Les mystères de la ruée vers l'or vert africain

Jeune Afrique | 08/10/2010

Par Michael Pauron

La ruée des pays et des groupes étrangers vers l’or vert africain inquiète experts et ONG. Reste que le phénomène est difficilement quantifiable, nombre d’annonces d’accords n’étant pas suivies d’effet.

Alem a trouvé du travail depuis peu. Ce paysan éthiopien qui avait du mal à joindre les deux bouts avec son lopin de terre gagne désormais 1 euro par jour pour travailler sur les 300?000 ha du groupe indien agroalimentaire Karuturi. Maïs, riz, palmier à huile… L’arrivée des investisseurs indiens dans les plaines verdoyantes de la rivière Tekezé, dans le nord du pays, n’est pas le fruit du hasard.

L’Éthiopie est un promoteur actif?: elle aurait déjà cédé 1,2 million d’hectares, selon la Banque mondiale. « Nous sommes les moins chers et les plus compétitifs », se vantent même les autorités, espérant convaincre les investisseurs de ne pas dépenser leurs dollars ailleurs. Tout comme le Soudan voisin, concurrent sérieux qui affiche presque 4 millions d’hectares de terres déjà vendues ou louées.

Les porteurs de projets n’ont pas fini d’affluer sur le continent. Ils sont asiatiques, saoudiens, maghrébins, européens, américains, privés ou étatiques, et lorgnent plus de 200 millions d’hectares cultivables et disponibles en Afrique, sur 445,6 millions dans le monde.

Mozambique, Bénin, Nigeria, Mali… Combien de terres ont déjà été acquises sur le continent?? Ce qui fait la une des journaux et qui, au nom du droit au sol des populations, anime les passions, locales et internationales, est invérifiable. Selon l’International Food Policy Research Institute (Ifpri), il s’agirait de 9 millions d’hectares depuis 2006. « On ne connaît pas la réalité », assure pour sa part Bernard Bachelier, directeur de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (Farm). « Il y a beaucoup d’effets d’annonce », poursuit-il. La Banque mondiale, dans son rapport publié le 7 septembre (« Rising Global Interest in Farmland »), estime qu’à la fin de 2009 ces annonces ont concerné plus de 30 millions d’hectares. Mais « dans de nombreux cas, les accords annoncés n’ont jamais vu le jour », explique l’institution.

Manque de transparence

« Il y a d’abord la volonté des opérateurs et des gouvernements de triompher et de faire vite une annonce sur un accord, précise Bernard Bachelier. Mais après, les discussions techniques commencent avec les administrations et, bien souvent, elles s’enlisent autour de la question du droit au sol, du foncier et du cadastre. Aussi, les investissements pour la mise en culture et l’acheminement des récoltes s’annoncent fréquemment bien plus élevés que prévu. Au final, nombre d’investisseurs se retrouvent dans l’incapacité de financer le projet et abandonnent. »

Selon Bernard Bachelier, le Mali est un bon exemple. « Sur 1 million de terres irrigables, gérées par l’Office du Niger, il y a eu pour 650?000 ha de lettres d’intention. Au final, il ne reste plus que 45?000 ha de projets. » Et de citer le projet libyen?: « Tripoli et Bamako ont communiqué, en grande pompe, sur un accord portant sur 100?000 ha. Le document ne donne aucune précision sur le type de contrat?: bail à durée déterminée?? Propriété?? Au final, seuls 25?000 ha sont évoqués. Et jusque-là, un canal de 40 km a été construit par des Chinois, sans aucun canal secondaire pour irriguer. »

Madagascar a elle aussi vu son accord sur 1 million d’hectares tué dans l’œuf?: la pression populaire a eu raison du groupe sud-coréen Daewoo, qui avait négocié un bail de… quatre-vingt-dix-neuf ans.

Le phénomène d’achat de terre sur le continent n’est pas nouveau, mais la Banque mondiale relève que la quantité de terres négociées dans chaque contrat, qui dépassait rarement quelques milliers d’hectares il y a encore cinq ans, en concerne aujourd’hui allègrement plusieurs centaines de milliers. Comme au Bénin, où Green Waves, un groupe à capitaux italiens, a obtenu l’appui du gouvernement béninois pour l’exploitation annuelle de 250?000 ha de tournesol en août 2007, essentiellement pour cultiver des agrocarburants.

Le pays de Boni Yayi entend offrir plus de 3 millions d’hectares de terres d’ici à 2011 aux groupes étrangers pour la culture et le développement des agrocarburants. Avec un prix compris entre 76 et 456 euros l’hectare (suivant le sol, la proximité d’un point d’eau…), l’opération peut être juteuse. Mais pour quelle rentabilité?? Personne ne s’avance sur cette question délicate. Beaucoup de facteurs entrent en compte?: prix des produits sur le marché, fertilité des sols, coûts d’acheminement des récoltes, prix des intrants (engrais, semences…).

La Banque mondiale prévient d’emblée qu’une rentabilité de court terme est inenvisageable pour des terres à irriguer et loin des axes routiers. Mais les perspectives de retour sur investissement sont ­impressionnantes. Ainsi, pour la culture du sucre, une fois les obstacles dépassés et la culture ­lancée, 1 hectare de terre pourrait rapporter 18?500 dollars en Zambie (environ 13?850 euros), 8?000 dollars au Kenya, contre 3?750 dollars au ­Brésil…

Un secteur porteur

L’engouement pour les terres fertiles de l’Afrique est bien réel et, tout le monde en convient, le secteur a de l’avenir. La société Investisseur et Partenaire pour le développement (I&P) en est convaincue. Avec 14 millions d’euros engagés sur le continent, dont un bon tiers (hors micro­finance) dans l’agroalimentaire, I&P considère que « le domaine agricole est un secteur clé », selon Sébastien Boyé. L’entreprise, qui investit spécifiquement dans les PME africaines, accompagne entre autres la société Sagex, qui cultive du maïs et du soja sur quelque 3?000 ha au Cameroun.

À Madagascar, I&P est actionnaire de Phileol, producteur d’huile de ricin. Ce n’est pas de tout repos?: « Les risques juridiques sont importants, bien souvent le droit coutumier se superpose au droit national, les parties prenantes locales sont fortes. Il faut être souple sur le schéma de sécurisation du foncier. D’ailleurs, nous sommes rarement propriétaires des surfaces. »

Sébastien Boyé pointe en outre le manque d’initiatives africaines. « L’accaparement des terres par des étrangers est au cœur du débat. Or il faut reconnaître que nous ne sommes pas submergés par les demandes émanant d’Africains. Mais la situation va évoluer. » « Le problème de l’Afrique est l’accès au financement, privé et public », soutient ainsi Bernard Bachelier. Les compétences sont un autre obstacle. Ainsi que le résume un agriculteur éthiopien, qui appelle de ses vœux une politique d’accès aux terres de son pays?: « Nous avons de l’or entre les mains, mais nous ne savons pas comment l’utiliser pour lutter contre la pauvreté. »

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Qui investit et pourquoi

Par Michael Pauron

La Banque mondiale classe les investisseurs en trois groupes. Les gouvernements d’abord?: alertés par la crise alimentaire de 2008, ils sont venus trouver de l’espace pour sécuriser leurs approvisionnements alimentaires, et donc privilégier les cultures d’exportation.

Les fonds d’investissements ensuite, attirés par la rentabilité potentielle d’un secteur en pleine croissance, par des prix sur les marchés mondiaux en hausse et par un marché régional en expansion. Enfin, les agro-industriels et les traders se distinguent par la dimension des acquisitions, sans toujours proposer un projet fiable.

Les sociétés spécialisées dans les agrocarburants sont également nombreuses, et représenteraient quasiment 5 millions d’hectares. Dans une étude parue en septembre, Les Amis de la Terre Europe identifient ainsi un certain nombre de sociétés européennes?: le suisse Addax Bioenergy en Sierra Leone, les britanniques Sun Biofuels en Éthiopie ou D1 Oils au Swaziland, l’italien Agroils ou encore le norvégien ScanFuel au Ghana.

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Olivier de Schutter : "Je dénonce l'iniquité des règles"

Par Michael Pauron

Olivier de Schutter est le rapporteur des Nations unies pour le droit à l'alimentation.

Spécialiste belge du droit à l’alimentation, il regrette les discours de bonnes intentions et appelle à la réforme des règles du commerce mondial, qui, par leur iniquité, écartent d’office le continent africain.

JEUNE AFRIQUE?: En Afrique, plus de 200 millions d’hectares de terres cultivables sont disponibles et très convoités. Est-ce inquiétant??

OLIVIER DE SCHUTTER?: Après l’absence d’investissements depuis les années 1980, c’est vrai qu’il y a un regain d’intérêt pour les pays du Sud, là où la terre est disponible et la main-d’œuvre peu chère. Les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) craignent de ne plus avoir assez de place pour cultiver et investissent massivement dans les grandes exploitations. Mais la plupart des projets servent à développer les exportations. Les retombées pour les pays hôtes sont insignifiantes.

Comment améliorer le système??

Les concessions faites aux investisseurs sont considérables et sans contrepartie. Regardez le Mozambique, qui, d’un côté, importe 305?000 tonnes de blé pour sa consommation – ce qui le rend vulnérable aux cours mondiaux –, et, de l’autre, offre des conditions très avantageuses aux exploitants étrangers, comme l’exonération de taxes et de droits d’entrée. Les bénéfices retirés pour le pays sont minimes. Les investisseurs pourraient s’engager, auprès des petits exploitants, à organiser des coopératives, développer les moyens de stockage. L’État pourrait de son côté acheter les récoltes et faciliter l’accès au crédit.

Pourquoi les États africains ne sont-ils pas plus fermes??

Ils ont besoin de cet argent, et les investisseurs font de la surenchère d’un pays à l’autre. Il est très difficile pour les pays de la région de faire front commun, car le degré d’intégration régionale est insuffisant.

Le rapport de la Banque mondiale [BM] publié le 7 septembre* alerte sur les risques liés à la ruée vers l’or vert. L’institution est-elle méfiante à l’égard des fonds d’investissement??

D’abord, le discours de la BM est contradictoire avec les actions de son bras armé pour le secteur privé, la Société financière internationale [SFI], qui encourage les États africains à limiter au maximum les contraintes qui pèsent sur les investisseurs et à leur donner des garanties juridiques fortes.

Ensuite, à la question « les investissements seront-ils bénéfiques à long terme?? », la réponse de la Banque mondiale est d’énumérer les conditions pour qu’ils le soient. Or la vraie question est de savoir si les terres disponibles doivent prioritairement bénéficier aux investisseurs étrangers ou aux paysans locaux. L’accès doit être équitable. Car l’important ce n’est pas l’investissement mais la manière de faire reculer la pauvreté dans les campagnes.

Les pays ne profiteront-ils pas de cette manne pour acquérir technique et savoir-faire, devenir plus compétitifs et faire reculer la pauvreté??

Il ne faut pas confondre productivité et compétitivité. Dans la révolution verte opérée en Asie, la capacité de production a augmenté de 8 %, et la population malnutrie a augmenté de 9 %. En Amérique latine, la proportion est de 8 % et 17 %?! Si on laisse se développer les grandes exploitations, les petites vont disparaître, et les paysans vont rejoindre les villes. La petite agriculture préserve l’emploi, la nature limite l’exode, c’est la meilleure façon de faire baisser la pauvreté.

La petite agriculture peut-elle subsister dans la mondialisation??

Pas dans l’économie low cost, ni avec l’iniquité des règles du commerce mondial, que je dénonce. Les pays de l’OCDE s’étaient engagés lors du sommet de l’Organisation mondiale du commerce [OMC] en 2005 à supprimer leurs subventions. En 2008, l’Union européenne les a restaurées sur le lait. Les soutiens aux producteurs et les normes faussent la concurrence. Le discours est?: « Ouvrez vos marchés, vendez vos produits, on les transformera. » L’Afrique dépend des importations et est vulnérable aux prix mondiaux. Elle doit se diversifier, se protéger, ne pas se laisser enfermer dans la production de matières premières et développer son marché intérieur pour écouler sa production.

* « L'intérêt croissant pour les terres agricoles dans le monde peut-il apporter des bénéfices équitables à long terme ? »

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