Bénin : Des terres cultivables bradées à des groupes financiers étrangers

La Nouvelle Tribune | 15-06-2010

Une nouvelle menace plane sur la sécurité alimentaire du Bénin. Depuis 2006, des grands groupes financiers étrangers et parfois nationaux se ruent sur les terres cultivables béninoises. Le bradage qui se perpétue grâce au mutisme du gouvernement a déjà fait perdre des millions d'hectares à nos paysans. Un paradoxe pour un gouvernement qui prône la révolution verte.

L'initiative, heureuse somme toute,  prise par le gouvernement de démarrer la révolution verte en dotant notre agriculture de machines agricoles peut-elle aboutir s'il n'y a pas de terres à cultiver ? Cette question, plusieurs  organisations paysannes se la posent depuis que nos terres cultivables sont devenues le nouvel objet précieux recherché par des «  chasseurs de terres » décidés à assurer la sécurité alimentaire des leurs à partir des terres béninoises. Cette nouvelle filière mercantile qui fait actuellement recette semble bénéficier de la complicité du gouvernement qui, même s'il n'est pas directement impliqué dans le bradage des terres, en a apporté la caution par son mutisme. Les premiers achats de terre ont commencé en 2006 mais c'est à partir de 2008 qu'on a observé le pic. Actuellement environ 10% en moyenne des terres cultivables béninoises sont dans les mains de ces groupes financiers. Ce sont les communes de Djidja et de Za-Kpota dans le Zou qui battent le record avec près de 50% des terres cultivables aux mains de ces firmes étrangères. Ce qui gène, c'est que la majorité des terres achetées sont actuellement en friche pendant que des milliers de paysans contraints désormais au chômage, ruminent leur misère dans l'anonymat total.

Les nouveaux seigneurs de la terre

Les nouveaux seigneurs de la terre viennent de partout. Souvent de l'Europe et d'Asie mais aussi de certains pays africains, ils sont pour la plupart des groupes qui disposent de moyens financiers importants. C'est ainsi que la société italienne Green Waves aurait acquis 200.000 hectares à Toui dans la commune de Ouèssè pour la culture de Jatropha (à partir duquel on produit du bio gasoil). Les Libyens ont acquis entre 100 et 200 hectares à Za-Kpota. Les Chinois sont présents à Séhouè où ils ont acquis 600 hectares pour la culture de maïs, de fruits et de légumes sans oublier que le gouvernement lui-même a mis à la disposition de ces Chinois près de 60 hecatres à Sèmè Kpodji  pour, dit-on, construire un centre de formation agricole. La société béninoise Cajaf Comon a acquis près de 5000 hectares de terres dans les communes de Zogbodomey et de Zè pour la culture de maïs, de soja et de palmier à huile. A Massi dans la commune de Zogbomey, une société nigériane nommée Betexco a acheté environ 1000 hectares  pour  la culture de manioc.

Des anciens présidents de la république et des personnalités importantes du Bénin sont aussi dans cette affaire et ont acquis des terres à Djidja, dans le Couffo et ailleurs. De nombreux spéculateurs auraient acquis des milliers d'hectares de terres en friches dans les communes de Djidja, Za-Kpota et à Ouèssè pour les revendre ou les apporter en capital dans des sociétés commerciales. C 'est le cas par exemple d'un investisseur béninois, actionnaire du groupe Mtn qui a loué près de 1000 hectares de bas-fonds dans la commune de Djougou pour la culture de riz. Pour acquérir ses terres, ces sociétés usent de divers subterfuges. Ils font croire aux paysans, une fois qu'ils vont racheter les terres, qu'ils seront pris comme des paysans modernes avec des motoculteurs et des salaires mirobolants. Parfois ils les intimident en leur faisant croire  que s'ils ne vendent pas leurs terres, l'Etat viendra les exproprier.

Des fois, on leur propose des contrats de bail où des intermédiaires cupides s'enrichissent sur leur dos. Pour vite embobiner leurs victimes, ils passent par des intermédiaires comme des Ong et des personnes influentes du milieu. Dans ce domaine, c'est le vizir d'Africa Culture Akandé Olofindji qui joue au courtier international. Secrétaire général de l'Association des rois du Bénin, il utilise ce titre pour influencer les rois et les chefs coutumiers pour racheter les terres. Fin 2009, il a déclaré sur France 24 qu'il dispose de 150.000 hectares qu'il entend mettre à la disposition des sociétés étrangères. Aux dernières nouvelles, des Koweitiens se sont manifestés pour acquérir ce domaine.

Ventres d'autrui, agro carburants d'ailleurs

Selon nos sources, la ruée vers ces terres cultivables s'explique par le fait que ces sociétés sont à la recherche d'énormes terres pour compenser le manque qu'elles rencontrent dans leurs pays pour développer une agriculture industrielle afin de satisfaire les besoins de plus en plus croissants d'entreprises semencières et chimiques mais aussi et surtout pour la culture de produits vivriers à l'étranger. On comprend donc que ces sociétés étrangères sont à la recherche de terres pour donner à manger à leurs compatriotes. C'est d'ailleurs ce que font déjà les Chinois qui produisent au Bénin du sucre de bonne qualité, de la tomate et de maïs sucré consommés en Chine et dont la moindre quantité ne traîne ici. L'autre raison qui explique ce bradage est la recherche de terre pour la production des agro carburants. En effet, dans le souci de chercher des énergies de substitution pour freiner « la dictature du pétrole », des chercheurs ont imaginé la production de carburants à partir des produits vivriers comme le maïs, la canne à sucre,  le manioc. Le Brésil qui est aujourd'hui l'un des pionniers de ces agro carburants fabrique des automobiles consommant ces carburants. L'Europe de qui nous importons la grande partie des véhicules consommés au Bénin, a opté seulement  pour que 10% des véhicules en circulation utilisent ces carburants.

Il faut donc attendre des décennies pour voir les premiers véhicules à agro carburant au Bénin. A quoi bon de produire de l'agro carburant alors que nous ne sommes pas sûrs de les consommer au Bénin ? Sur ce sujet, Benoît Sèbio, un Béninois, spécialiste et conseiller pour le Brésil en agro carburant a demandé au gouvernement de ne pas s'engager dans cette filière tout de suite car rien ne prouve qu'elle va prospérer dans les pays développés. Pourtant, le gouvernement laisse le système se perpétuer  grâce à une législation foncière très laxiste et confuse. «Une société qui produit ce qu'elle ne consomme pas et consomme ce qu'elle ne produit pas est condamnée à la dépendance et la misère ». Le gouvernement a semblé oublier cette maxime.

Marcel Zoumènou

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