Les plantations industrielles de palmiers à huile, un mode d’exploitation qui porte atteinte aux populations forestières et à leurs territoires

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WRM | 13 octobre 2015

Les plantations industrielles de palmiers à huile, un mode d’exploitation qui porte atteinte aux populations forestières et à leurs territoires

Cette année, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre la monoculture d’arbres célébrée le 21 septembre, le WRM et d’autres organisations et réseaux mondiaux ont publié une déclaration où ils condamnent l’expansion des plantations industrielles de palmiers à huile, expansion qui comporte un nombre croissant d’effets négatifs sur l’économie, la société, la culture et l’environnement. Une fois de plus, dans l’espoir de rompre le silence qui entoure les agressions subies par les communautés dont les territoires sont envahis et encerclés par ces plantations, nous clamons: les plantations ne sont pas des forêts!

Les plantations industrielles de palmiers à huile sont le type de monoculture qui s’est répandu le plus rapidement pendant les dernières décennies. Dans la période 1990–2010, ces plantations ont triplé dans le monde entier, surtout en Indonésie et en Malaisie. Et au cours des quinze dernières années, plusieurs traités de libre-échange sont venus favoriser la vague d’expansion, non seulement en Indonésie et en Malaisie mais aussi dans des pays d’Afrique et d’Amérique latine. D’autre part, la tendance à l’expansion des plantations de palmiers à huile est due aussi à la demande de plus en plus forte d’agrocarburants, surtout en Europe.

Dans le cadre de leur politique de «responsabilité sociétale», les entreprises de plantation de palmiers sont en train de prendre des engagements (volontaires) dans le but d’atteindre l’objectif dénommé «zéro déforestation». Or, d’après de nombreuses plaintes recueillies sur le terrain, les entreprises auraient commis, a posteriori, de nombreuses violations des lois environnementales et sociales. Le plus inquiétant de tout, c’est que les engagements en question ne visent pas à freiner l’expansion du palmier à huile mais à donner une «façade verte» au secteur des plantations. Ainsi, en maintenant la logique de l’expansion illimitée, ces engagements comportent le danger que davantage de communautés perdent leurs terres et leurs moyens d’existence.

De même, l’intérêt croissant des entreprises à l’égard des forêts, et des arbres en particulier, vient du fait que les forêts et les arbres sont devenus très importants pour le «capitalisme vert». Leur capacité de stockage de carbone et leur biodiversité sont utilisées pour générer des crédits de carbone ou de biodiversité, qui peuvent ensuite être vendus à des pays et à des entreprises pollueuses, soit pour «compenser» la destruction dont ils sont responsables ailleurs, soit pour obtenir des bénéfices sur les marchés financiers.

Des systèmes tels que REDD+ et d’autres du même genre, qui proposent de financer la conservation des forêts par la vente de crédits de carbone et de biodiversité, peuvent canaliser le produit de cette vente vers les entreprises de plantation de palmiers, pour qu’elles conservent les zones de forêt « à fort stock de carbone» qu’elles trouvent dans leurs concessions. Ainsi, elles couvrent leurs activités d’un «maquillage vert». Pourtant, la conservation des zones «à fort stock de carbone» ne change rien aux effets nuisibles d’un secteur qui consomme un grand volume d’eau, de produits agricoles toxiques, d’engrais chimiques et d’énergie fossile, et qui occupe d’énormes territoires où vivaient ou dont dépendaient de nombreuses populations. L’industrie du palmier à huile n’offre pas une solution du changement climatique, loin de là: elle contribue à modifier le climat. Les plus touchés seront les peuples des forêts et les communautés paysannes, puisque l’expansion des plantations limitera de plus en plus leur accès aux terres et aux forêts. Pour eux, la forêt «à fort stock de carbone» n’est pas la seule qui compte; toutes les zones boisées dont ils ont besoin pour préserver leurs moyens d’existence et leur culture sont importantes.

D’autre part, les gouvernements des pays producteurs d’huile de palme et les transnationales de la filière ont réclamé avec insistance que les plantations de palmiers à huile changent de catégorie et soient considérées, non pas comme des cultures agricoles, mais comme des «forêts»! La définition de forêt que donne la FAO rend possible cette absurdité, puisqu’elle affirme qu’une forêt n’est qu’une étendue couverte d’arbres. Le but de ce changement de catégorie est d’accéder à «l’opportunité» qu’offrirait un accord sur REDD+ dans le cadre des négociations de l’ONU sur le climat qui se tiendront à Paris à la fin de cette année. Grâce à un tel accord, les entreprises de plantation de palmiers pourraient vendre plus tard des crédits de carbone, sous prétexte de promouvoir le «zéro déboisement» ou le «reboisement».

En mettant l’accent sur le déboisement, on laisse de côté toutes les répercussions nuisibles des plantations industrielles de palmiers à huile, dont les suivantes:

    Destruction des moyens d’existence locaux et évictions. Les régions où l’on promeut les plantations de palmiers à huile sont le foyer de paysans et de peuples indigènes et des zones abritant des forêts tropicales dont ces communautés dépendent aux plans économique, social, spirituel et culturel. C’est pourquoi les plantations industrielles de palmier à huile causent la perte de terres et du même coup des moyens d’existence des communautés, et notamment des femmes en raison de leur relation spécifique avec la forêt. Il en résulte l’éviction de ces communautés.
    Abattage destructif et violations des droits de l’homme. Dans de nombreux cas, ces plantations sont établies sur des terres qui ont d’abord fait l’objet d’une exploitation forestière destructive ouvrant ainsi la voie aux plantations de palmiers à huile. D’autre part, la pratique de déboiser par le feu pour établir les plantations de palmier à huile se poursuit depuis plus de dix ans en Indonésie, produisant une brume sèche qui persiste presque toute l’année dans le sud-est de l’Asie. Cette pratique nuit à l’environnement et à la santé de millions de citoyens et citoyennes.
    Accès privilégié aux terres pour les entreprises, mais pas pour les communautés. L’introduction du modèle de culture industrielle du palmier à huile dans un pays ou une zone donnée, au moyen de concessions foncières, garantit aux entreprises un accès privilégié aux terres agricoles durant de longues périodes, ce qui accroît leur pouvoir et leur influence. Partout, les luttes pour garantir les droits collectifs des communautés sur leurs territoires et une agriculture diversifiée et agroécologique contrôlée par la communauté deviennent de plus en plus ardues.
    Conditions de travail misérables. Le nombre d’emplois est en réalité faible, et les conditions de travail dans les plantations de palmiers à huile sont difficiles, bien souvent proches de l’esclavage. D’autre part, on a documenté de nombreux cas de travail d’enfants, ainsi que de toxicomanie chez les travailleurs et de prostitution. Les travailleurs sont également particulièrement touchés par l’obligation d’appliquer des produits agrotoxiques dans les plantations de monocultures, y compris des produits interdits dans plusieurs pays. Beaucoup d’entre eux contractent des maladies chroniques pour le reste de leur vie, sans pouvoir toucher une compensation.
    Augmentation de la criminalisation des mouvements sociaux et de l’opposition locale. Les communautés et les organisations qui les appuient, ainsi que les travailleurs et travailleuses des plantations de palmiers à huile, sont confrontés aux violations des droits de l’homme et à la criminalisation des mouvements sociaux, qui ont tendance à augmenter partout sur la planète. Dans de nombreux pays, il y a aussi eu des assassinats, des détentions et la persécution de ceux et celles qui ne faisaient que lutter pour défendre les droits collectifs de leurs communautés chez eux et s’opposaient à l’invasion de leurs territoires par les entreprises de palmier à huile. D’autre part, les entreprises peuvent compter sur toutes sortes de services de protections offertes par les forces de sécurité de l’État.

La Journée internationale de lutte contre la monoculture d’arbres, instituée en 2006, a pour but de rendre plus visible le nombre croissant de peuples et de communautés, qui figurent souvent parmi les plus marginalisés, en particulier les femmes et les jeunes, et qui luttent dans des régions et des pays divers contre les plantations industrielles de palmiers à huile, d’eucalyptus, de pins, d’acacias et d’hévéas. Les plantations à grande échelle sont inacceptables, pour les communautés locales mais aussi pour un monde confronté à une crise très grave aux symptômes multiples, dont le changement climatique, la détérioration économique et écologique, l’augmentation de la militarisation et la multiplication des violations des droits de l’homme.

Pour ces raisons, le présent bulletin vise à dénoncer l’expansion des plantations de palmiers à huile et à divulguer certains effets négatifs qu’elle a sur les peuples des forêts et sur leurs territoires. L’article sur la Papouasie occidentale attire notre attention sur une région difficile à atteindre, où l’expansion de ces plantations est en train de bénéficier aux grands conglomérats d’entreprises au détriment des populations indigènes et traditionnelles. Au Liberia, la campagne gouvernementale pour faciliter l’abattage d’arbres au profit de la culture à grande échelle de palmiers à huile est fortement inquiétante, surtout dans un pays où règnent l’exploitation forestière illégale et la corruption. À propos du Brésil, un rapport d’activités sur le terrain nous raconte comment la société minière VALE fait des plantations de palmiers à huile dans l’État du Pará, pour satisfaire la demande en agrocarburants des trains qui transportent le minerai de l’entreprise mais, surtout, pour confirmer son image prétendument «verte». Un autre article du bulletin met en lumière le rôle que jouent les banques et les investisseurs dans la spéculation sur ces plantations, en contribuant à fortifier et à développer les multinationales et en générant d’énormes bénéfices pour leurs actionnaires. Finalement, le bulletin nous rappelle que l’Afrique compte des millions de personnes qui dépendent du palmier à huile pour leur subsistance et leur culture, et que ces personnes le protègent et le considèrent comme une source de vie. Bonne lecture!

Cliquez ici pour lire la Déclaration du 21 septembre


L’Afrique : le continent où l’huile de palme est encore une source de vie

De nos jours, alors que tant d’entreprises s’empressent de se lancer dans les plantations de palmiers à huile et que des superficies forestières de plus en plus vastes sont détruites pour cette monoculture, il est facile d’oublier les origines et les utilisations traditionnelles de l’huile de palme. Le fait est que des dizaines de millions de personnes en Afrique (qui est le berceau de l’huile de palme), dépendent de cet arbre pour leur nourriture et leurs moyens d’existence. Et cet arbre ainsi que son utilisation traditionnelle sont particulièrement importants et pertinents pour les femmes. Pour elles, l’huile de palme est un ingrédient essentiel pour élaborer les plats locaux, une ressource pour la médecine traditionnelle et un aliment pour le bétail. Les communautés africaines utilisent toutes les parties du palmier à huile traditionnelle, de ses racines à ses branches, pour fabriquer un large éventail de produits allant du vin et des soupes aux savons et aux onguents, et même à toutes sortes de textiles et de produits pour la maison. Cependant, ces populations, leurs palmiers à huile et leurs systèmes de production traditionnels sont maintenant confrontés à un risque énorme du fait de l’accaparement des terres destinées à des plantations industrielles de palmiers à huile.Une histoire de diversitéLes palmiers à huile trouvent leur origine en Afrique. Et c’est dans cette région que la plante est vite devenue partie intégrante des systèmes alimentaires, des économies et des cultures locales. Selon une étude menée par l’ONG GRAIN sur les chants traditionnels de nombreux pays d’Afrique occidentale et centrale, l’huile de palme est appelé « l’arbre de vie ».

En Afrique, la plupart des palmiers à huile sont encore cultivés dans des palmeraies situées dans des forêts mixtes. Ce sont souvent des familles individuelles qui prennent soin de ces palmeraies et les transmettent de génération en génération. On peut trouver des palmeraies semi-sauvages de ce type dans de grandes parties de l’Afrique, du Sénégal au sud de l’Angola, sur les rives du lac Kivu et au Tanganyika, sur les côtes de l’Afrique de l’Est, ou même sur la côte occidentale de Madagascar La plus grande superficie de palmeraies sauvages ou semi-sauvages du continent se trouve au Nigeria, avec plus de 2,5 millions d’hectares. Les agriculteurs d’Afrique occidentale et centrale cultivent aussi le palmier à huile, en le mélangeant avec d’autres cultures comme les bananes, le cacao, le café, les arachides et les concombres.

Il est extrêmement difficile de trouver des chiffres fiables sur les superficies occupées par les palmiers à huile cultivés dans des systèmes traditionnels en Afrique, en raison de : 1) la difficulté de distinguer les zones de forêts dont les palmiers à huile sont l’une des composantes des palmeraies naturelles dans lesquelles le palmier à huile est l’espèce unique ou principale ; 2) la difficulté d’établir une distinction entre les « peuplements sauvages » et les palmeraies qui font partie des cultures des communautés locales depuis des siècles (certaines naturelles, certaines plantées) ; 3) la difficulté de classer certaine cultures parmi les plantations familiales (qui peuvent ou non vendre la récolte à une installation de transformation industrielle) ou les plantations satellites contractuellement liées à une plantation industrielle ; 4) l’existence de plantations industrielles abandonnées qui sont utilisées par les communautés locales comme s’il s’agissait de palmeraies naturelles ; 5) l’absence d’inventaires actualisés des palmeraies naturelles, des petites plantations et des plantations industrielles (Voir la publication « L’huile de palme en Afrique » de WRM).

Selon GRAIN, le type de palmier à huile cultivé en Afrique est également assez différent des variétés cultivées ailleurs. La plus grande partie de l’huile de palme en Afrique est produite à partir de la variété traditionnelle « dura », qui pousse à l’état sauvage, et non des croisements à haut rendement utilisés dans les plantations. De nombreux paysans africains la préfèrent parce qu’elle crée moins d’ombre et ne gêne donc pas la croissance des autres cultures sur leurs exploitations. Ils la préfèrent également pour la qualité de l’huile de palme obtenue, qui se vend à un meilleur prix sur les marchés locaux.

Sur les marchés locaux de l’Afrique occidentale et centrale, la qualité d’une huile de palme est généralement jugée en fonction de sa couleur. Les femmes africaines disent que l’huile de palme extraite des palmiers à huile traditionnels est meilleure parce qu’elle a une couleur rouge plus intense que celle qui est extraite des variétés modernes. Au Bénin, l’huile de palme traditionnelle se vend 20 à 40 % plus cher sur les marchés que l’huile provenant des variétés modernes. Les femmes qui utilisent l’huile de palme provenant de cultures traditionnelles disent aussi que leurs sauces traditionnelles à base d’amandes de palme bouillies ont une texture plus légère, et par conséquent meilleure, lorsqu’elle est faite avec les amandes de palmiers traditionnels.

L’huile de palme en Côte d’Ivoire

L’huile de palme est depuis longtemps l’huile végétale la plus populaire en Côte d’Ivoire. L’Ivoirien moyen consomme environ 10 kilos de cette huile par an. Cette dernière est utilisée non seulement pour la friture mais aussi comme ingrédient principal pour de nombreux plats locaux, qu’il s’agisse de gombos et d’autres sauces ou de différents plats réalisés avec des bananes plantains ou du foufou. L’huile de palme donne à ces aliments une couleur et un goût particuliers très appréciés dans la cuisine ivoirienne. Les importations d’huile de palme ultra-raffinée provenant de plantations industrielles et d’usines modernes ont conquis une part de ce marché au détriment des producteurs traditionnels. Cependant, malgré des prix plus élevés, les consommateurs restent attachés à l’huile de palme traditionnelle, même dans les villes.

Les palmiers à huile au Cameroun

Selon Marie-Crescence Ngobo, du RADD, toutes les parties du palmier à huile, y compris ses sous-produits, sont des matières premières utilisées pour la fabrication de remèdes indigènes. Les Yambassa dans le Mbam affirment utiliser les feuilles de palmier à huile traditionnels pour traiter les caries dentaires Le vin de palme mélangé avec divers autres ingrédients est utilisé comme un remède contre l’impuissance masculine, la chlamydia, les infections gonococciques, les maux d’estomac, la jaunisse et la rougeole.

Chez les Mvele, une sous-tribu Beti, le cœur du palmier à huile sert à préparer un repas à une femme qui vient d’accoucher. Ceci accroît le débit du lait maternel. L’huile de palmiste noire est utilisée pour les soins de la peau et des cheveux et constitue un ingrédient indispensable et omniprésent dans les traitements pour les nouveau-nés. En outre, le charbon fabriqué à partir de l’amande sert également à blanchir les dents et les communautés dans le Sud du Cameroun l’utilisent comme dentifrice. Les écorces du tronc brûlées et réduites en cendre soignent les furoncles.

Extrait d’une chanson béninoise (traduit)
Voici ce que pouvez-vous retenir de ma chanson
Le palmier qui se tient debout là,
Quiconque veut bénéficier de ses bienfaits, doit l’entretenir et le vénérer
Regardez ses feuilles qui servent à fabriquer des balais
Regardez les parties qui servent à fabriquer des cordes pour puiser de l’eau
À partir de ce palmier, vous obtenez des branches et du tourteau
C’est sur ce même palmier qu’il y a les gros régimes qui portent les noix
Regardez les liquides qu’il produit : l’huile rouge et le vin de palme
Quiconque veut bénéficier de ses bienfaits,
doit savoir que c’est des noix qu’on extrait l’huile de palmiste de qualité


** Cet article a été extrait de « Une longue histoire et une grande biodiversité », GRAIN, 22 septembre 2014,
https://www.grain.org/article/entries/5035-a-long-history-and-vast-biodiversity

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  • 16 October 2015

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