La Banque mondiale roule-t-elle pour Monsanto?

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Dans une serre en Ethiopie, le 18 novembre 2007 à Holeta, à 50km d'Addis Abeba. JOSE CENDON / AFP

Slate | 19 septembre 2016

La Banque mondiale roule-t-elle pour Monsanto?

Antoine Hasday

Depuis la crise des matières premières de 2008, la Banque Mondiale a mis en place plusieurs initiatives sensées améliorer la sécurité alimentaire. Mais certaines sont directement associées aux grandes entreprises de l'agro-industrie et semblent privilégier les intérêts de ces dernières.

«Association de malfaiteurs: cinq donateurs occidentaux influencent l'agriculture africaine en faveur des multinationales»: c'est le titre accusateur d'un rapport du think-tank progressiste Oakland Institute, basé en Californie. Il explique que loin d'aider l'agriculture africaine, certaines initiatives censées le faire favorisent en fait les intérêts privés de multinationales de l'agro-alimentaire.

Le projet EBA (Enabling business in agriculture) est porté par la Banque Mondiale et financé par cinq principaux donateurs: les gouvernements américain, britannique, danois et hollandais (via leurs agences de développement ou des fonds dédiés) et la fondation Gates. Un des rôles de l'EBA est de classer les pays africains selon leur attractivité pour les investissements dans l'agriculture, selon six critères bien éloignés du développement durable: utilisation de semences propriétaires, recours aux engrais chimiques, mécanisation, financements, ouverture des marchés, infrastructures de transports. Pour attirer les investissements et les projets, les États sont encouragés à s'y conformer.

En 2012, à la suite de la crise alimentaire de 2008, le G8 lance la nouvelle alliance pour la sécurité et la nutrition (NASFN). Cette initiative place le secteur privé au cœur de la stratégie de développement agricole pour l'Afrique et intègre l'EBA. Sous la forme d'un partenariat public-privé, elle associe de grandes entreprises (dont Monsanto et le semencier Syngenta) avec dix pays africains. Le financement repose principalement sur les cinq mêmes donateurs. D'autres acteurs y sont associés, notamment l'Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), financée par les fondations Gates et Rockefeller, et le fonds Africa Enterprise Challenge Fund.

Sécurité alimentaire ou intérêts commerciaux?

La stratégie de développement de la NASFN est basée sur les principes suivants: développement des semences brevetées et des engrais chimiques, mise à disposition de terres pour de grandes exploitations agricoles, promotion des investissements par une baisse des impôts et des droits de douane. Ses quatre principaux financeurs (toujours le quatuor États-Unis/Royaume-Uni/Pays-Bas/Danemark) affichent un double objectif: développer l'agriculture en Afrique et promouvoir les intérêts de leurs entreprises. Le Danemark le formule même explicitement dans sa stratégie d'aide au développement.

Les intérêts des grandes entreprises du secteur ne vont pas spontanément dans le sens de ceux des populations

Le développement du secteur privé dans le domaine agricole peut avoir des effets positifs. Mais les intérêts des grandes entreprises du secteur ne vont pas spontanément dans le sens de ceux des populations. Leurs préférence vont le plus souvent aux cultures qui garantissent un rapide retour sur investissement, comme celles destinées aux agrocarburants. Généralement destinées à l'exportation, ces dernières n'ont pas d'effet positif sur la sécurité alimentaire. Couplés à la baisse des impôts et des droits de douanes (encouragée par cette stratégie de développement), de tels investissements ne permettent pas aux États africains d'accroître leurs ressources fiscales. En 2014, un rapport d'évaluation sur le programme d'aide au secteur privé porté par l'agence de développement danoise concluait par exemple que son impact était insuffisant en termes de réduction de la pauvreté, de création d'emplois et de développement économique.

Accaparement des terres

Le rapport donne plusieurs exemples où l'aide au développement finance des projets qui chassent des populations de leurs terres.

En Sierra Leone, le Danemark a financé à hauteur de 118 millions d'euros un projet d'exploitation de canne à sucre (20.000 hectares) destiné à la production d'éthanol porté par le groupe suisse Addax and Oryx. Les paysans qui cultivaient des légumes et du riz sur ces terres ont été chassés sans êtres dédommagés, affirme l'Oakland Institute. Le projet a également placé une forte pression sur les ressources en eau de la région. En 2015, un projet de compensation carbone en Tanzanie a débouché sur l'éviction de 22.000 personnes, là aussi sans dédommagements.

En 2011, l'Africa Enterprise Challenge Fund, un fonds financé par les agences de développement britannique, danoise et hollandaise, a investi dans la création d'un élevage de 8.000 hectares, sur des terres confisquées à des communautés locales en Ethiopie. En 2013, il a co-financé la location de 100.000 acres de terres au Sud Soudan par la société ABMC, dont le président du Sud Soudan détient des parts.

Dépendance accrue des paysans et pollution

D'autres investissements passent par des «corridors de croissance agricole», des partenariats public-privé à l'échelle d'une région. Les plus grands sont le SAGCOT , en Tanzanie, et le BAGC, au Mozambique. Comme on le voit ci-dessous (pour SAGCOT), ces «corridors» associent une multitude de partenaires, dont des fonds d'investissement et des multinationales (Unilever, Syngenta, Bayer, Monsanto...).

En Tanzanie, le SAGCOT a financé en 2007 l'établissement d'une plantation de riz de plus de 5000 hectares, portée par la société britannique Agrica. Le projet prévoyait de travailler avec des fermiers locaux. Mais la moitié des fonds qui leur étaient destinés a été allouée à l'achat de semences et d'engrais chimiques, que les fermiers ont eu du mal à rembourser. Les habitants (tout comme Greenpeace) se sont dit préoccupés par les effets des engrais chimiques sur leur environnement, notamment sur les ressources en eau.

Un tel choix n'étonne guère: un des objectifs affichés des «corridors» est d'accroître le recours aux semences brevetées et OGM, aux engrais chimiques et aux pesticides. L'AGRA, qui a reçu en 10 ans plus de 424 millions de dollars de la fondation Gates, souhaite doubler l'utilisation d'engrais chimiques en Afrique en l'espace de 10 ans. Ce type d'agriculture peut être rentable pour les méga-exploitations, mais il en va autrement pour les petits paysans. Racheter les semences chaque année coûte plus cher que de replanter. Les engrais et pesticides chimiques sont plus onéreux que les méthodes traditionnelles de fertilisation et de protection contre les parasites. Enfin, les variétés OGM peuvent se révéler moins résistantes que les semences non modifiées. En Inde, cette situation a poussé des agriculteurs au suicide.

Cette stratégie de développement agricole «pro-business» se présente comme un partenariat gagnant-gagnant où les grandes entreprises, les États et les populations trouveraient leur compte. Sur le terrain, c'est un peu différent.

Antoine Hasday

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