Senhuile–Senéthanol : un problème de transparence, selon Frédéric Mousseau

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Awa Sow, paysanne de Ndiaël (capture d'écran du film "Les Indignés de Ndiaël", 2014)

Ouestafnews | 5 mars 2014

Senhuile–Senéthanol : un problème de transparence, selon Frédéric Mousseau

Dans un rapport sur le projet Senhuile-Senethanol, L'ONG américaine dénommée Institut Oakland jette un regard critique sur ce projet de biocarburant actuellement en cours d'installation dans le nord du Sénégal. L’enquête menée par l’ONG souligne que ce projet, derrière lequel, se cache des investisseurs étrangers et locaux, détruit les conditions de vie de milliers de personnes, essentiellement des éleveurs privés de leur habitat naturel. Dans cet entretien accordé à Ouestafnews, Frédéric Mousseau, directeur des Politiques de l’Institut Oakland, revient sur les enjeux de ce projet qui, selon lui, pose un problème de transparence et analyse la position de l’Etat sénégalais, principal soutien de cet investissement.

Ouestafnews - Oakland Insititute a produit beaucoup d’études sur le phénomène de l’accaparement des terres, qu’est-ce qui fait la particularité du projet Senhuile-Senéthanol ?

Frédéric Mousseau - Le projet est malheureusement typique des cas les plus flagrants d’accaparement de terres que nous avons pu étudier en Afrique... mépris des communautés rurales locales, décisions prises en haut lieu sans consultation, ni consentement des populations qui utilisent ces terres depuis des décennies, une entreprise étrangère qui va produire pour l’export dans un pays qui connait des problèmes alimentaires importants, et notamment un déficit chronique d’un certain nombre de denrées. Une particularité par rapport à d’autres pays africains est que nous sommes dans une zone semi-aride, peuplée d’éleveurs. Les éleveurs, au Sénégal comme dans le reste de la bande sahélienne constituent une cible privilégiée de l’accaparement des terres car ils ont un usage extensif de la terre et des ressources naturelles, ils peinent à faire reconnaitre leurs droits fonciers, et souvent marginalisés au niveau politique.

Ouestafnews - Au-delà des conséquences néfastes sur les conditions de vie de milliers de personnes, comment analysez- vous le soutien constant apporté à ce projet par l’Etat du Sénégal ?

F.M. - Ce soutien est surprenant à bien des égards. D’abord comme de nombreux Sénégalais, nous ne pouvons nous expliquer le revirement du président Sall, qui a d’abord abrogé les décrets de son prédécesseur qui avaient permis le projet, pour inverser sa décision quelques mois plus tard et redonner la terre à Senhuile-Senéthanol, sans même consulter les communautés locales.

Ensuite, alors que le gouvernement a annoncé ces dernières années des objectifs ambitieux concernant l’agriculture et la sécurité alimentaire du pays, autoriser un projet de cette ampleur (20.000 hectares) pour produire des agro-carburants destinés au marché européen est contradictoire. On se souvient de la hausse des prix des denrées de 2008 qui a mis en lumière la vulnérabilité d’un pays trop dépendant des importations pour garantir l’alimentation de la population.

On doit enfin s’étonner du soutien du gouvernement alors que le Sénégal connaît un déficit structurel en viande et en lait, qui contribue grandement au déficit commercial du pays. Rien que pour le lait, le Sénégal doit importer en moyenne un volume de l’ordre de 60 milliards FCFA par an. Or le projet est mis en œuvre dans une zone d’élevage (on y dénombre 40,000 têtes de bétail), un secteur que le gouvernement s’est officiellement engagé à développer à travers son Programme National de Développement de l’Élevage (PNDE). Comment alors compte-t-il développer l’élevage sans les éleveurs, dont plusieurs milliers sont appelés à disparaitre si ce projet est maintenu.

Ouestafnews - Dans votre rapport vous qualifiez de ‘’douteux’’ le montage financier ayant conduit à la naissance de Senhuile-Senéthanol, que faut-il comprendre par ce terme ?

F.M- La société est contrôlée par un réseau d’intérêts privés dont les ramifications internationales incluent entre autres l’Italie, les Etats Unis, le Brésil, et le Panama. Si on connait le groupe italien Tampieri qui détient 51% de Senhuile, on ne connait pas les investisseurs d’Abe Italia, la maison mère de Sénéthanol. Notre rapport révèle qu’Abe Italia aurait été mise en liquidation en 2013, et qu’avant cela, la société a été établie par des individus impliqués dans des scandales politiques, de blanchiment d’argent, et d’évasion fiscale. Le Sénégal offre 20.000 hectares à une entreprise dont le montage financier pose de nombreuses questions. La redevabilibité et la fiabilité de l’entreprise devraient être des préoccupations sérieuses pour le Sénégal.

Ouestafnews- Des cas similaires, se déroulent actuellement dans beaucoup de pays africains, le phénomène n’est-il pas destiné à perdurer si les décideurs étatiques courbent toujours l’échine face à la puissance financière des investisseurs ?

F.M - On peut d’abord se demander s’ils courbent vraiment l’échine face aux investisseurs étrangers ou bien s’ils s’entendent pour offrir ces contrats juteux à ces entreprises. Quels peuvent être les moyens de pression d’entreprises étrangères telles que celles impliquées dans le projet Senhuile-Sénéthanol pour convaincre le gouvernement de leur offrir des terres et des ressources dont dépendent des milliers de Sénégalais pour leur survie?

Au delà des suspicions de corruption ou de collusion, force est cependant de reconnaitre que des pressions sont bien exercées par les pays dits donateurs et les institutions internationales telles que la Banque Mondiale pour ouvrir les pays aux investissements étrangers. On impose aux pays africains une doctrine du développement devant amener la croissance économique et la prospérité, par l’ouverture aux investissements étrangers, le retrait des Etats et la libéralisation des économies. Et c’est bien là le cœur du problème mais aussi l’opportunité de changer de cap pour le futur. La seule voie de salut est bien pour les gouvernements africains de déterminer un modèle de développement qui serait au profit et avec la participation des citoyens. Cela passe par de vraies politiques agricoles visant à assurer à la fois la sécurité alimentaire du pays et la prospérité du monde rural. Le continent reste largement peuplé de ruraux, agriculteurs et éleveurs, et ce n’est pas en les effaçant d’un trait de crayon qu’on pourra amener le développement.

 

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