Brésil. Avec Temer, le vol de terres explose


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La semaine dernière, près de 3 000 Indiens ont convergé vers Brasilia pour défendre leur droit à la terre. Gregg Newton/Reuters
L'Humanité | 3 Mai 2017

Brésil. Avec Temer, le vol de terres explose

Marie-Noëlle Bertrand

Au Parlement, la droite et le parti des grands propriétaires relancent l’accaparement des terres indigènes et son lot de violences. Les Indiens organisent leur résistance.

Forcément, l’image a fait mouche. D’un côté, des casquettes fédérales, des gyrophares et des fusils armés. De l’autre, des arcs, des flèches et des hommes tout en plumes. Les uns face aux autres, s’affrontant devant le Congrès brésilien, joute urbaine effarante opposant, sur l’asphalte boucané aux gaz lacrymogènes, les forces de police aux peuples des forêts.

Cela se passait la semaine dernière à Brasilia, à l’occasion du 14e campement Terra Livre (« terre libre »). Chaque automne (on se trouve sous l’équateur), le rassemblement réunit les membres des tribus indiennes du pays – elles sont plus de 200 – devant ce haut lieu du pouvoir politique. Celui de cette année a été, dit-on, le plus important de l’histoire du Brésil. Les organisateurs, un temps, avaient compté sur la venue de 1 500 personnes. Elles ont été 3 000 à affluer de partout, au cri de « Demarcaçao jà ! » (démarcation maintenant !), pour exiger la reconnaissance du droit à leurs terres.

Séculaire, leur bataille n’est pas neuve. Elle a vu les conquistadors portugais et les colons français, chercheurs d’or et autres bandits de grands chemins, tracer les cadastres à coups de pistolet. Le progrès ne fait jamais table rase de tout : ce sont les grands propriétaires terriens et les multinationales qui, depuis longtemps, s’occupent désormais de chasser manu militari les Indiens de leurs terres.

Le putch opéré, il y a huit mois, par le conservateur Michel Temer a redonné du mordant à ceux qui convoitent les contrées indigènes – 12 % du Brésil, la plupart dans les régions amazoniennes. Des dispositions législatives sont en discussion au Congrès visant à revigorer l’accaparement de terres indigènes.

Les monocultures de canne à sucre ou de maïs restent avides d’espace

En 1988, le retour au régime démocratique avait si ce n’est clairement freiné, du moins contrarié le phénomène. La nouvelle Constitution octroyait aux Indiens des garanties quant à la reconnaissance de leurs cultures et de leurs terres. Une politique de démarcation avait été mise en place consistant à homologuer des territoires qui leur seraient propres. En vingt-cinq ans, près de 600 000 km² ont ainsi été démarqués.

Mais le processus reste inachevé. Il s’est même ralenti depuis 10 ans sous des influences diverses. Les politiques de développement du pays en sont une. La construction d’infrastructures de transport (autoroutes ou aéroports) ou de grands barrages a mordu sur les territoires indigènes. Les lobbies de l’agrobusiness et de l’extractivisme, surtout, ont repris de l’influence. Les monocultures de canne à sucre, de maïs ou d’eucalyptus restaient avides d’espace, les ressources minières et forestières demeuraient appétissantes… Mais bon an mal an, la « demarcaçao » se poursuivait. En 2013, Dilma Rousseff homologuait ainsi trois nouvelles terres indigènes couvrant 230 000 hectares.

La droite a réagi. En 2014, Osmar Serraglio, député du parti libéral PMDB, présentait une proposition d’amendement à la Constitution, la PEC 215, visant à réformer le système. Alors que, jusqu’alors, seul le pouvoir exécutif avait l’autorité de décider de démarquer une terre indigène, la signature finale revenant à la présidence de la République, le texte propose de soumettre cette approbation au Congrès.

D’apparence démocratique, le coup est bas, quand il permet de renforcer le pouvoir des ruralistes, porte-voix de l’agrobusiness. Principal groupe représenté au Congrès, il en compose 40 % des bancs.

La gauche tentera de faire barrage. En août 2015, députés du PT (Parti des travailleurs), du PCdoB (Parti communiste du Brésil), des Verts et autres socialistes unissaient leurs voix pour repousser le texte. Ceux de la droite votaient pour. « Si demain nous avons des morts, si demain nous avons une révolution, ce sera de votre responsabilité ! » prophétisait alors un des députés Verts. À la fin de cette année-là, les associations des droits humains et de l’environnement recensaient l’assassinat de 137 Indiens.

Lui président, Michel Temer n’a pas cherché à éteindre l’incendie. Au contraire. Soit pour s’assurer que la PEC 215 fasse son œuvre, soit par simple mépris – soit les deux –, il a jeté de l’huile dessus. En février, il nommait Osmar Serraglio lui-même ministre de la Justice. Avec, sous sa tutelle, la Fondation nationale des Indiens (Funai), organe exécuteur des politiques indigènes du gouvernement fédéral.

La résistance des Indiens et de leurs soutiens, elle, s’est organisée, prenant appui sur la force de l’image, du son et d’Internet. Peut-être certains s’en souviennent-ils. En 2014, lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de foot, un adolescent indien, délégué par la Fifa pour représenter la diversité de la jeunesse brésilienne, se saisissait du podium mondial qui lui était offert pour brandir une bannière « Demarcaçao jà ! ». Les caméras ont eu vite fait de tourner de l’œil, mais la photo fut faite.

Le mouvement, depuis, a grandi. La semaine dernière, vingt-cinq artistes brésiliens parmi les plus populaires ont mis en ligne une vidéo de quinze minutes pour dénoncer les violences faites aux peuples indigènes. Logiquement baptisé Demarcaçao jà !, le clip a, dès le lendemain, récolté plus de 600 000 vues. Quelques heures plus tôt, à Brasilia, quelques dizaines d’Indiens avaient tenté de déposer devant le Congrès des cercueils en carton figurant ceux des leurs tués dernièrement. C’est le moment qu’a choisi la police pour charger. Armes au poing.

Marie-Noëlle Bertrand
Chef de rubrique Planète

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