Karfa Diallo, ONG Enda Pronat: «la polyculture est plus viable que la monoculture»

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Karfa Diallo, de l'ONG sénégalaise Enda Pronat, défenseur de l'agro-écologie. 
RFI | 6 décembre 2015

Karfa Diallo, ONG Enda Pronat: «la polyculture est plus viable que la monoculture»

Par Anthony Lattier
 
Karfa Diallo, ONG Enda Pronat: «la polyculture est plus viable que la monoculture»
 
En Afrique, le changement climatique menace directement la sécurité alimentaire. Les agriculteurs voient aussi une partie de leurs terres se dégrader en passant dans la main de grandes entreprises étrangères. Les enjeux agricoles sont-ils suffisamment pris en compte dans les négociations climatiques de Paris ? On en parle avec Karfa Diallo, de l'ONG sénégalaise Enda Pronat, qui défend l'agro-écologie.
 
RFI: En quoi l’avenir de l’agriculture sur le continent africain est-il lié à l’évolution du climat ?
 
Karfa Diallo : Eh bien parce que notre agriculture qui est essentiellement une agriculture vivrière, est basée pour la plupart des agriculteurs de l’Afrique subsaharienne, sur la pluviométrie qui est une saison qui dure de deux à six mois, suivant le pays où l’on est. Au Sénégal, nous avons une pluviométrie qui dure, en moyenne, quatre mois. Par conséquent, tous les changements que nous sommes en train de vivre – et là, il ne s’agit pas de dire dans l’avenir mais présentement - nous plongent dans une situation assez précaire, liée au climat.
 
Les questions du développement agricole et de sécurité alimentaire sont-elles suffisamment prises en compte d’après vous, dans ces négociations de Paris sur le climat ?
 
Ah non ! Pas du tout ! Prenez l’exemple du Sénégal qui est quand même le pays du continent le plus en avance sur l’océan Atlantique. Nous avons quatre embouchures, celles de Saint-Louis, de Sine Saloum. On peut compter la Gambie (ils vont me pardonner cela) et la Casamance. Tous ces fleuves qui sont normalement à eau douce se jettent dans l’océan Atlantique et les variations sur les eaux font qu’on a des remontées de sel qui précarisent l’accès de certaines terres qui jadis étaient des terres très riches. Et donc nous pensons effectivement que ce n’est pas assez pris en compte. On est souvent dans des débats de climat, de gaz à effet de serre… mais déjà concrètement, sur la nourriture et sur les besoins primaires, les changements climatiques affectent vraiment les populations.
 
Autre problème auquel sont confrontés les agriculteurs en Afrique, c’est le problème de l’accaparement des terres. Un documentaire vient de sortir sur ce thème où l’on voit trois agriculteurs qui s’opposent à l’accaparement de leurs terres au Cameroun et au Sénégal notamment. Ces cas de résistance, sont-ils des cas isolés ou bien un mouvement vraiment de résistance qui s’organise contre ce phénomène ?
 
Un mouvement de résistance s’organise, mais les cas de succès sont rares parce que l’accaparement des terres, pour le cas du Sénégal, concerne entièrement des terres arables. Ce n’est pas petit. Nous sommes parvenus, dans des combats de lutte acharnée, à occuper la presse, les marches et on a même produit un clip de rap pour dénoncer ces phénomènes qui précarisent et qui privent les gens de leur principale source de revenus. Mais ce n’est pas suffisant ! Beaucoup, en Europe, pensent que ce sont des Chinois, les Asiatiques mais les cas les plus concrets que nous avons vécus au Sénégal se sont passés avec des Européens.
 
L’exploitation familiale est-elle vraiment la solution idéale pour nourrir tout le monde en Afrique ?
 
Actuellement, elle est la solution la plus pertinente pour plusieurs raisons. D’abord parce que les agriculteurs connaissent déjà leur activité. Ils le font depuis des années mais on ne les aide pas. Le problème ce n’est pas qu’ils ne savent pas produire. Le problème c’est qu’ils n’ont juste pas les moyens ! On ne les aide pas ! Ce n’est pas comme en Europe où on a des subventions, des aides de ceci, de cela, un encadrement, des écoles agricoles et tout. Ils sont laissés à leur propre chef !
 
Aujourd’hui, l’essentiel de la nourriture qu’on mange en Afrique est produit par ses exploitations, sans aide. Dire qu’elles ne sont pas dans des conditions de pouvoir répondre à nourrir le monde, c’est une hérésie. Maintenant, quand on veut produire du soja et tout ce que l’on veut pour nourrir des vaches qui n’en ont pas forcément autant besoin, on peut imaginer des modèles mais qui sont contraires à ce que nous vivons et défendons. Sur le périmètre produit, le nombre de personnes qu’on peut faire travailler et qui gagnent dignement leur vie est beaucoup plus important que les modèles qu’on veut nous faire croire, comme étant la solution de l’avenir.
 
Mais ces grandes entreprises qui investissent sur le continent, dans l’huile de palme, par exemple, elles pourraient permettre de créer des emplois, non ?
 
Dans une certaine mesure, mais des exploitations familiales feraient mieux sur les mêmes surfaces. Au Cameroun, pour vous citer un exemple, une organisation accompagnée par Caritas parvient à monter, sur 5 hectares, de la polyculture, de la culture étagée, produire des légumes, des tubercules et, en plus, de l’huile de palme. Ce genre de modèles sont beaucoup plus viables qu’un modèle où l’on a une exploitation à monoculture, sur des étendues incommensurables, qui n’emploie que très peu de personnes et qui, au finish, est obligée d’utiliser des pesticides, des engrais chimiques et qui détruit l’environnement ! Ils finiront par détruire cette terre et aller ailleurs. Ils ne vont pas s’arrêter !
 
Le Sénégal a été connu pendant des années pour être le premier exportateur d’arachides d’Afrique ! Il est troisième au monde, aujourd’hui. Où est-ce qu’on en est ? La monoculture a détruit ses terres ! Les populations qui étaient installées et vivaient de cette terre sont des immigrés ! Ce n’est pas viable ! Les gens vivent dans la précarité parce qu’on détruit leurs moyens de production.
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