Jean-Luc François: « Les consommateurs du Nord doivent changer leurs comportements alimentaires »

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La Croix | 23 septembre 2015

Jean-Luc François: « Les consommateurs du Nord doivent changer leurs comportements alimentaires »

Recueilli­ par Pierre COCHEZ

Pour lui, l’agriculture peut nourrir dix milliards d’humains, mais elle doit le faire de manière durable. ENTRETIEN

La faim dans le monde régresse-t-elle ?

Jean-Luc François : Le monde ne connaît plus de grandes famines. En Chine, en Inde ou même au ­Sahel, ce n’est plus un enjeu. L’Éthiopie a été le dernier pays à connaître une famine. Les pays concernés et la communauté internationale ont appris à prendre en charge des crises alimentaires dues à des conflits ou au changement climatique. La capacité à réagir s’est améliorée, avec les progrès de l’information, de la mobilisation internationale. Les sociétés civiles savent maintenant alerter.

Dans les pays en développement, l’aide alimentaire sert de « filet social ». Elle prend la forme de bons d’achat, de prix subventionnés, de distribution de produits de base. Les gouvernements locaux gèrent mieux les stocks. En situation d’urgence, les organisations internationales prennent en charge les gens quand ils en ont besoin, pour la période où ils en ont besoin.

En 2008 et 2009, on a appelé, à tort, « émeutes de la faim » ce qui était des « émeutes du coût de la vie », motivées par une flambée des prix mondiaux. Certains ont vu là le début d’une hausse prouvant la difficulté de l’agriculture à répondre à la demande. Ils avaient tort. C’était une bulle financière.

L’agriculture arrive-t-elle à mieux nourrir le monde ?

J.-L. F. : Ces deux dernières décennies, la production agricole n’a pas été un problème. Elle a pu suivre l’augmentation de la demande mondiale, liée à la croissance démographique et à l’élévation du niveau de vie.

Quand un pays connaît la croissance économique, tous ses indicateurs concernant l’éducation, la santé et l’alimentation s’améliorent. L’exemple de la Chine est particulièrement frappant. Les Chinois s’alimentent mieux, même si cette croissance a creusé les inégalités.

L’urbanisation et le niveau de vie changent les habitudes alimentaires. Aujourd’hui, le panier de la ménagère en Afrique est composé d’un tiers de féculents, un tiers de produits d’origine animale, le reste en légumes. Alors que, dans les campagnes africaines, les féculents représentent encore de 70 à 90 % de l’alimentation.

L’achat de terres s’est développé au Sud. Est-ce un phénomène positif ou négatif ?

J.-L. F. : Les tensions sur les prix agricoles ont conduit certains pays, dans le Golfe ou en Asie, à réaliser qu’ils n’étaient pas autosuffisants. Ils ont acheté des terres à l’étranger. Ces grandes concessions ignorent le paysan. Elles emploient peu de salariés. Le modèle agricole détermine la vie des campagnes.

Il faut des investissements qui permettent à l’agriculture de continuer à être un projet de société et pas une agriculture purement productiviste. C’est un vrai sujet, au Nord comme au Sud. Pour faire vivre des sociétés rurales, nous devons nous poser la question du budget que nous voulons consacrer à notre alimentation. C’est un choix de consommation.

La transition écologique dans l’agriculture est essentielle. Sans stigmatiser les agriculteurs. Ils sont dans une nasse, car nous ne payons pas leurs produits à un prix acceptable. Les paysans au Sud veulent entrer dans notre logique productiviste. Il ne faudrait pas qu’ils répètent nos erreurs. Ceci dit, il est facile de parler de frugalité, quand on est repus. C’est plus difficile, quand on a faim.

Dix milliards d’habitants pourront-ils se nourrir comme nous le faisons dans les pays du Nord aujourd’hui ?

J.-L. F. : Il est probablement possible de nourrir de manière satisfaisante dix milliards d’humains, c’est-à-dire trois milliards de plus qu’aujourd’hui. Mais cela demanderait une extension des surfaces cultivables qui impliquerait la destruction des forêts. Déjà, la perte de biodiversité générée par notre mode de consommation est irréversible.

Un des intérêts des Objectifs du développement durable est de demander aux consommateurs du Nord de changer leurs comportements alimentaires. Nous pouvons réduire aussi nos gaspillages alimentaires. Il n’est pas nécessaire de s’alimenter et de gaspiller autant. C’est même mauvais pour notre santé. Nous devons adopter de nouveaux comportements alimentaires. Il est nécessaire de se fixer des objectifs de réduction de consommation de sucre, de sel, de graisses, de tabac afin de réduire les maladies métaboliques, l’hypertension, le diabète.

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Trois tendances

90 millions d’obèses aux États-Unis, dont 13 millions d’enfants. Les habitudes alimentaires dans les pays du Nord peuvent être dangereuses pour la santé. Mais, la tendance pourrait s’inverser avec une prise de conscience progressive des consommateurs. Les enfants américains entre deux à cinq ans étaient à 14 % obèses en 2003. Ils ne sont plus que 8 % de cette tranche d’âge à l’être aujourd’hui.

50 à 80 millions d’hectares de terres ont été achetées ou louées ces dernières années dans les pays en développement par des investisseurs privés ou publics étrangers, estime un rapport d’experts de l’ONU. Il constate aussi que des réserves « considérables » de terres à cultiver existent encore, spécialement en Amérique Latine, en Afrique subsaharienne et dans les pays de l’ex bloc soviétique. Ces achats de terres peuvent bouleverser les vies de millions de personnes qui occupaient ces espaces.

5 milliards d’euros. C’est ce que représente le marché des produits alimentaires issus de l’agriculture biologique en 2014, soit une hausse de 10 % en un an. Depuis 2007, le marché a doublé mais il ne représente que 2,5 % du marché alimentaire total. Les habitudes de consommation se modifient. Ils privilégient aussi les produits locaux. 76 % des produits « bio » consommés en France proviennent de France.

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