Les droits de l’homme, solubles dans le libre-échange ?

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"On a assisté à une recrudescence de l’accaparement des terres pour servir à la culture de produits bénéficiant des préférences commerciales, les paysans restant laissés pour compte, sans voies de recours et leurs protestations réprimées," indique la FIDH

La Libre | 26 avril 2015

Les droits de l’homme, solubles dans le libre-échange ?

Gilles Toussaint

La conclusion d’accords commerciaux entre l’Europe et ses partenaires internationaux serait-elle entravée par une intégration trop poussée des principes relatifs aux droits de l’homme dans ces discussions ? La question peut paraître déplacée, mais elle mérite d’être posée alors que l’UE négocie tous azimuts en la matière.

C’est ce qu’a choisi de faire la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) en saisissant la médiatrice de l’UE de ce problème. Au cœur de ce litige, le refus de la Commission européenne de mener à bien une étude sur les impacts potentiels sur les droits fondamentaux que pourrait avoir l’accord de libre-échange que Bruxelles négocie actuellement avec le Vietnam.

"Depuis le Traité de Lisbonne, il est clair que la Commission a l’obligation de mener de telles études d’impact avant la signature de tout accord de commerce et d’investissement , explique Gaëlle Dusepulchre, représentante permanente de la FIDH auprès de l’Union. En ce qui concerne le Vietnam elle refuse de le faire, en avançant qu’elle a déjà réalisé une évaluation de ce type sur la région ASEAN en 2009. Mais celle-ci était très partielle" , relève notre interlocutrice.

La position de la Commission ne satisfait en tout cas pas la médiatrice européenne Emily O’Reilly qui, dans ses recommandations, souligne la nécessité de mener préventivement de telles études d’impact. Au passage, elle insiste sur le fait que l’UE devrait "non seulement vérifier que les accords envisagés respectent les obligations en vigueur au regard des droits humains et n’affaiblissent pas les standards existant en matière de protection des droits humains, mais qu’elle devrait également chercher à faire avancer la cause de ces principes dans les pays partenaires".

Effets collatéraux

Si le commerce et les investissements internationaux peuvent avoir des effets bénéfiques sur les droits fondamentaux, ils peuvent aussi leur nuire, affirme Gaëlle Dusepulchre. Et de citer le cas du Cambodge auquel l’UE octroie des préférences commerciales depuis des années.

Ce système, qui permet à ce pays d’exporter ses produits sur le marché européen sans droits de douane et sans quotas, a pour but de stimuler son développement. Mais il a entraîné de douloureux effets collatéraux pour une partie de la population locale.

" On a assisté à une recrudescence de l’accaparement des terres pour servir à la culture de produits bénéficiant des préférences commerciales, les paysans restant laissés pour compte, sans voies de recours et leurs protestations réprimées , indique Mme Dusepulchre. Nous avons donc demandé à la Commission de mettre en œuvre la clause ‘Droits de l’homme’ que l’on retrouve dans ce type de préférences et qu’on retrouve également dans certains accords commerciaux. En théorie, celle-ci permet à l’exécutif européen d’envisager la suspension des avantages préférentiels, et, dans ce cadre de mener une investigation. C’est l’occasion de négocier les mesures utiles pour qu’il soit mis fin aux violations des droits de l’homme, par exemple, la restitution de ces terres ou du moins des compensations. Mais la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour enclencher cette procédure. Et rien n’est encore résolu alors que la société civile est mobilisée sur cette question depuis plusieurs années".

L’expérience passée a en outre démontré à diverses reprises que les accords commerciaux peuvent aboutir à un affaiblissement des droits de l’homme dans des pays qui ne sont déjà pas souvent des premiers de classe en la matière. Dans le cas du Vietnam, pointe encore Mme Dusepulchre, on sait que la répression s’intensifie contre des blogueurs, ceux qui dénoncent la violation de leurs droits ou ceux qui protestent contre l’accaparement des terres, par exemple. "En tout état de cause, on ne peut pas dire qu’on va conclure des accords avec des Etats où l’on sait pertinemment bien que les opposants sont réprimés de façon arbitraire, sans avoir pris en compte cette question."

Des droits au rabais

De manière générale, l’enjeu des droits de l’homme reste le parent pauvre des accords de libre-échange négociés par l’Europe, observe encore la représentante de la FIDH. Les études d’impact, quand elles sont menées, restent inadaptées, trop partielles et ignorent notamment les conséquences possibles du fameux mécanisme d’arbitrage privé des différents entre investisseurs et Etats. Alors même que celui-ci constitue un pilier majeur des discussions actuellement en chantier avec le Vietnam, mais aussi la Chine, la Birmanie et, bien sûr, les Etats-Unis.

En outre, ces études sont généralement des "copier-coller" qui ne tiennent guère compte du contexte particulier des pays concernés. Quant aux clauses, très faiblardes, elles ne garantissent pas que les investisseurs et les entreprises respecteront les droits humains, n’offrent aucun moyen de prévenir ou remédier aux effets négatifs que pourraient avoir l’accord sur les droits de l’homme, ni n’assurent que le pays tiers sera sanctionné en cas de violations.

La Commission européenne devra répondre aux recommandations de la médiatrice d’ici le 30 juin. De son côté, la FIDH espère voir les eurodéputés et les Etats membres enfin se réveiller sur ces questions.

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