Jack Ma, le Bill Gates chinois investit en Bordelais

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Avec 23 milliards de dollars, Jack Ma, 51 ans, issu d’une famille modeste, est à la tête de la deuxième fortune de Chine. (JEWEL SAMAD/afp)

Sud Ouest | 25/02/2016

Jack Ma, le Bill Gates chinois investit en Bordelais

César Compadre

Fondateur du site Alibaba, le milliardaire Jack Ma achète le Château de Sours. D’autres doivent suivre

Alibaba est en Chine ce que Google, Apple ou Amazon sont aux États-Unis, un symbole de cette nouvelle économie triomphante où l'unité de compte est le milliard de dollars. Derrière ce site de commerce en ligne fréquenté par des centaines de millions de clients et coté à la Bourse de New York depuis 2014, un homme : Jack Ma.

Ancien professeur d'anglais de 51 ans, peu doué pour les études, issu d'un milieu modeste mais qui eut l'idée lumineuse de fonder Alibaba en 1999. On y trouve de tout (vêtements, voitures…) - le site est décliné en France - et il engrange des sommes colossales (via également d'autres plateformes cousines).

Jack Ma est donc un heureux milliardaire reçu par François Hollande à l'Élysée, conseiller économique de David Cameron et ayant le privilège de tête-à-tête avec Barack Obama. C'est dire si l'homme, maigrelet et au visage anguleux, fréquente les puissants.

En décembre, ce n'était pas la même musique à Saint-Quentin-de-Baron, petite commune viticole de l'Entre-deux-Mers girondin, où il est venu rassurer le personnel inquiet qu'un énième château soit racheté par un investisseur chinois (1). Jack Ma est en effet chez lui au Château de Sours, propriété en AOC Bordeaux de 80 hectares de vigne et 18 employés (2). L'assemblée générale actant le passage de témoin s'est tenue le 18 décembre.
 
Magnifique propriété

« Il s'est montré aimable et soucieux de faire à Sours le meilleur vin possible pour l'exporter en Chine. Il garde tout le personnel », explique-t-on. Comme souvent avec les acquéreurs de l'Empire du Milieu, l'exploitation n'a pas de notoriété particulière mais affiche deux atouts : des volumes (quelque 500 000 bouteilles) et une beauté certaine. Sours est en effet magnifique : bâtisses en pierre de taille au milieu de la campagne, jardins, installations techniques et magasin de vente, tout y rappelle un cru classé.

Des investissements menés par l'Anglais Martin Krajewski, propriétaire depuis 2004 et qui, malgré deux enfants formés au vin, n'a pas réussi à garder son bijou.

Manifestement, quand on se bat à moins de 10 euros la bouteille (l'essentiel de la production est exporté, surtout en Angleterre), la rentabilité n'est pas vraiment au rendez-vous. L'homme d'affaires avait pourtant revendu son cabinet de chasseurs de tête installé à la City pour se lancer dans le vin, en venant à Bordeaux tous les mois.

Jack Ma n'a pas encore atteint ce rythme, mais la deuxième fortune de Chine n'en est pas à son premier séjour - incognito - en Gironde (3). En janvier 2015, de retour du Forum de Davos (Suisse), il est venu faire une proposition pour acheter un négociant de la place, passé depuis entre d'autres mains.

« L'équipe de Monlot »

En novembre, un rendez-vous était prévu avec un autre négociant avant d'être annulé au dernier moment. Si le milliardaire a acquis un château, il cherche aussi une maison de négoce capable de fournir de gros volumes, vraisemblablement pour ses sites d'e-commerce.

Loin de ses bases, Jack Ma ne s'aventure pas seul sur les terres girondines. Il fait partie de « l'équipe de Monlot », du nom d'un petit château de Saint-Émilion, actuellement en gros travaux (lire ci-dessous), acquis dès 2011 par un couple chinois.

Composé d'une demi-douzaine d'amis fortunés, ce club a son staff dans cette propriété. Et le travail ne manque pas ! Ils ont déjà 16 châteaux au compteur et le chiffre de 20 est avancé pour fin 2016. Jack Ma en a donc un et doit en acquérir d'autres.
Choc des cultures

« Chacun achète les siens mais ils mettent en commun le back-office (comptabilité, administratif, traductions…). Ils sont bien organisés », confie un connaisseur. Un avis loin d'être partagé. « Ils ignorent tout du vin et demandent dix devis pour acheter des marteaux. Ils craignent toujours de se faire rouler, d'ailleurs chacun a son traducteur. C'est épuisant », explique un autre. Pas toujours facile, ce choc des cultures.

Au tableau de chasse du club, des propriétés acquises au gré des opportunités : Monlot, Patarabet, Plain-Point, La Fontaine, Chadenne, Moulin des Tonnelles, Puy-Guilhem ou Mayne-Blanc en Libournais, Preuillac dans le Médoc ou, tout récemment, Senailhac à Tresses, aux portes de Bordeaux.

Parmi ces investisseurs, Yuzhu Shi, 54 ans, ayant fait fortune dans les jeux vidéo (Giant Interactive Group). Il n'affiche « que » 3 milliards de dollars de fortune (selon le magazine « Forbes »), mais c'est une relation de Jack Ma. Les deux hommes ont investi en 2014 chez un fournisseur chinois de TV sur Internet.

Un homme de confiance veille

Pour mener ce paquebot viticole, un homme de confiance est souvent sur place. Kien Leong Lee sourit peu, ne parle pas un mot de français, mais aime faire honneur aux vins de ses employeurs. De nationalité malaisienne et habitant Singapour, il est le gérant du Château de Sours. La société propriétaire (Junbao Limited) est officiellement installée à Hong Kong et son (joli) capital social se monte à 2,6 millions d'euros.

L'homme dirige Dragonite International Limited, société pharmaceutique cotée à Hong Kong et disposant aussi d'un département vin, qui se félicite d'avoir « six fournisseurs de vin à Bordeaux ». La boucle est bouclée.

En attendant toutes ces bouteilles à vendre, Jack Ma a déjà commandé à un architecte girondin des travaux pour Sours. « Un beau projet », assure-t-on. Il doit sûrement y réfléchir en se promenant dans les vastes carrières courant sous la propriété. C'est son lieu préféré. Sa femme aussi adore.

(1) Le Bordelais compte environ 120 propriétés aux mains d'investisseurs chinois et hongkongais. Soit environ 1,5 % de la surface du vignoble.

(2) Acquisition à titre personnel et non via Alibaba.

(3) Longtemps plus grosse fortune de Chine, Jack Ma s'est fait doubler en 2015. Numéro deux, il affiche 23 milliards de dollars, soit l'équivalent du produit intérieur brut de l'Arménie.


Du vin, des amis et le karaoké

Dans sa vie d’avant, Monlot était une modeste propriété de Saint-Émilion avec sa demeure en pierre. Aujourd’hui, c’est un des gros chantiers du Libournais. 10 millions d’euros engagés par le couple chinois propriétaire depuis 2011. À l’œuvre, des pointures comme Eiffage Construction ou l’architecte Jean-Pierre Errath, qui s’est occupé de Petrus (Pomerol). De gros bâtiments sortent de terre, à l’instar d’un cru du Médoc, alors que Monlot n’a que 8 hectares de vigne… Même si du foncier pourrait être acquis, la raison est ailleurs. Monlot est le quartier général de ce groupe d’amis - dont Jack Ma - qui compte passer du bon temps ici. Huit suites sont construites au-dessus des bâtiments techniques et un karaoké de 200 m2 en sous-sol ! Une première pour un château. La fête puis dormir sur place, c’est pratique. Voilà comment Saint-Émilion se trouve sur le planning de villégiature de nouveaux riches jonglant entre Macao, Los Angeles et les Caraïbes. « En ce qui concerne la décoration, ils veulent tout comme au George-V [un palace parisien, NDLR] », indique-t-on, non sans quelques gouttes de sueur au front.

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