hectares ont été achetés ou pris à bail par des investisseurs étrangers, alors que la moyenne annuelle s’élevait jusqu’alors à 4 millions. La Banque mondiale a consacré à ce sujet un imposant rapport de plus de 200 pages paru en septembre. Les causes de cette explosion sont bien connues : la crise alimentaire de 2007 a fait découvrir à bien des pays que leur sécurité alimentaire n’était pas assurée. Ils ont alors entrepris d’externaliser une partie de leur production agricole pour faire face à leurs besoins. La crise financière de 2008 a accéléré le processus. Dans un contexte d’instabilité financière, de niveau élevé des prix agricoles et de raréfaction des terres fertiles, l’achat de terres agricoles apparaît comme un investissement prometteur à moyen terme. Le développement des agrocarburants contribue à exciter l’appétit des investisseurs.

Les acteurs sont nombreux : les Etats qui cherchent à contrôler leur approvisionnement, les fonds d’investissement, les industriels. La plupart des projets se concentrent sur l’Afrique subsaharienne (69% de la superficie globale), avec un penchant pour les pays aux gouvernements faibles ou instables. La frontière entre public et privé est poreuse : les Etats ont besoin d’entrepreneurs privés pour réaliser sur place les investissements agricoles, les entreprises ont besoin au moins de protection juridique pour sécuriser leurs investissements par des traités internationaux.

La Banque mondiale a placé de grands espoirs dans le processus, qui devait générer des infrastructures agricoles, des emplois locaux, une amélioration de la productivité de terres marginales, en bref, compenser l’incapacité de la solidarité internationale à nourrir la planète dans une logique de gagnant-gagnant.

Nomades. Mais le rapport du Comité de la sécurité alimentaire (CSA) de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) est bien plus réservé : il souligne que la création d’emploi est très faible. Ainsi, au Soudan, où 4 millions d’hectares ont été acquis dans ce cadre, 0,005 emploi est créé par hectare, une infime fraction de ce que peut nécessiter l’agriculture familiale. Pour Luc Lamprière, directeur général d’Oxfam France, le danger pour les agricultures du Sud est réel. Il dénonce les effets pervers sur les exploitants originels, qui ne sont jamais impliqués dans les négociations. Les populations nomades sont spoliées, parce que les droits coutumiers sont oubliés. Les cultures pratiquées répondent aux besoins de l’exportation et peuvent avoir un effet destructeur sur la sécurité alimentaire des communautés locales. Sans condamner absolument le principe des «agrinvestissements», il demande au moins à ce que les traités qui protègent les investisseurs soient renégociés en respectant les droits des populations locales.

Un appel au moratoire sur l’accaparement, lancé par les ONG, n’a reçu aucun écho des Etats. Cependant, pour la première fois, le CSA se réunit pour examiner des problèmes structurels. La réunion de la FAO, qui rassemble 192 Etats et les grandes organisations internationales, s’achève demain. Mais Jean-Denis Crola, porte-parole d’Oxfam, veut y voir une étape importante de la politique agricole internationale.
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