Sommet climat de l'ONU : vers une agriculture sous l'emprise de la finance et des multinationales ?

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Mediapart | 10 septembre 2014

Sommet climat de l'ONU : vers une agriculture sous l'emprise de la finance et des multinationales ?

Par Maxime Combes

Le 23 septembre 2014, le Secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-moon organise un Sommet 2014 sur le climat pour "passer à l'action". Le temps presse, c'est exact, mais pas pour n'importe quel action. Décryptage des enjeux. En commençant par l'agriculture.

Le 23 septembre 2014, le Secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-moon organise un Sommet 2014 sur le climat « pour donner un nouvel élan à la lutte contre les changements climatiques ». « Il est grand temps d'agir » tonne-t-il dans une récente tribune. Pour ce faire, Ban Ki-moon a demandé aux « dirigeants mondiaux », c'est-à-dire à des chefs d'Etat, des dirigeants de multinationales et d'institutions financières, et quelques représentants de la société civile triés sur le volet, d'annoncer à New York « des mesures audacieuses visant à réduire les émissions, à renforcer la résistance aux changements climatiques et à mobiliser les volontés politiques en vue de parvenir à un accord juridique significatif en 2015 ». Ce sommet se veut celui « des solutions » pour « inciter à l'action ». Quelle action pour quel projet ? La réponse à travers l'exemple de l'agriculture (voir la note plus détaillée ici).

Vers une alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat ?

En matière agricole, Ban-Ki Moon souhaite lancer officiellement une « Alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat » (« Global Alliance for Climate-Smart Agriculture »). Le lancement de cette alliance mondiale viendrait finaliser plusieurs années d'efforts, notamment à l'initiative de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) et de la Banque Mondiale, pour imposer définitivement à l'agenda international la notion de « climate-smart agriculture », le cadre idéologique et les politiques qu'elle implique. A condition de souscrire au document cadre et de contribuer à ses activités, des gouvernements, des institutions internationales, des organisations de la société civile, des institutions de recherche et des entreprises sont invités à devenir membre de l'alliance, sur une base volontaire. Ban Ki-moon espère qu'un minimum de vingt pays et de vingt entreprises rejoignent l'alliance.

Selon ce document fondateur, l'agriculture intelligente face au climat repose sur trois piliers1, qui sont présentés tant comme des principes d'action que comme des résultats attendus, et qui sont supposés pouvoir être menés de front, conjointement et en synergie : 1) une augmentation durable et équitable de la productivité agricole et des revenus ; 2) une plus grande résilience des systèmes alimentaires et des moyens de subsistance tirés de l'agriculture ; 3) la réduction et/ou l'élimination des émissions de gaz à effet de serre liés à l'agriculture. Bref, avec les programmes d'agriculture intelligente face au climat, on aurait trouvé le Graal des politiques agricoles capables de régler tous les défis auxquels nous sommes confrontés.

Le cheval de Troie de la finance carbone et des intérêts des multinationales ?

Derrière cette image raisonnable et vertueuse, il est possible de se demander si l'agriculture intelligente face au climat n'est pas un des moyens utilisés pour promouvoir des pratiques et options techno-scientifiques fortement décriées. Ainsi, des dix success stories mises en avant par la FAO, on ne compte par exemple aucun projet d'agroécologie. Par contre, on y trouve plusieurs projets connectés aux marchés de la compensation et de la finance carbone. Malgré les échecs des marchés carbone, la Banque mondiale et la FAO oeuvrent donc pour faire de l’agriculture l’un des pivots de la décarbonification de l’atmosphère et un sous-système de la finance carbone ! Avec de tels projets, l'accaparement de terres par des investisseurs internationaux pour mener des opérations de compensation carbone, déjà observé2, pourrait s'aggraver. Par ailleurs, la faillibilité et l'instabilité des marchés et dispositifs de compensation carbone3 ne peuvent qu'hypothéquer la survie des cultures vivrières locales auxquelles la Banque Mondiale et la FAO veulent appliquer de tels programmes.

A lire les différents documents qui promeuvent ces projets d'agriculture intelligente face au climat (voir la note d'analyse), on comprend que l'usage d'intrants chimiques (engrais, pesticides, herbicides...) et d'organismes génétiquement modifiés n'est pas exclu, au contraire, pas plus que la production d'agrocarburants industriels. La mise au point de variétés à hauts rendements, y compris à travers les biotechnologies et le génie génétique, est au contraire présentée comme ayant des effets positifs sur la sécurité alimentaire et l'adaptation aux dérèglements climatiques. Dans ce cadre, il n'est pas rare que des OGM tolérants aux herbicides ou aux sécheresses soient promus comme des moyens d'améliorer la sécurité alimentaire, de lutter contre les dérèglements climatiques et de favoriser la résilience. Les paysans sont invités à se faire rémunérer pour la préservation des services écosystémiques et à se doter de contrats d'assurance (et de micro-assurance) pour faire face aux intempéries et aux évènements climatiques extrêmes.

L'agriculture intelligente face au climat, une aubaine pour la finance et les multinationales ?

A travers les projets d'agriculture intelligente face au climat, ce sont donc des OGM et des mécanismes financiers qui sont promus, présentés comme pouvant sauver les paysans et la planète des dérèglements climatiques. Ainsi, des multinationales comme Yara, la plus grosse entreprise mondiale d'engrais, se font aujourd'hui les promotrices de l'agriculture intelligente face au climat, tout comme le lobby des multinationales des biotechnologies qu'est CropLife. En lançant cette nouvelle Alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat, Ban Ki-moon va renforcer la prééminence du rôle donné aux multinationales, aux investissements privés et aux mécanismes de marché dans le domaine agricole, le tout dans une perspective productiviste finalement assez classique, bien que promue au nom de la lutte contre les dérèglements climatiques et de la sécurité alimentaire.

Maxime Combes, membre d'Attac France et de l'Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org) @MaximCombes sur Twitter

1 Voici la définition que donne la FAO de la « climate smart agriculture » : « Agriculture that sustainably increases productivity, resilience (adaptation), reduces/removes greenhouse gases (mitigation), and enhances the achievement of national food security and development goals », Climate-Smart Agriculture Sourcebook, FAO, 2013, p. 548, http://www.fao.org/docrep/018/i3325e/i3325e.pdf

2 Voir ce cas au Libéria où la production d'huile de palme par un investisseur malaisien devait être compensée carbone : http://www.bastamag.net/Crime-environnemental-sur-la-piste

3 Voir par exemple la déclaration Il est temps de mettre fin au marché carbone européen, https://france.attac.org/actus-et-medias/le-flux/articles/il-est-temps-de-mettre-fin-au-marche-du-carbone-europeen

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