Le mirage Senhuile : création d'emplois, autosuffisance alimentaire...

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Enquête | 10 février 2015

LE MIRAGE SENHUILE
CRÉATION D’EMPLOIS, AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE…


Mame Talla Diaw

À peine deux ans après son installation controversée dans la Réserve spéciale avifaune du Ndiael (RSAN), le projet agro-industriel Senhuile constitué par le Groupe italien Tampieri (TFG) et Senethanol bat de l’aile. Licenciements du personnel, inconstance dans le choix des spéculations, cohabitation empreinte de suspicion et très mauvaise image auprès des villages d’implantation constituent l’ambiance avec laquelle Senhuile doit pactiser pour survivre.

La légende Senhuile était trop belle pour continuer de planer dans l’imaginaire de ceux qui ont cru que cette société serait l’un des acteurs-clés pour la réalisation de l’autosuffisance alimentaire voulue par le gouvernement du Sénégal. Démarré en 2011 dans la communauté rurale de Fanaye après un agrément de l’Apix, Senhuile a dû faire face à un désaccord d’une frange importante des élus et de la population de cette collectivité avec deux morts à la clé.

Le projet a donc été délocalisé dans une assiette foncière de 20 000 ha, déclarée d’utilité publique, suite au déclassement partiel de la RSAN. Les contestations se faisant plus radicales contre l’installation de Senhuile, ses responsables font comprendre que l'objectif de leur projet agro-industriel est de démarrer et de consolider des productions dans le domaine agro-alimentaire.

Il s’agit notamment du tournesol pour le marché intérieur et d'assurer un rendement agricole élevé. "Senhuile s’engageait à prêter attention à l'amélioration de la situation sociale des communautés rurales intéressées par son implantation et impliquées dans le projet ; à participer au développement socioéconomique de tous les villages concernés et à respecter l'environnement", rappelle un agent de l’Apix. Aujourd’hui, l’histoire est tout autre.

Le tournesol très tôt rangé au grenier, le riz et l’arachide à la mode

A la pratique, Senhuile est en train de se reconvertir dans la culture du riz, de l’arachide et du maïs sur une superficie de 2 000 ha. Elle a pratiquement abandonné la culture de tournesol suite aux multiples échecs constatés et entend expérimenter prochainement la culture du soja.

Or, ces modifications dans l’orientation du plan de mise en valeur de Senhuile devraient être soutenues par une étude d’impact environnemental qui prend en compte ces nouvelles activités, ce qui n’est pas encore le cas. D'ailleurs, dans un protocole qui le lie au service des Eaux et Forêts, Senhuile s'engage à prendre en charge le coût de la nouvelle étude d’impact environnemental et social (EIES) dont la réalisation est obligatoire, conformément au Code de l’Environnement.

Il faut souligner ici que l’ancienne étude d’impact environnemental et social n’a été menée qu’après le début du projet, et la disparition de l’engagement pris par l’entreprise visà-vis de la communauté en août 2012 de réaliser le projet dans les limites d’une zone agréée.

Pourtant, "l'exploitation de Senhuile a d’énormes conséquences sur l’environnement, liées à la déforestation due à l’abattage des arbres et des arbustes et aux restrictions imposées aux mouvements des troupeaux. Le projet rend également difficile l’accès à l’eau, car les tuyaux utilisés en commun ne peuvent pas traverser les terres dont s’est emparé Senhuile", informe un responsable des Eaux et Forêts. D’ailleurs, sur son site web, Senhuile avoue, à demi-mots, que l’Etude d’impact environnemental (EIE) menée dans la zone du Ndiael sera reprise.

Etant entendu qu’il est impossible de faire de la culture bio dans le Ndiael où se trouvent les surfaces de Senhuile, la réorientation vers de nouvelles spéculations nécessite l’installation d’un bon système de drainage et de recyclage des eaux usées aussi bien pour les cultures en cours que celles à venir, ce qui n’est pas encore le cas.

En effet, le nitromax, un des produits utilisés par Senhuile, et présenté comme non toxique, est à base de pétrole liquide destiné à augmenter le cycle naturel de l'azote dans le sol afin de stimuler la croissance des plantes, la production et le développement des racines. Il faut dire que "s’il s’infiltre dans la nappe phréatique, il pourrait favoriser la multiplication d’algues et de plantes nocives dans le Lac de Guiers", explique un technicien du ministère de l’Environnement.

En outre, poursuit notre interlocuteur, des avions survolent toute la région et épandent des produits dangereux pour la santé humaine ou animale.

Autre bizarrerie, près de 300 hectares d’arachides ont été cultivés cette saison par Senhuile qui dit vouloir aider le Sénégal à augmenter son capital semencier d’arachide. Seulement, des sources internes s’étonnent que la société ait presque laissé l’arachide pourrir dans le sol après sa maturité.

"Les engins de Senhuile n’ont pu récolter que quelques tonnes puisque les pertes ont été énormes au moment de l'arrachage", confie un ouvrier agricole. C’est pourquoi la culture annoncée de patates douces pour suppléer le tournesol et celle déjà existante du maïs laissent perplexe. Pour le maïs notamment, des procédés innovants devraient être mis en œuvre pour la protection des cultures, notamment l’utilisation d’appareils pour chasser les oiseaux granivores et des machines pour le traitement et les semis en bio. Ce qui est loin d’être le cas.

En somme, de l’avis de nombreux ingénieurs agronomes, le jonglage à l’aveugle d’une spéculation à une autre, sans réellement tenir en compte tous les paramètres nécessaires, laisse croire que Senhuile cultive pour cultiver. Ce qui n’est en rien un effort pour la réalisation de l’autosuffisance alimentaire au Sénégal.

Une main d’œuvre précaire

Alors que Senhuile affirme avoir embauché un nouveau médiateur culturel pour relancer un véritable processus de consultation des communautés locales, y compris avec le Collectif des 37 villages du Ndiael affectés par son projet, "la compagnie n'a raté aucune occasion de poignarder ces communautés sur le dos", dénonce un chef de village. Qui en veut pour preuve le fait que plus d’une centaine des jeunes (103) issus des villages environnants ont été licenciés à l’issue de la dernière campagne agricole.

Du côté de la direction de la société, l’on évoque un non-renouvellement de leurs contrats arrivés à terme. Pourtant, la création d’emplois a été un des principaux arguments utilisés pour convaincre les communautés locales. Il est cependant impossible à ce jour d'obtenir le nombre réel d’emplois créés par le projet Senhuile, mais les ouvriers agricoles auxquels nous avons parlé font état de 200 à 300 emplois, la majorité sur une base journalière alors que le site Internet de Senhuile-Senethanol mentionne 500 à 700 travailleurs journaliers.

"Le tâtonnement qui frise l’insouciance dans le modèle économique de Senhuile ainsi que la gestion catastrophique ayant suivi la première année d’exploitation de la compagnie expliquent grandement son refus à garder une main d’œuvre dont elle pourrait difficile subvenir aux obligations", accusent certains travailleurs.

Or Senhuile a fait miroiter à tous ces jeunes déflatés une situation durable dans la société. La plupart d’entre eux ont été envoyés par leur village pour faire valoir la prétendue approche participative, gage de la relative paix sociale qui a prévalu dans la RSAN depuis quelques mois.

Révoltés par leur licenciement, certains jeunes tentent de s’organiser en collectif pour défendre leurs intérêts lésés. Il y a que le chemin reste encore très long à parcourir pour les contestataires, car presque tous les contrats de ces jeunes n’ont jamais été régularisés auprès des autorités compétentes de l’Etat, notamment, de l’inspection du travail. Les rescapés des licenciements ne sont pas à l’abri d’une mauvaise surprise.

Opacité et engagements peu respectés font le lit du mirage Senhuile

On n’est jamais sûr de rien avec Senhuile. Il est presque impossible d’établir avec certitude tout le chaînon derrière l’existence de cette société. La réputation sulfureuse de Benyamin (ou Benjamin) Dummai, un homme d’affaires d’origine israélienne et naturalisé brésilien, premier directeur général de cette société agroalimentaire lors de son installation au Ndiael en 2012, n’arrange rien. Il a été arrêté en mai dernier par les autorités sénégalaises pour avoir, dit-on, détourné près d’un demi-million de dollars.

Peu avant son arrestation des ONG internationales qui soutiennent les communautés du Ndiael ont publié une série de rapports mettant en lumière le passé douteux de Benjamin Dummai, qui avait déjà été accusé d’évasion et de fraude fiscale au Brésil et qui gérait une société écran New yorkaise impliquée dans le projet Senhuile. Si bien que l’actuelle équipe dirigeante de Senhuile fait tout pour se départir de l’image de Dummai.

Au-delà de cette tâche noire, l’incertitude prévaut concernant le type de cultures prévues dans le cadre du projet. Les déclarations des représentants de l’entreprise dans les médias de notre pays sont également vagues et contradictoires en ce qui concerne les plantes qui seront cultivées, leur usage (alimentaire ou énergétique), et leur marché de destination (local ou international).

L’investissement n’est pas fondé sur une évaluation approfondie des impacts sociaux, économiques et environnementaux et ne repose pas sur une planification démocratique efficace, une supervision indépendante et une participation significative, selon les organisations de défense des droits de l’Homme notamment l’ONG Action Aid.

Dans un rapport intitulé "L’investissement SenhuileSenethanol à Ndiael, Sénégal. Quel avenir sans ma terre ?" Action Aid souligne que l’investissement de Senhuile ne repose pas sur des procédures transparentes définissant des engagements clairs et contraignants en ce qui concerne ses activités, l’emploi et le partage de ses bénéfices.

"Senhuile a certes bâti une école coranique et des murs autour des cimetières. Elle a aussi fait des dons de forages, mais ces projets caritatifs ne sont rien comparés à l’impact négatif du projet sur les communautés locales", renseigne le dit rapport. 
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